RQRF 30 : Gliglois et L’Âtre Périlleux

Suivant Chrétien de Troyes, les romans arthuriens du XIIIe siècle ont souvent soit Gauvain pour héros — comme dans La Mule sans frein ou Le Chevalier à l’Épée (RQRF 19) — soit lui font partager la vedette avec un autre chevalier, privilégié par le romancier —comme dans Méraugis de Portlesguez (RQRF 26). Dans cet épisode, Antoine et Lays en examinent deux.

Rex Quondam Rexque Futurus 30 : Gliglois et L’Âtre Périlleux (mars 2020)

Dans le court roman de Gliglois, on voit une dame très belle, logiquement nommée, Beauté, repousser l’amour de Gauvain, comme celui de Gliglois, jeune chevalier de son équipage qui est aussi tombé amoureux d’elle. Elle semble le honnir et le tourmenter, mais c’est en fait une épreuve pour tester son amour… À la fin, Gauvain bénira tout de même leur union.

Dans L’Âtre Périlleux, par contre, Gauvain est pleinement le héros, et s’il n’a pas lui-même d’intrigue amoureuse dans cette histoire, il réunit à la fin la plupart des chevaliers qu’il croise à la dame de leur désirs (en forçant même l’un d’entre eux à lui rester fidèle). Tout commence quand Escanor de la Montagne le déshonore en enlevant une dame qui s’était mise au service de la cour d’Arthur. Il le pourchasse, mais croise des dames qui se lamentent autour d’un écuyer, les yeux crevés, qui affirme avoir vu Gauvain être démembré. En réalité c’est seulement un chevalier qui portait des armes similaires aux siennes, tué et dépecé par l’Orgueilleux Faé et Gomeret le Desréé (déréglé ou démesuré), jaloux que les dames qu’ils convoitent leur préfèrent Gauvain et Perceval. Cependant, à cause de cela, il semble que Gauvain perde son nom, et ne se nommera plus que Le Chevalier Sans Nom, jusqu’à ce qu’il ait percé à jour ce qui s’est produit…

En chemin, il libère une dame prisonnière d’une tombe dans un cimetière maudit (ledit Âtre Périlleux) et dont un démon abuse chaque nuit. On y apprend que la mère de Gauvain, une fée, avait prophétisé qu’Escanor était le seul chevalier qu’elle n’était pas sûre que Gauvain puisse vaincre. Signe de sa puissance, suivant le moment de la journée, la force d’Escanor se démultiplie, un trait généralement attribué à Gauvain lui-même. Dans cette quête pour rencontrer celui qui pourrait mettre fin à ses jours et récupérer son nom en prouvant qu’il est bien vivant, Gauvain devra aussi défaire le sadique roi de la Rouge Cité, croisera des noms familiers comme Espinogrès ou Raguidel de l’Angarde, et aidera Cadret dont la bien-aimée a été promise à un autre contre son gré. Privé de son nom, Gauvain est ici pleinement « l’idole inconnue » (pour reprendre le titre du livre de Stoyan Atanassov) : tout le monde l’invoque et connaît ses exploits, mais on ne le reconnaît pas.

Musique

Benjamin Britten (1913-1976)
Suite from King Arthur (Arr. Hindmarsh): I. Overture (Générique)
Richard Hickox & BBC Philarmonic Orchestra

Archie Fisher
The Witch of the West-Mer-Lands
The Man With a Rhyme

Franz Liszt (1811-1886)
Eine Faust-Symphonie in drei Charakterbildern, S. 108 : 3. Mephistopheles
Leonard Bernstein & Boston Symphony Orchestra

RQRF 29 : Le Roman de Fergus et le Roman du Roi Yder

Pour la reprise de 2020, Lays et Antoine examinent deux romans isolés du XIIIe siècle qui, en marge de la tradition des grands cycles en prose de Robert de Boron (RQRF 9-10), de la Vulgate (RQRF 15-18), du Tristan en Prose (RQRF 24) ou de la post-Vulgate (RQRF 27-28) se concentrent, comme le faisait Chrétien de Troyes, sur l’aventure d’un chevalier, dans une forme versifiée.

Rex Quondam Rexque Futurus 29 : Fergus et le Roman du Roi Yder (janvier 2020)

Dans le Roman de Fergus, aussi appelé Le Chevalier à l’Escu, Fergus est peut-être inspiré d’un personnage historique mais son histoire reprend surtout celle du Perceval de Chrétien (RQRF 7). Occupé à travailler la terre, Fergus voit passer un cortège de chevaliers du Roi Arthur qui revient de la chasse. Il veut immédiatement les rejoindre et abandonne sa charrue sur place. Alors que son père, un vilain, un roturier, voudrait le battre car il abandonne ses devoirs, sa mère, de plus noble extraction, soutient son ambition. On déterre une armure complètement rouillée d’un coffre, et le voilà parti à l’aventure… Comme Perceval, Keu le met à l’épreuve, en rigolant, de vaincre un ennemi redouté d’Arthur, ici le Chevalier Noir.

Une fois adoubé, il rencontre en chemin Galienne, la nièce du châtelain de Liddel, mais ne peut lui retourner son amour, avant d’avoir achevé sa quête. Il vainc le Chevalier Noir sans problèmes, mais quand il revient, Galienne a disparu… Après un an d’errance, il apprend que pour la retrouver il ferait mieux d’obtenir d’abord un écu projetant une lumière merveilleuse, gardé à Dunnottar par une vieille géante monstrueuse armée d’une faux, et par un dragon. Il apprend ensuite que Galienne est la nouvelle reine de Lothian mais qu’elle est assiégée à Roxburgh. Elle avait demandé de l’aide à la cour d’Arthur mais tous ses chevaliers étaient loin, cherchant Fergus. Fergus parviendra à vaincre les assaillants mais il disparaît ensuite, et Arthur devra organiser un tournoi pour qu’il refasse surface et puisse épouser Galienne, devanant roi de Lothian.

Le Roman du Roi Yder (Romanz du reis Yder) place sur le devant de la scène un très vieux personnage mais qui avait souvent un rôle très secondaire. Il apparaît ainsi sur l’archivolte de la Porta della Pescheria de la Cathédrale de Modène (~1120-1140) comme « Isdernus ». Yder était déjà mentionné par Cullwch ac Olwen (RQRF 2), peut-être notre trace la plus archaïque de récits arthuriens gallois, même s’il ne jouait pas de grand rôle dans l’histoire. Il faisait aussi une apparition chez Geoffrey de Monmouth (RQRF 3) et Wace (RQRF 4), dans le Lai du Court Mantel (RQRF 25), et, au début d’Erec et Enide de Chrétien de Troyes (RQRF 5), c’est lui qui outrageait Guenièvre quand son nain fouettait une de ses suivantes. Une histoire qui lui est régulièrement associée, et c’est le cas dans ce roman aussi, est d’avoir vaincu un ours en combat, ainsi dans la Folie Tristan de Berne (RQRF 13) ou dans La Vengeance Raguidel, où il venait aider Gauvain en battant l’ours du cruel Guingasoin. (RQRF 26)

Environ mille vers manquent au début du seul manuscrit connu, mais on peut assez facilement reconstituer le début de l’histoire. Yder ne connaît pas son père, qui avait seulement laissé à sa mère la moitié d’un anneau. À 17 ans il part à sa recherche. En chemin il tombe amoureux de la reine Guenloïe, qui ne veut apparemment pas s’engager dans une relation sans connaître son ascendance ou avant qu’il ait fait ses preuves. Yder sauve le Roi Arthur d’une mauvaise passe, mais celui-ci oublie de le remercier et manque à sa parole. Yder, déçu, va donc aider un des vassaux qu’Arthur assiège. Devant ses prouesses, Arthur finit par l’inviter à contre-coeur à la cour. Quand un ours fait irruption dans les appartements de Guenièvre, Yder arrive à le repousser, suscitant encore plus d’admiration, mais aussi une profonde jalousie de la part d’Arthur, qui commence à croire que Guenièvre l’aime. Au cours de ses aventures, Yder retrouve son père Nuc, « duc d’Allemagne ». Le portrait d’Arthur, déjà négatif, devient franchement maléfique quand, pour se débarrasser d’Yder, il l’emmène dans une expédition pour combattre des géants, où il espère qu’il mourra, et où Keu (qui avait déjà tenté de le tuer) finit par l’empoisonner. Heureusement, Yder survit, revient épouser Guenloïe, et est couronné roi par Arthur, qui ne le perçoit peut-être plus comme une menace maintenant qu’il est marié.

On reconnaît les motifs typiques de l’aventure chevaleresque immortalisés par chrétien et qu’on a déjà retrouvés dans Le Bel Inconnu (RQRF 23) par exemple : un héros part de chez lui, tombe amoureux d’une châtelaine mais ne peut s’adonner à son amour qu’une fois ses preuves faites, il combat géants et bêtes, sa victoire finale est scellée par un mariage et un couronnement… D’autres parallèles prêtent plus à rire : dans les deux romans on voit quelqu’un se battre avec des volailles en broche ! Sans forcément être parodiques (même s’ils sont parfois décrits comme tels) le burlesque des aventures de Fergus ou la malfaisance presque comique d’Arthur dans ces deux textes poussent en effet assez loin la tendance humoristique du roman de chevalerie.

  • Illustration de l’épisode : archivolte de la Porta della Pescheria de la Cathédrale de Modène. (photographie de Sailko sur Wikimedia Commons (CC BY-SA 4.0)) Réalisé entre 1120 et 1140 environ, c’est une des premières traces datables de la légende arthurienne sur le continent, où l’on peut voir, de gauche à droite, Yder (Isdernus), Arthur (Artus de Bretanni), Durmart ? (Durmaltus), Guenièvre à priori (Winlogee), Caradoc (Carrado), Gauvain (Galvagin), Galvariun (non-identifié, peut-être un double de Gauvain vu le nom) et Keu (Che). Au sujet de cette sculpture arthurienne, et d’autres, voir l’article de Stiennon et Lejeune dans les Cahiers de Civilisation Médiévale. [Note : Lays interprète Yder comme étant le personnage qui se retourne, ce qui serait cohérent avec le placement des noms, mais il est fort possible qu’Yder soit en fait celui qui le poursuit, et donc, comme dans le roman, sauve Arthur d’une embuscade !]
  • Sources, liens, résumés.
  • Annexe : Tableau de romans arthuriens isolés (qui ne sont pas compris dans un cycle)
  • [Addendum, 2023 :] La traduction Lemaire du Roman du Roi Yder fait désormais partie de l’anthologie Les Chevaliers de la Table Ronde, avec plein de belles choses, chez Quarto/Gallimard.

Musique

Benjamin Britten (1913-1976)
Suite from King Arthur (Arr. Hindmarsh): I. Overture (Générique)
Richard Hickox & BBC Philarmonic Orchestra

Gaelic Storm
The Bonnie Ship the Diamond
Gaelic Storm

Ludvig van Beethoven (1770-1827)
Egmont, Op. 84 : Overture
Jos van Immerseel & Anima Eterna Brugge

RQRF 28 : La Post-Vulgate (2/2) – La Queste del Saint Graal et la Mort Artu

Si une partie du cycle de la Post-Vulgate nous est parvenue en ancien français sous la forme de la Suite du Roman de Merlin (RQRF 27), sa Queste del Saint Graal et sa Mort Artu ne nous sont connues dans cette langue que par quelques fragments présents dans le Tristan en Prose (RQRF 24). Mais la conclusion du cycle nous est tout de même parvenue dans une intégralité relative par l’entremise d’autres langues romanes, à travers la Demanda do Sancto Graal portugaise et la Demanda del Sancto Grial castillane.

Dans cette conclusion plus ou moins résumée, la Queste, si elle reprend les grandes lignes de la version du Lancelot-Graal (RQRF 16), s’en distingue néanmoins par un ton beaucoup moins religieux, s’alignant sur le récit commencé par la Suite du Merlin, consacrant plus de place aux aventures de chevaliers tels que Palamède, Méraugis, ou Bliobéris, et peignant surtout un portrait beaucoup plus sanguinaire de Gauvain, qui y tue de nombreux chevaliers de la Table Ronde.

La Mort Artu, quand à elle, est plus proche de celle du Lancelot-Graal (RQRF 17), mais est réduite à l’extrême, expédiant les conflits avec Lancelot, l’Empereur de Rome et Mordred en quelques pages. Le pinacle est atteint avec la Demanda castillane, qui ne prend même pas la peine de dépeindre directement la mort de Mordred, qui n’y est d’ailleurs même pas le fait d’Arthur lui même! C’est après la mort du roi que l’originalité du cycle réapparait, avec une conclusion qui voit le Roi Marc ravager une dernière fois le royaume de Logres et détruire la Table Ronde, tandis que les derniers chevaliers d’Arthur deviennent ermites.

Si la Post-Vulgate a laissé très peu de traces en français, son influence n’a eu de cesse de s’étendre, puisqu’au delà de ses versions ibériques, c’est elle qui a servi de source principale à l’œuvre qui allait devenir la version « canonique » de la légende Arthurienne: Le Morte Darthur de Thomas Mallory.

Rex Quondam Rexque Futurus 28 : La Post-Vulgate (2/2) – La Queste del Saint Graal et la Mort Artu, version « Post-Vulgate » (décembre 2019)

Musique

Benjamin Britten (1913-1976)
Suite from King Arthur (Arr. Hindmarsh): I. Overture (Générique)
Richard Hickox & BBC Philarmonic Orchestra

Francesco Corbetta (vers 1615-1681)
Caprice di ciacona per la B
Rolf Lislevand & Ensemble Kapsberger

Matchbox Twenty
How Far We’ve Come
Exile on Mainstream

Leonard Bernstein (1918-1990)
Chichester Psalms: 1. Psalm 108:2 / Psalm 100
Leonard Bernstein, Israel Philarmonic Orchestra & Wiener Jeunesse-Chor

Robert Burns (1759-1796)
Auld Lang Syne
Paul Mealor & University of Aberdeen Chamber Choir

RQRF 27 : La Post-Vulgate (1/2) – La Suite du Roman de Merlin

Tout indique qu’entre 1235 et 1240 le Lancelot-Graal (RQRF 15 à 18)a subi un remaniement où l’on a tenté d’en harmoniser le ton et le sujet, qui a résulté en un nouveau cycle arthurien que nous connaissons de nos jours sous le nom de Post-Vulgate, attribué à un pseudo-Robert de Boron. Pour lui servir de pièce centrale fut composée une nouvelle suite du Merlin en prose, généralement appelée la Suite du Roman de Merlin, suite romanesque ou suite-Huth (d’après le nom du possesseur de l’un de ses manuscrits) pour la distinguer de la Suite-Vulgate du Merlin (RQRF 18) – préexistante, mais identifiée plus tard.

RQRF 27 : Post-Vulgate (1/2), La Suite du Roman de Merlin (novembre 2019)

De l’aveu même du narrateur, ce récit du début du règne d’Arthur cherche en fait à remplacer le Lancelot propre (RQRF 15), qui était trop long, et recentre donc le cycle sur Arthur, dont les exploits héroïques que relataient la Suite-Vulgate sont remplacés par un récit bien plus sombre et sceptique vis-à-vis de la chevalerie. La haine de Morgane n’y concerne plus seulement les amants Lancelot ou Tristan mais vise bien son frère le roi, qu’elle veut détrôner et tuer. L’inceste d’Arthur avec une autre de ses sœurs, engendrant ainsi Mordred, futur destructeur du royaume, souligne la fatalité, les rouages inévitables du destin. On ne prend même plus le temps de douter ou de s’émerveiller des prophéties qui parsèment le monde, et Merlin lui-même ne recule pas devant sa fin sordide…

La Post-Vulgate ne nous est pas parvenue sous une forme complète continue ou entièrement cohérente. L’Estoire del Saint Graal (RQRF 18) et le Merlin en Prose (RQRF 10), repris avec quelques altérations du Lancelot-Graal, forment avec la Suite du Roman de Merlin les deux premières parties de ce que le pseudo-Robert, revendique comme une trilogie. De son dernier volet, il nous est resté des versions particulières de la Quête du Graal et de la fin du royaume arthurien dans des versions portugaise et castillane, ainsi que quelques fragments du Tristan en Prose, comme nous le verrons dans le prochain épisode. Peu après la première publication du manuscrit Huth de la Suite, on y avait vu des correspondances avec ces versions ibériques, mais c’est bien à Fanni Bogdanow qu’il est revenu d’avoir plus récemment articulé une reconstitution de ce cycle, qu’elle baptise aussi le Roman du Graal. Là où les parties disparates du Lancelot-Graal ne parvenaient jamais à s’accorder sur leur tonalité, ici, tout a été mis au diapason crépusculaire de la Mort Artu

Musique

Benjamin Britten (1913-1976)
Suite from King Arthur (Arr. Hindmarsh): I. Overture (Générique)
Richard Hickox & BBC Philarmonic Orchestra

The Jetzsons
Hard Times
The Complete Jetzons

Felix Mendelssohn (1809-1847)
Symphonie n°3 en la mineur « Écossaise », op. 56 : II. Vivace non troppo
Jaime Laredo & Scottish Chamber Orchestra

Jason Webley (1974-)
Pyramid
Margaret

Carl Philip Emmanuel Bach (1714-1788)
Concerto pour violoncelle et orchestre en la majeur, Wq 172: III. Allegro assai
Roel Dieltiens & Orchestra of the Eighteenth Century

RQRF 26 : Méraugis de Portlesguez et La Vengeance Raguidel

Les manuscrits de Méraugis de Portlesguez nous disent qu’il est l’œuvre d’un certain Raoul de Houdenc, qui est probablement aussi le Raoul qui signe La Vengeance Raguidel.

Rex Quondam Rexque Futurus 26 : Méraugis et la Vengeance Raguidel (octobre 2019)

Méraugis de Portlesguez convoite l’amour de Lidoine pour ses vertus, et non pour sa beauté, contrairement à Gorvain de Cadruz qui veut l’affronter pour cela. Lidoine est sous le charme de Méraugis mais le début de leur relation est repoussé à un an plus tard, durant lequel Lidoine veut voir Méraugis faire ses preuves au cours d’aventures. Et justement, on réalise que, Gauvain n’est toujours par revenu de la quête de « l’Épée aux Estranges Ranges » annoncée dans le Conte du Graal (RQRF 7). On ne le sait pas mais Gauvain est en fait prisonnier d’une île où il doit combattre et tuer – ou être tué – par tous les chevaliers de passage. Méraugis part pour « l’esplumoir Merlin » où il espère retrouver sa trace, mais son aventure et celle de Lidoine croisera aussi à nouveau la route de Gorvain…

Dans La Vengeance Raguidel, le cadavre du chevalier Raguidel arrive de nuit à la cour d’Arthur par un bateau se mouvant tout seul, comme dans la Première Continuation (RQRF 8). Une lettre indique qu’il ne pourra être vengé que par celui qui parvient à enlever le tronçon de lance fiché dans sa poitrine – et qui se révèle être Gauvain – aidé de celui qui arrive à lui enlever ses cinq anneaux – c’est-à-dire Yder, mais qui disparaît avant que Gauvain le sache.  Oubliant la lance, Gauvain se bat d’abord contre un Chevalier Noir, avec qui il se réconcilie. Il est ensuite reçu incognito par une dame dont il a déçu l’amour jadis, et qui veut désormais le tuer avec une sorte de guillotine, comme dans le Perlesvaus (RQRF 11). Pour l’attirer dans son piège avant qu’il n’arrive par hasard, elle avait enlevé et torturé son frère Gaheriet. Après cela, Gauvain s’amourache de la belle Ydain, qui le déçoit par son infidélité, avec des scènes et une morale misogyne qui rappellent Le Chevalier à l’épée (RQRF 19). Gauvain retrouve enfin le bateau merveilleux, qui l’amène en Écosse. Là, il croise de nouveau Yder, avec lequel il espère pouvoir venger Raguidel, en vainquant le terrible Guingasouin, ses armes enchantées et son ours apprivoisé…

En plus de placer Gauvain dans un rôle de premier plan, comme La Mule sans frein ou Le Chevalier à l’épée (RQRF 19), ces deux romans du début du XIIIe siècle se rejoignent dans une référence appuyée à Chrétien de Troyes et ses continuateurs, un sérieux goût pour l’ironie et l’humour et une recombinaison inventive de motifs connus de la littérature arthurienne.

  • Le podcast Arthurian Mythia.
  • Illustration de l’épisode: composée à partir de fac-similés des miniatures de l’esplumoir Merlin et de la Carole enchantée dans le manuscrit de Vienne de Méraugis de Portlesguez, reproduits dans l’édition de Michelant.

Musique

Benjamin Britten (1913-1976)
Suite from King Arthur (Arr. Hindmarsh): I. Overture (Générique)
Richard Hickox & BBC Philarmonic Orchestra

Antonio Salieri (1750-1825)
Prima la musica e poi le parole: Sinfonia
Nikolaus Harnoncourt & Concentus Musicus Wien

Joe Dassin (1938-1980)
Siffler sur la colline
Joe Dassin (Les Champs-Élysées)

The Dead South
In Hell I’ll Be In Good Company
Good Company

RQRF 25 : Quelques lais bretons anonymes

A la suite de Marie de France (RQRF 14), d’autre poètes se sont attaqué au genre du lai breton. Ces courts textes en vers, racontant des aventures souvent merveilleuses qui auraient fait l’objet de lais lyriques composés par les anciens Bretons, entretiennent souvent une relation vague au reste de la matière de Bretagne.

Ainsi, les lais anonymes de GuingamorGraalent et Mélion reprennent des noms ou motifs déjà présents chez Marie de France, dans des lais tels que GuigemarLanval ou Bisclavret, en ôtant ou ajoutant à loisir des personnages comme Arthur, Guenièvre et Lancelot. Le Lai du Cor attribué à un certain Robert Biket, ainsi que le Lai du Court Mantel anonyme, témoignent eux d’un motif récurrent des légendes arthuriennes: l’arrivée à la cour d’un objet fantastique qui peut révéler l’infidélité des dames présentes, un sujet que l’on peut imaginer épineux dans un univers ou les triangles amoureux entre roi, reine et chevalier sont monnaie courante.

L’importance de l’amour courtois est d’ailleurs le sujet du Lai du Trot, qui en fait d’aventure relate une brève allégorie qui semble tout droit sortie du Perlesvaus (RQRF 11). Quand au Lai de Tyolet, il combine l’histoire de l’arrivée à la cour d’Arthur du fils d’une veuve dame très semblable à Perceval (RQRF 7) avec une chasse au cerf blanc proche de celle de la deuxième continuation du Conte du Graal (RQRF 8)…

Rex Quondam Rexque Futurus 25 : quelques lais bretons de plus (septembre 2019)
  • 0:00:00 Générique
  • 0:00:58 Introduction
  • 0:08:44 Éditions et traductions des Lais
  • 0:19:20 Lai de Guingamor
  • 0:26:17 Lai de Graelent
  • 0:33:06 Lai de Melion
  • 0:41:44 Interlude musical : RURA – Day One
  • 0:46:12 Lai du Cor (de Robert Biket)
  • 1:00:16 Lai du Court Mantel
  • 1:16:04 Lai du Trot
  • 1:20:47 Interlude musical : Orphée aux Enfers
  • 1:23:34 Lai de Tyolet
  • 1:34:30 Conclusion
  • 1:42:01 Musique finale

Musique

Benjamin Britten (1913-1976)
Suite from King Arthur (Arr. Hindmarsh): I. Overture (Générique)
Richard Hickox & BBC Philarmonic Orchestra

RURA
Day One
In Praise Of Home

Jacques Offenbach (1819-1880)
Orphée aux Enfers: Ouverture
Marc Minkowski & l’Orchestre de l’Opéra de Lyon

Mélodie de crwth (rote) traditionnelle
Dryw Bach
Emerald Rae

RQRF 24 : Le Tristan en Prose

La légende de Tristan et Iseult (abordée dans RQRF 13) était déjà connectée au reste de l’univers arthurien, mais de façon assez superficielle. Dans les années 1230, quelques fans de Tristan en ont eu marre qu’il fasse bande à part et composèrent le long cycle de Tristan en Prose où il rejoint vraiment la Table Ronde. On pourrait presque parler de Tristan-Graal, car Tristan participe aussi à la Quête du Graal, suivant la Queste du Lancelot-Graal (RQRF 16), et s’illustre le reste du temps dans des tournois, duels et course-poursuites entre chevaliers qui auraient parfaitement leur place dans le Lancelot Propre (RQRF 15).

Très populaire, le Tristan en prose a été consigné dans plus de 80 manuscrits qui présentent un tel nombre de variantes et de divergences que l’œuvre donne parfois l’impression d’un Livre Dont Vous Êtes Le Héros. Au point qu’il fallut 34 ans pour que Renée Curtis (1963-1985) puis une équipe dirigée par Philippe Ménard (1987-1997) démêlent cette pelote d’intrigues et que soit complétée l’édition en 12 volumes de sa version la plus courante.

La légende des amoureux maudits n’est pas seulement prolongée, puisqu’on note aussi quelques innovations. Parmi celles-ci, un long prologue sur les ancêtres de Tristan ou le fait que d’autres chevaliers deviennent amoureux d’Iseult – comme le beau-frère de Tristan, Kahédin, qui mourra de son amour insatisfait, ou Palamèdes, le preux Sarrasin et rival de Tristan. Ils passent beaucoup de temps à se lamenter auprès de fontaines dans la forêt, donnant lieu à plusieurs des poèmes chantés qui parsèment la prose. On perd aussi toute sympathie pour le roi Marc, devenu ici un félon meurtrier, dont les crimes sont rarement punis, et dont les victoires participent à une vision cynique et désabusée du monde de la chevalerie.

Quelque peu sous-estimé par la critique moderne – quand elle n’a pas simplement été découragée par la complexité de la tradition manuscrite – ce roman a pourtant eu une grande influence. Il partage des épisodes avec la Post-Vulgate, un remaniement du Lancelot-Graal, même si le lien entre les deux reste discuté aujourd’hui. Il sera aussi beaucoup repris en italien (Tavola RitondaTristano RiccardianoTristano Panciatichiano…) avant de former la base des chapitres sur Tristan de la très influente Morte Darthur (~1469) de Thomas Malory, et d’être régulièrement réimprimé aux XVe et XVIe siècles. Alors qu’une nouvelle traduction est en cours de publication, c’est l’occasion de le redécouvrir dans le – prévisiblement – plus long épisode de Rex Quondam Rexque Futurus

Rex Quondam Rexque Futurus 24 : Le Tristan en Prose (juillet 2019)

[Mise à jour : deux tomes sur cinq de la traduction en français moderne du Tristan en prose ont pour l’heure (2020) été publiés par les éditions Anacharsis]

Musique

Benjamin Britten (1913-1976)
Suite from King Arthur (Arr. Hindmarsh): I. Overture (Générique)
Richard Hickox & BBC Philarmonic Orchestra

Stan Rogers (1949 -1983)
Oh, No, Not I
Turnaround

Thibaut IV de Champagne et Ier de Navarre (1201-1253)
Seignor, sachiez, qui or ne s’an ira
Guy Robert & l’Ensemble Perceval

Stan Rogers (1949 -1983)
Northwest Passage
Northwest Passage

Hector Berlioz (1803 -1869)
Neuf mélodies, « Irlande », op. 2: IV. La Belle Voyageuse
Véronique Gens, Louis Langrée & l’Orchestre de l’Opéra National de Lyon

RQRF 23 : Le Bel Inconnu de Renaud de Beaujeu

Dans le premier tiers du XIIIème siècle, Le Bel Inconnu, attribué par son manuscrit à un certain Renaud de Beaujeu, reprend, comme le Roman de Jaufré (RQRF 21), la tradition du roman arthurien en vers initiée par Chrétien de Troyes. Contrairement aux continuateurs de Chrétien, ou aux auteurs des grands cycles en vers ou en prose, Renaud de Beaujeu ne cherche pas à intégrer son récit dans une fresque plus vaste, mais préfère explorer le genre et ses figures imposées: les romans de Chrétien fournissent ainsi une première base aux aventures du titulaire Bel Inconnu, dont l’anonymat, calqué sur celui de Perceval, dissimule en fait Guinglain, fils caché de Gauvain et d’une fée. Mais Renaud de Beaujeu n’assemble pas simplement un patchwork des tropes de son illustre prédécesseur: il les retourne et les transforme, bâtissant une œuvre unique, étrange et intrigante, tout à fait différente de celles de ses contemporains.

Ignorant tout de son identité, son héros titulaire commence sa quête à la cour du roi Arthur, qu’il quitte bien vite pour aller sauver la Blonde Esmérée, fille du roi du Pays de Galles, retenue prisonnière dans sa cité ruinée par un enchanteur maléfique. En chemin, il devra affronter bien des défis pour prouver sa valeur, avant de pouvoir apprendre qui il est vraiment et sauver celle à qui il semble promis. Le plus grand obstacle sur son chemin, toutefois, ne sera pas une épreuve de force, mais plutôt l’amour d’une autre: la Pucelle aux Blanches Mains, reine de l’Île d’Or et magicienne aux pouvoirs prodigieux…

Rex Quondam Rexque Futurus 23 : Le Bel Inconnu (juin 2019)

Musique

Benjamin Britten (1913-1976)
Suite from King Arthur (Arr. Hindmarsh): I. Overture (Générique)
Richard Hickox & BBC Philarmonic Orchestra

Claude Le Jeune (1528-1600)
Le Printemps: I. Revecy venir du Printans
Denis Raisin-Dadre & Ensemble Doulce Mémoire

Vampire Weekend
Bambina
Father of the Bride

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Sérénade n° 9 en ré majeur K.320 « Posthorn »: III. Presto
Jaap Schröder, Christopher Hogwood & Academy of Ancient Music

RQRF 22 : Les Continuations de Perceval III & IV : Perceval Revolutions

Chrétien de Troyes avait laissé son Conte du Graal inachevé (RQRF 8) et les Première et Deuxième Continuations (RQRF 11) n’avaient pas beaucoup avancé la quête de Perceval : il revenait au château du Graal, mais lorsqu’il tentait l’épreuve de ressouder l’épée brisée qu’on lui tendait, il restait une fissure dessus, signe qu’il n’était pas encore digne d’accomplir la Quête… Malgré cela, comme il est tout de même sur la bonne voie, la dernière de la Deuxième Continuation nous dit que « Perceval se réconforte ». Alors que la prose est à la mode avec le Perceval en Prose (RQRF 10) et la Queste del Saint Graal (RQRF 16) qui avaient déjà conclu les aventures du Graal, deux auteurs vont essayer de poursuivre l’aventure de Perceval en vers de huit syllabes, comme Chrétien l’avait commencée – tout en piquant quelques scènes au Lancelot-Graal. Leurs tentatives semblent indépendantes malgré les points communs : on revoit Blanchefleur, la bien-aimée du héros, on rencontre Trébuchet, le forgeron qui fit son épée, mais justement, leurs versions se contredisent…

La « Troisième » Continuation, attribuée à Manessier s’ouvre sur le Roi Pêcheur qui, malgré l’échec relatif de Perceval, explique l’histoire du Graal, de Joseph d’Arimathie, et la raison de sa maladie : son frère, Goondesert, a été tué par le vil Partinal, qui s’était déguisé pour l’approcher. Après un coup si traître, son épée s’est brisée, et quand on lui en a apporté les deux moitiés, le Roi Pêcheur s’est flagellé avec jusqu’à en rester impotent. L’épée, presque ressoudée par Perceval, le désigne comme celui qui le vengera. Au cours des 11 000 vers d’aventures, Perceval exorcise le diable hors la Chapelle de la Main Noire, et avec Sagremor, Gauvain et quelques autres, sauve des demoiselles en détresse jusqu’à ce que leurs blessures les arrêtent. Finalement, Perceval tue Partinal, et rapporte sa tête au Roi Pêcheur, qui est immédiatement guéri, et réalise que Perceval est son neveu. Il en fait son héritier et peu après, Perceval lui succède et règne pendant sept ans, avant de se retirer du monde pour vivre en ermite. À sa mort, le Graal, la Lance et le Tailloir remontent au ciel.

Souvent nommée « Quatrième » Continuation, les 17086 vers ajoutés par Gerbert de Montreuil sont en fait insérés avant la Continuation de Manessier dans les deux manuscrits où on peut la trouver, le début et la fin ayant peut-être été coupés pour la raccorder. Après son échec au Château du Graal, Perceval brise son épée sur la porte du Paradis Terrestre, et pour cela, il est condamné à sept ans d’errance supplémentaires au cours desquels les chevaliers d’Arthur iront, déguisés en ménestrels, aider Tristan et Yseut, et Perceval retrouvera notamment Gornemant de Gorhaut, qui l’avait initié à la chevalerie, et la famille du Chevalier Vermeil, qu’il avait tué dans le Conte du Graal. En plus d’un goût pour la référence arthurienne, Gerbert y montre une ferveur religieuse particulière, même pour la littérature du Graal : la nuit de noces de Perceval et Blanchefleur est très chaste, mais une voix leur annonce quand même que de leur lignée sortira Godefroy de Bouillon qui conquerra Jérusalem (comme dans le Parzival), et quand Perceval libère les gens engloutis en enfer sous le Siège Périlleux, on prend le temps de nous raconter les supplices qui y attendent les homosexuels… Le texte de Gerbert finit exactement comme il avait commencé, en se raccordant à la fin de la Deuxième Continuation : Perceval réunit les deux moitiés de l’épée (mais cette fois avec succès), et on enchaîne sur le texte de Manessier.

Pris ensemble, les Continuations et leurs prologues portent l’histoire de Perceval, le jeune naïf qui n’a pas osé poser une question quand il vit l’étrange cortège d’un graal, à près de 60 000 vers. Sans atteindre la diffusion massive du Lancelot-Graal, elles témoignent de la force indéniable que l’œuvre de Chrétien continuait d’avoir, jusque dans sa forme poétique, et qui continue à nous captiver des siècles plus tard.

Rex Quondam Rexque Futurus 22 : Continuations 3 et 4 du Perceval (avril 2019)

Sommaire

  • 0:00:00 Générique
  • 0:01:06 Introduction
  • 0:17:00 Manuscrits et éditions des textes
  • 0:32:04 Prologues : L’Élucidation et le Bliocadran
  • 0:37:06 La « Troisième » Continuation de Manessier
  • 1:35:00 La « Quatrième » Continuation de Gerbert
  • 2:28:53 Conclusion

RQRF 21 : Le roman de Jaufré

Le Roman de Jaufré est le seul texte arthurien préservé en occitan. Dédié à un roi d’Aragon, on débat encore des étapes de sa rédaction et de sa datation exacte: celle-ci se situe probablement autour de 1225, mais certains supposent une première version qui pourrait remonter à 1169. Relativement négligé en France, il conquerra le public espagnol, qui le rééditera pendant des siècles, notamment sous la forme de chapbooks (des petits livres imprimés largement diffusés) et qui l’exportera jusqu’aux Philippines, où on en collectera une version en tagalog !

L’action commence à la Pentecôte, alors qu’Arthur attend qu’une aventure survienne avant de passer à table. Le début du roman semble se moquer de ce cliché, car rien ne venant, le roi doit partir en quête d’aventure, où il se retrouve à la merci d’une bête à cornes qui menace de le projeter du haut d’une falaise, au désespoir de la cour. Après qu’il soit révélé que la bête est en fait un enchanteur métamorphe qui lui fait une sorte de blague, Jaufré, fils de Doson, débarque à la cour et y est adoubé. Juste après, il voit le vil chevalier Taulat de Rougemont tuer un des hommes de la cour et part à sa poursuite. Sur son chemin, il devra affronter un sergent qui bondit comme un cabri, des géants lépreux, un chevalier démoniaque qui semble insensible à ses attaques, et aussi élucider le mystère d’une terre dont les habitants explosent régulièrement en cris et en lamentations, mais qui deviennent très violents quand il leur demande le pourquoi de leur tristesse…

Rex Quondam Rexque Futurus 21 : Le roman de Jaufré (mars 2019)

Musique :

Benjamin Britten (1913-1976)
Suite from King Arthur (Arr. Hindmarsh): I. Overture (Générique)
Richard Hickox & BBC Philarmonic Orchestra

Antoine Boësset (1586-1643)
Una musiqua
Vincent Dumestre & Le Poème Harmonique

Modeste Moussorgski(1839-1881)
La Foire de Sorotchintsy : Gopak
Charles Mackerras & Philharmonia Orchestra

Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Symphonie nº 4 en si bémol majeur, op. 60: IV. Allegro ma non troppo
Jos van Imerseel & Anima Eterna Brugge