Tout comprendre à Ségurant

par Lays Farra.

En lisant la presse, on apprend qu’on aurait miraculeusement découvert un roman arthurien perdu, Ségurant, le Chevalier au Dragon, reconstitué à partir de fragments par Emanuele Arioli… Mais quand on se met à creuser, les « fragments » en question ne sont pas vraiment ce qu’on imaginait, ils ne sont pas si « fragmentaires » que ça, et il semblerait que tous les textes concernés étaient déjà connus… Mais qu’a-t-on découvert, alors ? Après notre vidéo sur le sujet, cet article revient sur la réévaluation de la chronologie et de l’évolution des aventures de Ségurant, par Arioli et d’autres chercheurs, et ce que cela apporte vraiment à ce dossier passionnant et compliqué des romans arthuriens de la fin du XIIIe siècle.

Image de couverture dessinée par Lays Farra. Pour toutes questions, incertitudes, commentaires, corrections : contact@sursus.ch

De même si vous êtes intéressés à collaborer sur une publication sur le sujet de Ségurant, ou si vous aimeriez participer à la future traduction de cet article, qui devrait être adapté en anglais, italien, allemand, Ségurant étant traduit en diverses langues désormais.


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(La brochure 4 contient les annexes, dont les tableaux en couleur, avec les diagrammes en couleur réunis à nouveau à la fin, comme ça on peut imprimer celle-ci en couleur et les trois autres en noir et blanc.)

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Les diagrammes de l’article, à consulter abondamment :

Il est probablement plus facile de le lire en PDF, mais vous trouverez l’intégralité de l’article ci-dessous. Pour des raisons de mise en page, les annexes 2-4 sont disponibles en lien en fin d’article.

Table des matières

Tout comprendre à Ségurant, le chevalier au dragon

☙ Héros arthurien dont les aventures qu’on trouve diversement dans le complexe roman intitulé Les Prophéties de Merlin, la Quête du Graal particulière du manuscrit BnF 12599, les compilations attribuées à Rusticien de Pise et diverses histoires guironiennes qui en descendent, ont par leur dispersion et leur variété perplexé les grands sorciers des études arthuriennes, plongeant Ségurant dans un oubli relatif jusqu’à ce que récemment la trèsplaisante et récréative édition desdites aventures permette de le tirer de cette obscurité et de réévaluer les théories et la chronologie concernant l’origine et le développement du personnage, mais la correction d’un certain nombre d’idées reçues erronées engendra aussi, cependant, une grande confusion généralisée sur la nature & la portée de cette redécouverte, confusion qu’heureusement se propose désormais d’élucider & clarifier le présent traité à destination de toutes les lectrices & tous les lecteurs de bonne volonté et de coeur pur. ❧

“[…] on risque de substituer aux textes que nous voulons pénétrer des constructions de notre fantaisie. L’explication à jet continu des difficultés par le système des interpolations c’est la porte ouverte à toutes les chimères. On enfourche l’hippogriffe qui vous entraîne dans les régions éthérées des ‘textes primitifs’ qui se plient complaisamment à toutes les hypothèses.”

Ferdinand Lot, Étude sur le Lancelot en Prose, 1918:120-2.

“[…] conjecture, always provided that it be disciplined by fact and never be confounded by either writer or critic with assertion or proved statement, is a legitimate means for seeking to arrive at the truth.”

Lucy Allen Paton, Les Prophecies de Merlin, 1926:I.vii

SÉGURANT. – Et moi on ne m’appelle pas moi Ségurant le Brun dit Chevalier aux Trois pères fils d’Hector 6 ou d’Hector 9 ou d’Hector 13 ? Dit aussi Chevalier au Grand Appétit héros de l’aventure de la Tour de Cuivre ?

Florence Delay et Jacques Roubaud, Graal Théâtre, 2005:128-130

Introduction

La légende raconte qu’en 2010, Emanuele Arioli tomba sur les aventures de Ségurant le Brun, chevalier au dragon, dans le manuscrit de la Bibliothèque de l’Arsenal 5229, qui contient une version particulière du roman arthurien intitulé Les Prophéties de Merlin. Intrigué par ce héros qu’il ne connaît pas, il remarque par la suite que cette histoire se trouve continuée dans la trame plus générale des Prophéties de Merlin, et dans quelques autres traditions manuscrites : le manuscrit français 12599 de la Bibliothèque nationale de France, une compilation rattachée à Rusticien de Pise et les variations sur le cycle de Guiron le Courtois qui descendent de celle-ci.

Sur le sujet, Emanuele Arioli développa :

S’y ajoutent également un documentaire Arte (présenté en grandes pompes à la BnF), deux bandes dessinées, une qui réécrit l’histoire de Ségurant, une autre qui se sert de la trame pour discuter la quête des manuscrits d’un certain “Manu” (le DEAF la dit “mieux vendue”). On voit des traductions du livre et des BD en allemand, en anglais, en italien et en portugais. On fit de la publicité pour la traduction dans le métro parisien. L’éditeur répertorie une liste (incomplète) de ces nombreuses interventions médiatiques. Le centre de l’imaginaire arthurien de Brocéliande consacre une exposition à Ségurant. On prévoit, dit-on, d’ériger une statue en son honneur pour 2025. On ne peut que craindre que les futurs films Kaamelott y fassent allusion, voire qu’Arioli y fasse un caméo.

Pourtant, quand on examine les commentaires du public ou les questions que les journalistes posent à Arioli, il semble régner un large malentendu sur la nature du récit qu’il a édité et son histoire, et sur ce que les travaux d’Arioli ont vraiment établi de nouveau, malentendu que les très nombreuses interventions médiatiques de son éditeur échouent à dissiper. Les raccourcis que prit le documentaire Arte pour mettre en valeur son travail d’édition (qu’Arioli lui-même mentionne parfois) n’aidèrent pas non plus.

Comme nous allons le voir, il s’agit d’une tradition complexe, il n’est évidemment pas facile de présenter cette complexité sans créer davantage de malentendus quand on est invité dans un segment de quelques minutes à la télévision ou à la radio. Réduire le travail d’Arioli à avoir “découvert et reconstitué un roman perdu” est une simplification terrible qui induit manifestement le public en erreur, mais s’il fallait entrer dans les détails, cela demanderait de corriger et réfuter les théories de ses collègues. Se pose donc un problème de déontologie : quand on est invité sur tous les plateaux télés, est-il acceptable de profiter de cette tribune pour dénigrer les travaux d’autres universitaires, face à un public qui n’a pas les outils pour comprendre pleinement les subtilités des débats philologiques en jeu ? Un tel levier médiatique ne court-circuite-t-il pas le processus de débat universitaire ? C’est une bonne stratégie marketing de se restreindre à quelques formules larges (techniquement vraies si possibles) mais ça a aussi la vertu d’éviter ce genre de dynamiques.

En décembre 2023, nous y avions consacré une petite vidéo, faite rapidement, et donc avec quelques erreurs aussi, qui laissait intouchés de nombreux sujets. Un épisode de notre émission arthurienne, Rex Quondam Rexque Futurus reviendra aussi dessus. (Voir sursus.ch pour nos productions)

Le but des quatre sections de cet article sera par contre :

  1. de présenter, du mieux que nous le pouvons, et schémas à l’appui, le réseau de textes mis au jour par Arioli et son édition,
  2. ainsi que sa théorie sur l’histoire de ces textes, les arguments en faveur de celle-ci, tout comme les critiques qui ont pu lui être adressées
  3. de présenter un aperçu de ce que la discipline savait de Ségurant avant lui et quelles théories s’affrontaient quant à l’histoire de ces textes, celles qui anticipaient les reconstructions d’Arioli tout comme celles qui s’en éloignaient. 
  4. Et en conclusion, nous reviendrons sur certains des malentendus les plus courants que nous avons pu voir dans la presse pour les mettre au clair un par un, tout comme d’autres malentendus plus inventifs, en essayant de lister, finalement, ce que l’on doit véritablement aux les travaux d’Arioli, pour souligner ce qu’il y a d’original et de nouveau dans sa réévaluation de ce dossier passionnant sur les romans arthuriens en prose de la fin du XIIIe siècle.

Pour tous commentaires, remarques, questions, imprécisions détectées : contact@sursus.ch

Le document sera probablement mis à jour pour le perfectionner.

Note sur les références. 

Nous renvoyons à la plupart des textes mentionnés sous le format [nom de l’auteur] [année]:[volume].[page/paragraphe] ainsi (Paton 1926:I.39n1) renvoie à la note 1 au bas de la page 39 du premier volume de l’édition des Prophéties par Paton, en 1926. (Avec un lien vers la source en ligne quand elle est disponible) Les textes datant de la même année sont distingués par un mot du titre par exemple Koble Prophéties 2009 pour son ouvrage et Koble Ségurant 2009 pour son article.

Pour les travaux d’Arioli nous renvoyons à “Étude 2016” pour le tome de l’Histoire littéraire de la France, “Étude 2019” pour Ségurant ou le Chevalier au Dragon (XIIIe-XVe siècles). Étude d’un roman arthurien retrouvé. Sans précision, c’est que nous renvoyons, pour les récits sur Ségurant dans leurs versions cardinale, complémentaires et alternatives, aux deux volumes de son édition : Arioli 2019:II.35.

En ce qui concerne les manuscrits, ils sont désignés par la collection qui les détient + leur numéro de matricule (E. g. Bodmer 116, BnF 358), numérotés non par page mais par folio, par feuille, précisant ensuite recto ou verso : Bodmer 96-2 fol. 56r, on peut aussi préciser par une lettre la colonne spécifiée, par exemple si le manuscrit a deux colonnes : fol. 56ra (recto, première colonne), fol. 56rb (recto, deuxième colonne), fol. 56rc (verso, première colonne), fol. 56rd (verso, deuxième colonne) — en numérotant de a à f s’il y a trois colonnes. Puisque les manuscrits de la Bibliothèque nationale de France qu’on discute sont tous dans la section français on donne BnF au lieu de BnF fr., précision ici inutile. (À nouveau, s’ils sont numérisés en ligne, la référence aura un lien vers les images du manuscrit)

Abréviations : 

cf. confer, “voir” renvoie à une référence
e.g exempli gratia (= “par exemple”)
fol. folio
Ibid. Ibidem (= “au même endroit”) renvoie à la référence citée juste auparavant
ms. manuscrit mss. pour manuscrits au pluriel
sqq. sequiturque (= “et ce qui suit”) indique “et pages suivantes” après un numéro de page 

I. Les Aventures de Ségurant : le réseau de textes

En lisant les compte-rendus de ses travaux dans la presse, on croirait facilement qu’il a trouvé quelques dizaines de chapitres dispersés dans divers manuscrits et les aurait mis bout-à-bout pour constituer un roman de Ségurant, mais en fait, sa “version cardinale”, qui reflèterait le “roman originel” vient essentiellement d’un seul manuscrit. Sur les 39 épisodes qu’elle comporte, 36 ne sont attestés que dans le manuscrit de l’Arsenal 5229, manuscrit très particulier des Prophéties de Merlin. Trois autres se trouvent dans le manuscrit de l’Arsenal mais aussi en dehors : 

  • L’épisode II se trouve dans la version courte des Prophéties de Merlin, ce qui permet de combler la lacune due à la perte d’un feuillet dans le ms. Arsenal 5229.
  • Et les épisodes VIII et X que l’on trouve aussi dans des récits “guironiens”, autour de Guiron le Courtois, et qui développent d’autres histoires autour de ces épisodes.

Voir l’annexe 1 pour le résumé de la version cardinale, épisode par épisode.

La traduction en français moderne en a choisi 22 épisodes et des extraits des variantes et continuations. Pour mieux situer tout cela, il nous faut commencer par la tradition des Prophéties de Merlin.

Prophéties de Merlin et Ur-Prophéties

Le personnage de Merlin est issu de traditions bretonnes (au sens large), galloises, sur un certain Myrddin, qui est au cœur de plusieurs poèmes gallois où ce barde proclame diverses prophéties poétiques. Geoffrey de Monmouth le combina au personnage d’Ambrosius Aurelianus qui apparaît dans l’Historia Brittonum (IXe s.) pour former le personnage de Merlin, enfant engendré par un incube et doué de prophéties, qui conseille les rois de Bretagne dans son Historia Regum Britanniae (~1136). Son chapitre IX est d’ailleurs constitué de prophéties de Merlin et il a pu être transmis à part. (sur l’Historia Regum Britanniae, voir RQRF 3

Il lui consacre aussi une Vita Merlini (1151), une vie de Merlin. 

Autour de 1200, Merlin figure au centre d’un roman en prose logiquement intitulé le Merlin en prose, faisant partie de la trilogie attribuée à Robert de Boron. Dans celui-ci le “prophète des Anglais” a toujours le don de prophétie, mais le récit développe l’histoire de son origine incube, un conseil de démons alarmés par la venue du Christ, qui a libéré tant d’âmes humaines des enfers, décide d’engendrer une sorte d’antéchrist pour le contrer, en violant la mère de Merlin. Cette dernière se repent suffisamment pour que son enfant soit sauvé, il tiendra bien sa connaissance du passé de son origine démoniaque mais Dieu lui accorde de surcroît la connaissance du futur, il pourra ainsi conseiller les rois de Bretagne et amener Arthur sur le trône. (Voir RQRF 10, De Myrddin au Merlin en prose pour tout ce développement)

Le Merlin en prose sera également intégré aux autres cycles arthuriens du XIIIe siècle, une Suite-Vulgate le raccorde au Lancelot-Graal, qui forme une large part du canon arthurien (voir RQRF 18), et une Suite du Merlin au cycle dit “post-Vulgate” ou “pseudo-Robert de Boron”. Les deux racontent, à leur manière la fin de Merlin : Viviane (ou Niniane) l’enferme dans une tombe ou une prison invisible. (Voir RQRF 27)

Le roman français qu’on appelle Les Prophéties de Merlin s’inscrit dans cette riche tradition. Le titre pourrait laisser penser qu’il s’agit seulement d’un recueil de prophéties de Merlin, comme le chapitre IX de l’Historia Regum Britanniae, mais on y trouve aussi, dans sa version longue, de nombreuses aventures chevaleresques typiques des romans arthuriens. 

L’histoire des Prophéties de Merlin inclut une intrigue prophétique, des récits centrés sur Merlin énonçant des prophéties, qui parlent de la fin du monde, de l’avènement du Dragon de Babylone, du contexte politique de la fin du XIIIe siècle ou du destin de divers chevaliers de la Table Ronde, et qui sont ensuite mises par écrit par ses scribes, Maître Antoine, le Sage Clerc, etc. ou inscrites sur des rochers avant d’être recueillies par des chevaliers. Merlin, comme d’habitude, est enfermé dans sa tombe par la Dame du Lac, Viviane, mais son esprit continue à y prophétiser et le chevalier Méliadus peut donc venir recueillir sa parole encore un moment. Perceval trouve également un livre de prophéties qui avaient été compilées quand Merlin était encore enfant. 

Dans la version longue des Prophéties de Merlin, ces récits sur Merlin, ses prophéties et ses scribes, sont entrecoupés d’épisodes romanesques : épisodes de la fausse Guenièvre et du Tournoi de Sorelois du Lancelot propre, Arthur est envoûté par la fausse Guenièvre et c’est donc son fou, Daguenet, qui doit mener la guerre contre les Saxons, les méchantes fées, Morgane et Sybille, complotent contre la cour d’Arthur et se chamaillent, les aventures d’Alexandre l’Orphelin, de Perceval, Palamèdes, et aussi d’un certain… Ségurant.

Le texte de la version longue a été édité par Lucy Allen Paton en 1926-1927 (en ce qui concerne les prophéties, avec résumé des aventures), par Anne Berthelot en 1992 et par Nathalie Koble en 2001 (malgré plusieurs annonces, son édition est restée inédite, mais elle est disponible en PDF depuis décembre 2023 ici). Cette dernière leur a aussi consacré une étude, parue en 2009 ; et les discute dans le cadre des Suites du Merlin en 2020.

Pour Nathalie Koble (2009) ces aventures chevaleresques sont “le côté d’Arthur”, en miroir de la trame de l’intrigue prophétique, le “côté de Merlin”, que l’on trouve à différents degrés dans les branches de cette tradition manuscrite complexe, formée de quatre groupes de manuscrits (identifiés par Paton et confirmés par des études ultérieures, cf. Benanati 2021:38) : 

Prophéties de Merlin Groupe I (version longue)
Version “longue” constituée de toutes ces aventures. Le manuscrit Bodmer 116 en contient la version la plus complète ses épisodes finaux ne se trouvant nulle part ailleurs. C’est la version “standard” des Prophéties de Merlin, mais ça n’implique pas qu’elle est sans altération, comme on va le discuter.Bodmer 116
BnF 350
British Library Add. 25434
British Library Harley 1629
Rennes BM 593
Modène, frammenti busta 11/1 fasc. 10
Prophéties de Merlin Groupe II (courte)
Version “courte” qui se concentre surtout sur les prophéties, sans les aventures romanesques arthuriennes.Vatican Reg. Lat. 1687
Bern Burgerbibliothek 388 
BnF fr. 98
BnF fr. 15211 
Bruxelles Royale 9624
Prophéties de Merlin Groupe III (Arsenal)Le manuscrit de l’Arsenal 5229. Contient l’intrigue prophétique mais n’inclut pas les épisodes romanesques de la version longue (sauf un, la Dame du Lac secourant Urien). En dehors de cela, il entrecoupe ailleurs d’autres aventures : la version cardinale de Ségurant.Arsenal 5229
(Contient la version cardinale)
Prophéties de Merlin IV (compilation)Recueils de prophéties de Merlin qui comme la  version courte se concentre surtout sur les prophéties, mais réarrangée dans un ordre différent (voir Paton I.35-38, 40-41 pour la correspondance entre ces manuscrits et l’édition Paton), et qui rajoutent des prophéties qu’on ne trouve pas ailleurs. (Présentées comme tirées d’un “Livre de Tholomer” qui se situerait au début de l’intrigue)Chantilly, Bibl.château 644 (n°1081) 2ra-59vb et 163rb-164vb

Venise BN Str. App. 29, 33r-87r
(proche de l’édition imprimée par Vérard en 1498.)
Tableau 1 : branches des Prophéties de Merlin

Ségurant : version cardinale (Arsenal 5229)

Le manuscrit de l’Arsenal 5229 contient donc des aventures qu’on ne trouve nulle part ailleurs, centrées sur Ségurant le Brun, chevalier au Dragon, et qui forment ce qu’Arioli appelle la “version cardinale” de Ségurant.

Issu du prestigieux lignage des Bruns, qu’on trouve dans Guiron le Courtois, il naît sur l’Isle Non Sachant, y fait vite ses preuves et est adoubé, avant d’aller se mesurer à la cour du roi Arthur. Il lance un défi à la ronde, fait planter sa tente à Winchester où aura donc lieu un tournoi, où il parvient à désarçonner tout le monde en prenant la place de la quintaine. Ségurant est donc un excellent chevalier, peut-être le meilleur du monde, ce qui semble déranger Morgane et l’enchanteresse Sibylle, qui invoquent des démons pour créer une illusion et l’ensorceler. Il voit ainsi un dragon monstrueux dévorer des dizaines de chevaliers, et fait le vœu de le pourchasser et de le tuer. Mais, il s’agit en fait d’une illusion, d’un démon invoqué par les sorcières qui a seulement pris cet apparence et fait mine de dévorer d’autres démons qui avaient pris l’apparence de chevaliers. Enchanté, il se lance à sa poursuite de manière obsessive. Donc Ségurant pourchasse un dragon qui n’existe pas ou en tout cas qu’il ne peut pas tuer. Et alors que la cour d’Arthur voudrait aller à sa suite, Morgane les convainc que Ségurant n’existe pas, qu’il faisait partie de l’illusion, et donc tout le monde l’oublie. Belle astuce du romancier pour expliquer que vous n’ayez pas encore entendu parler de Ségurant dans la légende arthurienne. (Voir l’annexe 1 pour un résumé complet de la “version cardinale”).

On pourrait expliquer la structure unique du manuscrit de l’Arsenal par un remanieur tardif. En effet, on le datait généralement au XVe siècle, et Arioli date plus précisément sa rédaction entre 1390 et 1403, ce qui reste plus d’un siècle après la rédaction des Prophéties de Merlin dans les années 1270. Toute hypothèse sur la version cardinale, qui aurait fait partie des Ur-Prophéties ou d’un “roman perdu de Ségurant”, repose donc sur un manuscrit unique et très tardif. Toutefois, comme le dit déjà Nathalie Koble, il “draine des matériaux narratifs inédits, mais savamment assemblés” et même s’il “se présente au lecteur comme un nouveau roman arthurien” (Koble Prophéties 2009:478) on ne peut exclure qu’il préserve des matériaux anciens :

“En examinant la structure de ce manuscrit, le lecteur ne peut donc s’empêcher de soupçonner qu’il est en présence d’un montage tardif intégralement constitué de fragments antérieurs dont ce manuscrit seul garderait la trace, ou bien que le compilateur s’est tout ou partie transformé en vrai romancier.” (Koble Ségurant 2009:§10)

Toutefois, elle dit aussi que l’auteur du manuscrit de l’Arsenal “a substitué aux épisodes narratifs des versions romanesques une quarantaine d’épisodes arthuriens qu’on ne trouve pas ailleurs.” (Prophéties 2009:151) et le titre de son article le présente comme “un roman arthurien monté de toutes pièces”, on y lira donc plutôt qu’elle penche pour une compilation tardive. (par exemple Carné 2016:193n1)  Dans la recension de Ségurant par Ferlampin-Acher (2021) une note de la rédaction précise que Nathalie Koble, qui était aussi dans le jury de thèse d’Arioli, s’est convaincue au fil du temps de la validité des théories d’Arioli. “Même, c’est elle qui avait orienté le travail en cette direction lorsqu’elle avait mieux vu où menait la lecture du ms. de l’Arsenal.” (Romania 2021:200)

La version longue des Prophéties de Merlin, inclut aussi des aventures de Ségurant (la “version complémentaire romanesque” d’Arioli), et dans son édition du ms. Bodmer 116, Anne Berthelot résume l’histoire et remarque que quand le récit passe à Ségurant c’est sur un ton qui laisse entendre qu’on a déjà beaucoup parlé de lui, alors que ce n’est pas le cas. (1992:18) On n’y trouve pas les épisodes du manuscrit de l’Arsenal, mais on y voit débarquer Ségurant enchanté qui poursuit sa quête du dragon, donc ça semble continuer cette histoire et y correspondre parfaitement. En 1926, Paton postule donc déjà que certains épisodes d’Arsenal 5229 devaient se trouver dans la composition originale des Prophéties de Merlin (qu’elle appelle “X”) sans quoi il devient difficile d’expliquer pourquoi Ségurant débarque ainsi dans la version longue.

D’autant plus quand on examine ce que partagent ces différentes branches :

  • Toutes reproduisent l’intrigue prophétique (dont des prophéties sur Ségurant) même si pas toujours en entier (des sections manquent dans le manuscrit de l’Arsenal par exemple)
  • Toutes les branches ont des épisodes qu’on ne retrouve pas dans les autres :
    • Unique à la version longue : épisodes romanesques
    • Unique à l’Arsenal : version cardinale
    • Unique à la version courte : fragment de Berne-Bruxelles, autres bribes de récits apparemment abrégés. (Paton I.20-21), une prophétie supplémentaire sur les “bons mariniers” (= Vénitiens, Paton I.66-7n11, Koble Prophéties 2009:125).
    • Unique au groupe IV : prophéties supplémentaires d’un “Livre de Tholomer” (peut-être plus tardives ?), développé dans des adaptations italiennes.
  • Dans la version longue et l’Arsenal (mais pas la version courte)
    • L’épisode de la Dame du Lac sauvant Urien
  • Dans la version courte, l’Arsenal et le groupe IV “compilation” (mais pas la version longue)
    • L’épisode II de la version cardinale, prophéties faites à Galehaut le Brun (aussi dans les ms. du groupe IV, Chantilly et Venise, l’édition Vérard en a un fragment)
    • Conversation de la Dame du Lac et de Bohort (Bern 81r ; Arsenal 140r) — aussi dans l’édition Vérard (LIIIv).

Liens qu’on peut illustrer sous la forme d’un diagramme de Venn : 

Fig. 1 : Diagramme de Venn de la tradition des Prophéties de Merlin. 

Pourquoi une tradition si éclatée ? Arioli postule qu’un facteur pourrait être la mise à l’index des prophéties de Merlin à la suite du concile de Trente (au sens large, pas seulement le roman des Prophéties de Merlin). Cette interdiction aurait causé la destruction d’un certain nombre de manuscrits qui auraient pu nous éclairer sur cette tradition. Ce faisant, il reprend une hypothèse aussi ancienne que raisonnable, déjà avancée par exemple par Jane Taylor (2011:100) mais on peut remonter jusqu’à Bellamy (1896:II.556) : le concile de Trente “achève [la] ruine” des Prophéties de Merlin.

Paton pensait donc que toutes descendaient d’un même archétype des Prophéties de Merlin (désigné “X”) mais que de par cette tradition très altérée, les possibles interpolations et contaminations entre différentes branches, il était impossible de le reconstituer précisément, même si elle avance des suppositions. (II.294)

Figures 2-3 : Stemmas des manuscrits des Prophéties de Merlin (X = Ur-Prophéties) :

Fig. 2 : Brugger 1937:44
Fig. 3 : Stemma de Paton dans le mémoire de Bégin, 2023, p. 2, voir Winand, 2020:191 pour un autre stemma des Prophéties de Merlin.

Arioli, est plus optimiste, et propose une reconstruction chapitre par chapitre de ce qu’il appelle les Ur-Prophéties, qui devait inclure l’essentiel de la version longue des Prophéties de Merlin, et de la version cardinale de Ségurant. L’intrigue prophétique sur Merlin et ses prophéties aurait été entrecoupée de la version cardinale dans sa première moitié et des épisodes romanesques de la version longue dans sa seconde moitié. Arioli remarque d’ailleurs que c’est précisément à la charnière entre ces deux moitiés qu’on voit de grandes altérations entre les différentes branches, la version courte ayant notamment le fragment de Berne-Bruxelles, où le scribe s’apprête à raconter une aventure de Ségurant chez une veuve, avant d’y renoncer, ainsi que d’autres bribes du genre. Cela pourrait être la trace des abréviations et remaniements qui auraient donné naissance à ces différentes branches.

Ms. Arsenal 5229Ms. Bodmer 116 (version longue)Berne-Bruxelles (Version courte)
[…][…][…]
Fin de la version cardinale : épisodes XXXVI-XXXIX 
154cIntrigue  prophétique
Sage Clerc s’envole sur la pierre 52
Bribes seulement dans version courte :
Bern 83va ? Bruxelles 47v-52r
Fragment sur Marc et le Sénéchal de Léonois (Bern 85ra ; Brux 49v)Fragment sur la fausse Guenièvre, (Bern 86ra ; Brux 52r?)Fragment sur  Marc emprisonné, Perceval vainqueur d’un tournoi. (Bern 89ra-b Brux 55?)
XXV Sage Clerc sur la Pierre 53
Bod XXVI : histoire des quatre pierres sur la couronne du Dragon de Babylone 55v
Prophétie X :sur la pierre de Ségurant 
Fragment de Berne-Bruxelles Ségurant chez la veuve
Bern 91va Bruxelles 55v
Bod. XXVII ;  Ren CLXXXVII-CCXX 59v demoiselle arrive avec une charteBruxelles 55v
*154c-157a la Dame du Lac sauve le roi Urien d’un enchantementSeul récit “arthurien” commun entre version longue et ms. de l’Arsenal.
Ici le manuscrit de l’Arsenal se conclut en rassemblant les épisodes de l’intrigue prophétique……dans lesquels les épisodes romanesques de la version longue sont intercalés. (cf. fig. 4 et annexe 3),
Tableau 2 : charnière des différentes branches des Prophéties de Merlin (extrait de l’annexe 3)

Un autre élément à l’appui de sa reconstruction transparaît quand on compare le texte des différentes traditions lors du passage d’un épisode à l’autre, comme Arioli le fait dans un tableau à la fin de son Étude (2019:360 sqq.), par exemple dans le ms. Arsenal 5229, Merlin dicte des prophéties à Maître Antoine (95vb), suivent les épisodes XVI à XX de la version cardinale puis le texte nous dit qu’on revient à Maître Antoine (103vb). La version longue n’a pas les épisodes de la version cardinale… mais le texte nous redit aussi que Maître Antoine mettait des prophéties de Merlin par écrit, alors qu’on ne l’a pas quitté ! (Bodmer 116 fol. 46rb) De même, à la place du fragment de Berne-Bruxelles, on retrouve “or lairons a parler de ces prophesies, si parleront d’autres” (Bodmer 116 fol. 59rb) — quand on change de scène d’accord, mais pourquoi une formule pour passer de prophéties à d’autres prophéties ? Semble un signe d’abrègement. Après l’épisode de Mador de la Porte, la version longue saute une séquence prophétique par erreur et ne la recopie que plus tard, créant une incohérence dans sa chronologie, etc. Il n’est pas toujours facile de déterminer si une branche abrège ou une autre développe, mais Arioli multiplie les exemples philologiques qui semblent attester d’abréviations qui vont dans le sens de sa reconstruction.

En examinant en parallèle ces différentes traditions, dans notre tableau annexe (cf. tableau 2 et annexe 3) ou bien sur le schéma ci-dessous, on voit plus clairement comment ces deux moitiés des Ur-Prophéties auraient pu s’agencer, la première moitié entrelaçant l’intrigue prophétique à la version cardinale et la seconde aux épisodes romanesques de la version longue des Prophéties de Merlin :

Fig. 4 : Schéma de la composition des manuscrits des différentes branches des Prophéties de Merlin

Continuations et variantes

Hors du manuscrit de l’Arsenal, Ségurant apparaît dans les autres branches des Prophéties de Merlin, certains des épisodes de l’Arsenal furent repris et prolongés en dehors. (Voir le Tableau 3 sur l’ordre de lecture possible des différents textes, et la Fig. 5 sur la tradition de Ségurant, pages suivantes)

Tableau 3 : Ordre de lecture possible des différentes versions de Ségurant (adapté d’Arioli)

(Voir schéma de la tradition textuelle page suivante)

Fig. 5 : Tradition des Prophéties de Merlin et de Ségurant

Version complémentaire romanesque

Dans la version longue, ou version romanesque des Prophéties de Merlin, quelques aventures de Ségurant ou mentionnant Ségurant semblent prendre le relais de la version cardinale. Ces sept épisodes, baptisés “version complémentaire romanesque” par Arioli, sont édités et résumés dans le deuxième tome de son édition.

Résumé d’après Berthelot 1992, Koble 2001, Arioli 2019

  1. Golistan cherche Ségurant pour se faire adouber par ce dernier, il trouve un chevalier qui tire une demoiselle par les tresses, qu’il abat. La demoiselle lui demande de lui couper la tête mais il refuse. Elle le tue donc avec un couteau et lui raconte que sa bande de malfaiteurs a déjà tué deux de ses sœurs et tenté de la violer. Ils se rendent ensuite au château d’une de ses sœurs, qui rassemble des troupes pour assaillir les bandits. En route, Golistan tue d’autres malfaiteurs et libère des femmes prisonnières dans le sous-sol d’un monastère, qui deviennent des nonnes. Il rencontre les chevaliers de l’Isle Non Sachant qui attendent Ségurant à son pavillon, il décide d’attendre avec eux.
  2. Perceval trouve un clerc enfermé dans une cage qui tournoie sur elle-même mais s’arrête quand un religieux célèbre la messe, une vieille dame lui apporte alors de la nourriture. Perceval n’arrive pas à le libérer. La vieille dame le mène à une inscription vers une tour abandonnée, qui raconte que ce clerc avait essayé d’enlever la dame du Lac, et que Merlin l’avait ensuite enchanté ainsi. Seul le chevalier au Dragon pourra le libérer. (certainement Ségurant)
  3. Pourchassant le dragon sans relâche, l’équipement de Ségurant se dégrade. Il arrive à la Cité Forte, où il voit le dragon plonger dans une rivière. La princesse, que la reine, sa marâtre, veut marier à son fils, Gui, rit en voyant Ségurant, et pressent que son arrivée est de bonne augure. Un tournoi est organisé, avec la main de la princesse à la clé. Cette dernière menace de sauter du haut de la tour si Gui le remporte. Le lendemain c’est Ségurant qui remporte le tournoi et vainc gui.
  4. Le jour suivant, la reine projette d’empoisonner Ségurant, qui y échappe car la princesse le réalise et lui amène de la nourriture, lui recommandant de ne pas en manger d’autre. Un nain amène un paon rôti au déjeuner, que la princesse jette, un chien le mange et en meurt. Ségurant adoube Richier, de la famille qui l’héberge, et le donne en mariage à la princesse. Il repart ensuite en quête du dragon qui est sorti de l’eau. La nuit, la reine boute le feu à la chambre de la princesse, mais tout le monde parvient à s’enfuir, sauf ladite reine, qui périt dans l’incendie. On célèbre le mariage de la princesse et Richier, qui un mois après succède au roi qui meurt.
  5. Ségurant parvient chez un ermite, à qui il explique poursuivre le dragon qui a dévoré une centaine de chevaliers au tournoi de Winchester. L’ermite remarque que Ségurant est enchanté, et qu’il ne s’en défera pas si facilement. Ségurant dévore ses provisions quand survient un messager annonçant que des chevaliers ont attaché 60 personnes sur des ânes dans le but de les brûler. Ségurant les détache sur quoi débarquent vingt-huit chevaliers qu’il tue ou blesse gravement. On célèbre sa victoire. Après manger, un prêtre explique que les chevaliers étaient en fait des servants révoltés qui ont brûlé une église et tué des chapelains. Ségurant repart à la poursuite du dragon.
  6. La Dame du Lac et Bohort arrivent à une tour gardée par deux immenses chevaliers, en fait des automates de cuivre, actionnés par une machine d’engrenages de cordes et de chaînes, et tout un système de mercure (explicitement pas magique). C’est l’œuvre d’un clerc qui cherche à y retenir une demoiselle prisonnière. La Dame du Lac annonce que c’est le chevalier au Dragon qui viendra à bout de cette aventure.
  7. Ségurant parvient à ladite tour. La Dame du Lac reconnaît son appétit démesuré et lui confirme qu’il est victime d’un enchantement, elle ne peut pas l’aider mais lui révèle qu’il devra rejoindre un navire en bord de mer, qui le rapprochera peut-être de son but. Le lendemain ils se rendent à tour, Ségurant aperçoit le clerc opérant le mécanisme par un entrebâillement et lui décoche une flèche qui le blesse mortellement. En mourant, il arrête la machine. La demoiselle lui demande de rester car la famille du clerc va se venger, et effectivement quelques jours après 400 chevaliers attaquent la tour, Ségurant les tue ou les met en déroute. Ils reviennent le lendemain et sont vaincus par Ségurant et la famille de la demoiselle. Ségurant poursuit sa quête.
  8. Golistan attend donc Ségurant à Winchester, à son pavillon. Il se lance à la poursuite d’un cerf poursuivi par une meute de chiens. Il parvient à le tuer près d’une source et donner sa chair aux chiens. Un chevalier débarque et réclame les chiens, ce que Gollistan refuse, ils s’affrontent. Son adversaire se jette dans l’étendue d’eau pour lui échapper, et commence à se noyer. Quatre compagnons tentent de lui porter secours mais sans succès. Gollistan jette les harnais de leurs chevaux à la flotte et s’enfuit en chevauchant toute la nuit. Le lendemain il aide un paysan et sa fille à défendre celle-ci d’un homme qui voulait s’emparer d’elle, il tue l’agresseur et tous ses suivants. (il n’est pas adoubé et peut se battre contre des vilains) Il mange ensuite chez eux et est rejoint par Ségurant qu’il reconnaît, à nouveau, à son grand appétit. Il lui demande de l’adouber. Ils restent festoyer chez les paysans pendant trois jours jusqu’à ce que le dragon réapparaisse et que Ségurant se lance à sa poursuite. (sa simple présence supplante l’enchantement de Pommenglois, puisqu’il est porteur d’un enchantement plus puissant) Golistan revient au pavillon avec les chevaliers de l’Isle Non Sachant et leur raconte son échec.

Sur les prophéties de Merlin (version longue et autres)

Pour éditer les Prophéties de Merlin, Lucy Allen Paton s’était appuyée sur le manuscrit de Rennes, qui reprend la version longue, mais en l’abrégeant. Le manuscrit qui contient le plus de matériel, aujourd’hui, le Bodmer 116, était aux mains d’une maison de vente et elle n’eut pas l’autorisation de l’éditer ou même de le résumer. (Paton I.9, I.51)  C’est sur ce manuscrit que se sont appuyées Berthelot en 1992 et Koble en 1997-2001 pour leurs éditions. L’édition de Koble est disponible en PDF sur HAL depuis décembre 2023. Il n’en existe pas de traduction en français moderne. Pour approcher le texte :

Pour Arioli (Étude 2019:62), il n’est pas possible de savoir si les épisodes de la version complémentaire romanesque ont été inventés par le compilateur des Ur-Prophéties ou s’ils auraient été puisés à une source antérieure, qui contenait aussi la version cardinale par exemple. Par contre, il remarque que là où la version cardinale semblait un “corps étranger” dans le manuscrit de l’Arsenal, les épisodes romanesques de la version longue s’entremêlent davantage à l’intrigue prophétique (Étude 2019:46). Certains d’entre eux impliquent le Sage Clerc par exemple, et dans l’aventure de la tour aux chevaliers de cuivre on voit Ségurant et Golistan rencontrer la Dame du Lac, qui vient, elle de l’intrigue prophétique, de même pour Perceval qui apprend que seul Ségurant pourra libérer le clerc dans la cage. Puisque le roman de Ségurant est censé avoir existé séparément des Prophéties de Merlin, ces épisodes qui mêlent les deux matières ne peuvent logiquement pas, pour Arioli, en être tirés. 

Quand on parle des Prophéties de Merlin c’est souvent de la version longue, qui est donc traitée comme la version standard, mais il ne faut pas oublier que le texte porte également des traces d’altérations. 

  • Désordre dans les épisodes de Perceval : sur la fin de l’intrigue prophétique, on voit Perceval recueillir un livre de prophéties de Merlin, consigné alors que celui-ci n’était qu’un enfant. Pourtant, plus tôt dans l’intrigue, on semble nous dire qu’il venait de quitter l’ermite… À ce moment, quand Perceval entre en jeu, il est d’ailleurs à la recherche de Corbénic, le château du Graal, ce qui semblerait plus logique dans la chronologie de la fin du roman…
  • Les épisodes finaux, qu’on ne trouve que dans le Bodmer 116 (et abrégés dans le manuscrit de Rennes) sont particulièrement décousus et ne semblent plus avoir de rapport les uns avec les autres.
  • Winand remarque d’ailleurs : “Aucune des fins proposées par la tradition manuscrite ne paraît donc absolument convaincante” (2020:59). Toutes semblent avoir ébauché de vagues tentatives de conclusion. Si l’on reprend le découpage de Koble, on peut tenter d’en placer la fin entre l’épisode LXXXII (la fin de l’unanimité de la tradition) et l’épisode CII (jusqu’auquel se poursuivent les manuscrits Bodmer et de Rennes).

Reste encore un problème théorique en suspend : le début des Prophéties de Merlin raconte qu’après Blaise, Merlin avait brièvement eu Tholomer pour scribe, avant que Maître Antoine ne prenne sa place après sa promotion. Certaines des prophéties sont présentées comme tirées d’un “livre de Tholomer”, Paton pense qu’il faisait bien partie des Prophéties de Merlin à l’origine (II.304 sqq.), davantage de fragments se trouvent dans le groupe IV de manuscrits (Chantilly, Venise, édition Vérard 1498 qui le développe davantage) et des adaptations italiennes (Paolo Pieri, La Storia di Merlino ; mss Parma, Biblioteca, Biblioteca Palatina, Palatino 39 ; Città del Vaticano, Biblioteca Apostolica Vaticana, Pal. lat. 949 ; l’incunable La Historia de Merlino, Venezia, Luca Venitiano, 1480). Brugger intègre ça dans le  stemma qu’il propose, en les plaçant proche de la racine. (1937:44

Véronique Winand rejette cette idée (2020:188) le “Livre de Tholomer” serait donc un rajout plus tardif, de la même manière que le livre de Blaise rajouté par l’Historia de Merlino italienne. D’ailleurs, Arioli se proposait il y a quelques années de consacrer une prochaine étude à trancher la question du “Livre de Tholomer” (2020:17) et à étudier les liens de tout ça “à d’autres textes partiellement perdus” et “d’autres épisodes et fragments inédits que que nous avons rencontrés au fil de nos recherches” (Étude 2019:48).

On a longtemps annoncé la parution d’une édition critique par Koble (Carné 2009:§1 ; Combes 2010:541 ; Taylor 2011:102n13) jusqu’à Arioli (Etude 2019:32n4), mais elle n’a pas vu le jour, par contre le texte de l’édition qui accompagnait sa thèse de 1997, et amendée pour sa thèse de 2001 est disponible en PDF depuis décembre 2023 sur HAL. Arioli lui-même annonçait en 2019 une édition prochaine des Ur-Prophéties reconstituées — à voir si cela serait vraiment utile.

Version complémentaire prophétique : les prophéties sur Ségurant

Même hors du manuscrit de l’Arsenal, dans les versions longues, courtes et “compilation”, on trouve des prophéties qui semblent parler de Ségurant. Elles se rapportent à un futur qui n’est pas raconté dans les Prophéties de Merlin ou les autres textes qui nous restent : son rôle dans la quête de Merlin, il se rend à Jérusalem, devient roi d’Abiron.

  1. Un chevalier de la famille de Galehaut le Brun trouvera la Dame du Lac après la mort de Merlin pour l’interroger. (Paton LXIII)
  2. Ségurant le Brun deviendra roi d’Abiron (Paton LXV-LXVI)
  3. Ségurant sera un guerrier redouté, lors de la quête du Graal il se rendra à Jérusalem et vendra les pierres précieuses que son père Hector le Brun avait amené de l’Isle des Griffons à l’Isle Non Sachant (Paton LXXXVII) – ce n’est pas raconté dans le manuscrit de l’Arsenal.
  4. Le roi d’Abiron chevauchera dans la forêt de Darnantes jusqu’à trouver des informations sur Merlin. (Paton CXXI)
  5. Ce roi s’appellera Ségurant et il battra tout le monde à la joute, personne ne pourrait le vaincre sauf Galaad. (Paton CXXIII-CXXIV)
  6. Avant la mort de la Dame du Lac, un seul chevalier viendra au tombeau de Merlin : le roi de Babylone et d’Abiron. (Paton CXXIX-CXXX) Dans les Prophéties de Merlin c’est en fait le cas de Méliadus, l’Historia de Merlino précise donc qu’il y aura en fait deux chevaliers.
  7. Comme Ségurant, un chevalier nommé Moran ira à Jérusalem, sera couronné roi d’Abiron, et reviendra à Darnantes parler à l’esprit de Merlin. (Paton CL) Pas d’informations par ailleurs sur ce Moran, il nous semble.
  8. Le chasseur du Dragon sera enchanté au tournoi de Winchester avant d’être couronné roi d’Abiron. (Paton CLIX-CLX) Cette prophétie, qui confirme la version cardinale, décrit un événement qui nous reste sous forme rédigée, pas le cas de la plupart des autres.
  9. Quand Ségurant reviendra à Logres en quête de la tombe de Merlin une source miraculeuse, d’eau bouillante, jaillira dans le palais d’Abiron. (Paton CLXXVII)
  10. La pierre du pavillon de Ségurant appartenait jadis à Philippe de Grèce. Hector, le père de Ségurant, l’avait trouvée sur l’Isle des Griffons. Ségurant la sertira dans sa couronne de roi d’Abiron et plus tard la fera sertir dans l’autel de Notre-Dame. Un serviteur du Dragon de Babylone l’en enlèvera pour qu’elle fasse partie des quatre pierres serties dans la couronne du Dragon de Babylone (l’Antéchrist). (Paton CCV)

Trois autres ne font pas partie de l’édition Paton car elles se trouvent dans des manuscrits plus minoritaires (Chantilly), l’édition princeps de 1498 ou une traduction italienne.

  1. Un descendant d’Hector le Brun sera roi de Jérusalem et si preux que personne n’osera l’affronter, tout le monde fuira devant lui. (Chantilly 32ra-32rb ; Vérard 1498:17va)
  2. Quête de Merlin sera achevée par le chevalier au dragon après qu’il se sera mis à la place de la quintaine devant la cour d’Arthur. (Vérard 1498:136ra)
  3. Ségurant, roi d’Abiron aura une descendance qui fera croître la gloire de dieu, conquerra châteaux et villes des sarrasins sans pitié, mourra jeune de mort naturelle. (Historia de Merlino 1480:76rb (k3, livre IV, chapitre V), aussi le manuscrit Parme Biblioteca Palatina, Palatino 39, fol. 134r, mais qui date d’après l’édition).

Le personnage de Ségurant fait par ailleurs son apparition dans la Queste 12599, dans la compilation de Rusticien de Pise, et, apparemment à la suite de ce dernier, dans la tradition “guironienne” autour de Guiron le Courtois.

Épisode complémentaire 12599 

Queste 12599

La Queste 12599 est, pour reprendre le sous-titre de son éditeur Damien de Carné une quête tristanienne insérée dans le manuscrit BnF 12599. Si ce n’était pour le charme de ce matricule aux airs de science-fiction, nous aurions proposé de la nommer la Queste glatissante pour rajouter à la confusion que les arthuriens aiment tant.

Le manuscrit BnF 12599 est une compilation arthurienne très particulière, qui contient, outre des morceaux du Tristan en prose et du cycle de Guiron, la Folie Lancelot (qu’on trouve aussi dans BnF 112) et la Queste 12599 — qu’on trouve uniquement dans le 12599 d’où son nom. 

Tableau 4 : contenu du ms. par Carné 2018

En comparant la Folie Lancelot dans ses deux manuscrits, on observe que les scribes du 12599 avaient tendance à abréger les récits qu’ils transcrivaient pour qu’ils tiennent dans la fin d’un cahier, voire la fin d’une page, et le début ou la fin de la Queste 12599 semblent malheureusement abréger leur modèle, que nous n’avons plus par ailleurs.

Qu’elle reprenne les codes du Tristan explique peut-être sa place dans un manuscrit très “tristanien” mais elle donne aussi suite aux récits des Prophéties de Merlin et pourrait être la trace d’un cycle qui en découle. Ségurant y figure, mais son lien à Guiron le Courtois semble plus allusif. Là où le cycle de Guiron se ménage un espace temporel en s’appuyant sur les pères des héros habituels, la Queste 12599 met plutôt en scène de jeunes héros. Ainsi “La présence même de Ségurant, qui relève du personnel romanesque guironien, s’explique par ce recours à la jeune génération et s’inscrit donc, en dépit de l’appartenance de surface à telle ou telle matière, dans cette même perspective opposée au guironisme.” (Carné 2021:LIXn92) 

Résumé : épisode complémentaire 12599

(D’après les éditions par Arioli en 2019 et Carné en 2021.)

Dans le pavillon de Ségurant, à Winchester, Golistan est pressé que Ségurant lui “donne l’ordre de chevalerie” pour qu’il puisse enfin venger la mort de son père, le Morholt, tué par Tristan. Cependant, Ségurant n’a entendu que du bien de Tristan et n’est donc pas pressé de lui permettre de se venger, et le paie de mots, le mène en bateau.

Ils voient passer un chevalier, transporté sur un âne par quatre paysans,  quatre “vilains”, qui l’ont fouetté avec des courroies jusqu’au sang. Golistan les défie, et Ségurant en tue trois. Le quatrième demande merci à  Golistan et raconte que c’est un chevalier de la Table Ronde, Dinadan, et qu’il a violé sa fille et fut pris en flagrant délit, après qu’ils aient entendu les cris de sa fille et l’aient trouvée éplorée. Ils le menaient à un comte qui a autorité sur eux pour que justice soit rendue. On délie Dinadan qui va se reposer dans le pavillon, tandis que Golistan laisse partir le paysan mais lui fait jurer de ne plus porter la main sur un chevalier, et s’ils ont un problème avec un chevalier, qu’ils demandent justice à un autre chevalier.

Ségurant ne reconnaît pas Dinadan tout de suite (apparemment Golistan ne lui transmet pas son identité), mais un jour celui-ci le reconnaît à son appétit et s’exclame que même sur l’Isle Blanche (allusion au Graal nourricier ? C’est le nom de l’île sur laquelle Joseph d’Arimathie accoste dans la Continuation Gauvain) et que comme il le lui a dit “maintes fois” il est bien un loup, et sa mère avait dû coucher avec un loup pour l’engendrer — en effet ça correspond parfaitement à ses railleries au tournoi de Winchester. Ségurant le reconnaît alors et lui répond que la demoiselle qu’il a violé aurait dû “trancher votre chose” avec les “pendanz” pour dissuader de futurs chevaliers errants de se comporter en violeurs. Dinadan rétorque que c’est la “chose” de la mère de Ségurant qu’on aurait dû écorcher. Ségurant rit et lui demande ensuite des nouvelles de la cour d’Arthur, il loue les exploits de Galaad, Lancelot et Tristan. En chemin, ils croisent deux groupes de 40 chevaliers qui s’affrontent, il enjoint Dinadan d’aller aider ceux qui ont le dessous, mais il refuse, Ségurant les aide et se moque de Dinadan. Ils discutent de Tristan et Lancelot, Ségurant dit qu’il n’aimerait pas les affronter.

Ils croisent Galaad, Lancelot, Tristan et Palamède auprès d’une source. Golistan demande, en vain, à être adoubé pour tuer Tristan. Ségurant renverse Palamèdes, Tristan et Lancelot mais refuse d’affronter Galaad, puis il s’enfuit dans la forêt avec Golistan.

Dinadan reste avec eux et révèle que c’est le chevalier au dragon qui était enchanté jusqu’à l’épreuve du Siège Périlleux, il rappelle à Lancelot que la Dame du Lac ne veut pas qu’il l’affronte. Lancelot comprend donc que c’est le vainqueur du tournoi de Winchester. Galaad se moque de Palamèdes quant à sa religion. Un chevalier et une dame sont poursuivis par dix chevaliers, le chevalier se retourne et affronte un d’entre eux, ils s’entretuent. La dame se lamente : c’étaient deux prétendants, elle en haïssait un, auquel sa famille l’avait promise, et cherchait à s’enfuir avec l’autre. Dinadan ne veut pas escorter la dame, Tristan le lui reproche, il lui rétorque qu’il a bien laissé Yseult à la Joyeuse Garde ! Mais deux des frères de la dame arrivent et elle repart avec eux. 

Palamèdes va donc recevoir le baptême à Camelot. (peu cohérent avec la chronologie habituelle de la Queste du Tristan)

Ségurant et Golistan reviennent à Winchester, où ils trouvent une nef qui les ramène à l’Isle Non Sachant, mais Ségurant voit des lettres écrites sur le mur de l’église qui lui font savoir que le Pape a appelé une croisade, et il décide donc de partir outremer, pour la terre sainte.

Du côté de Guiron

Guiron le Courtois

En ouvrant l’édition récente du cycle de Guiron le Courtois on ne trouvera pas Ségurant le Brun, mais on y trouve sa famille, la famille des Bruns, et Ségurant apparaît dans des textes “guironiens” qui s’en inspirent, ce qui a pu créer beaucoup de confusion, il vaut donc la peine d’en toucher un mot.

Dans les manuscrits médiévaux on désigne souvent cet ensemble comme le roman de Palamèdes, quoique ce dernier ne soit pas du tout le personnage principal. De façon célèbre, c’est sous ce nom qu’il semble apparaître dans une lettre de Frédéric II datant de 1240, cette très rare attestation précise d’un roman arthurien, en Italie qui plus est, semble indiquer qu’il existait déjà, peut-être sous une forme différente de celles qui survivent.

Centré sur les pères des héros habituels de la Table Ronde (ainsi Méliadus, le père de Tristan), ce cycle foisonnant étudié et catalogué par Löseth et surtout Lathuillère a longtemps découragé les spécialistes. En 1966, Lathuillière avait numéroté et classé tous les épisodes guironiens qu’il avait trouvés, mais considérait que faire un stemma de tous les manuscrits de Guiron le Courtois, un arbre généalogique qui clarifie leur variété était “aussi difficile qu’illusoire”. (Lathuillère 1966:106 cf. Lagomarsini 2017) Trop de transplantations et de réécritures, mais le manuscrit BnF 350 lui semblait fournir une “vulgate” acceptable et de meilleure qualité que le reste.

Pour les chercheurs plus récents du Groupe Guiron cette vulgate doit sa qualité à une harmonisation plus tardive, par contre ils en sont venus à des conclusions plus optimistes quant à la possibilité d’une édition, notamment en considérant séparément la trajectoire des trois volets principaux (Meliadus, Guiron, Suite Guiron) élaborés en substance entre 1230 et 1270 environ et complétés ensuite par des continuations et des textes de raccords, qui se perdent ensuite dans de multiples versions et textes dérivés. Suivant leur analyse : 

  1. Roman de Meliadus (avant 1240 prob. ~1230-1235)
    1. Continuation Meliadus (après 1240 ?) — édition à paraître.
    2. “Textes de raccords” reliant le Meliadus et le Guiron. La seconde partie du raccord A daterait de ~1240-1300, à sa suite sont rédigées la première partie du raccord A et le raccord B (entre le milieu XIIIe et la fin XIVe)
  2. Roman de Guiron (avant 1240, prob. ~1235-1240)
    1. Continuation Guiron (~1240-1280), en entier seulement dans Londres Add. 36880 et le ms. X (indisponible) — d’après les éditeurs, le plus ancien des compléments aux trois branches principales du cycle.
  3. Suite Guiron (~1240-1270). Le manuscrit de l’Arsenal 3325 qui contient la plus grande partie du texte daterait de (1270-90) cf. la thèse avec édition partielle de Dal Bianco (2021) — édition à venir.

Voir les fiches Arlima sur chaque volet et le court résumé et les liens vers les volumes déjà parus. depuis 2020, sur le site du groupe Guiron. (disponibles gratuitement en PDF — manque encore Suite Guiron et Continuation Méliadus)

La famille des Bruns (Hector le Brun et surtout Galehaut le Brun) fait son apparition dans le Roman de Guiron, la Suite Guiron et la Continuation Guiron. (voir par exemple l’article de Sophie Albert de 2007 sur Galehaut le Brun)

Le manuscrit de l’Arsenal, on l’a vu, est centré sur un nouveau membre de cette famille : Ségurant le Brun. Il est le fils d’Hector le Brun (le Jeune) et le neveu de Galehaut le Brun (le Jeune), qui sont les fils, respectivement, de Galehaut le Brun (le Vieux) et d’Hector le Brun (le Vieux). Ce dédoublement des Hector et des Galehaut pourrait indiquer une déformation de la tradition en cours de route. (Carné 2022) Les différents manuscrits donnent ensuite des généalogies souvent contradictoires, ce dont se moquait par exemple Graal-Théâtre.

En plus de la famille des Bruns, les Prophéties de Merlin empruntent un autre point à l’univers guironien : l’origine de Méliadus, amant de la Dame du Lac. Il serait le fruit de l’union de la reine d’Écosse et de Méliadus, le père de Tristan, qui l’avait enlevée — enlèvement qui se trouve dans le roman de Méliadus.

Rusticien de Pise

Rusticien de Pise, qui aurait consigné les aventures de Marco Polo, nous a aussi transmis une compilation d’épisodes arthuriens, non un roman suivi mais un texte qui met bout-à-bout des épisodes, souvent tirés d’ailleurs, sans forcément les lier, et en en rajoutant de son cru. Écrite entre 1270 et 1298 (et probablement ~1270-1274 pour Bogdanow) elle fut éditée par Fabrizio Cigni en 1994. Elle mentionne déjà Ségurant en passant, avec son titre de chevalier au dragon : 

Or sachiez que li Viel Chevalier estoit només messire Branor li Brun, ci fu oncles de m. Sigurans le Brun <car il fu frere charnel son pere>, et fu cousin li buen Ector le Brun. […] Branor li Brun, oncles de mesire Siguranz le Brun, li Chevalier au Dragon, et cousin de mesire Ector le Brun (Cigni 1994:241-2)

Possible que Rusticien connaisse déjà l’histoire de Ségurant telle qu’on la trouve dans le manuscrit de l’Arsenal et le reste des Prophéties de Merlin, mais il ne développe pas davantage. 

Cigni s’appuie sur le manuscrit BnF 1463, qui serait le meilleur témoin de l’œuvre de Rusticien. En effet, cette compilation fut souvent remixée et compilée à son tour (notamment par les “versions alternatives” de Ségurant discutées ci-dessous) et les autres manuscrits qui la transmettent rajoutent des épisodes, dans une sorte de compilation guironienne que Lagomarsini baptise Les Aventures des Bruns et qu’il considère comme une deuxième compilation qu’il attribue également à Rusticien de Pise. D’où Deuxième compilation de Rusticien ou Rusticien II, même si l’attribution ne fait pas l’unanimité. Les deux textes étant liés, transmis par les mêmes manuscrits et avec beaucoup de variation, on avait longtemps parlé “des compilations de Rusticien” au pluriel, comme Löseth, ou de “la seconde version de la Compilation de Rusticien” comme Albert (2007:§24n20).

Épisode complémentaire dans Rusticien II

Rusticien II pioche surtout dans le cycle de Guiron le Courtois, en empruntant et remixant des épisodes de la Suite Guiron. On y trouve également, en ce qui concerne Ségurant :

  • Un court résumé indiquant qu’après le tournoi de Vincestre, il s’était lancé à la poursuite du dragon avec l’écuyer Golistan, à la demande d’une demoiselle, et l’avait fait au point de tomber malade et de devoir rester deux mois à la Roche Dure pour se remettre.
  • Suit l’épisode complémentaire qu’on trouve dans la Queste 12599, mais dans une rédaction légèrement différente : Galaad devient Gauvain, pas de référence au Graal et les passages scabreux semblent “édulcorés” : Dinadan est transporté sur un roussin, moins infamant qu’un âne, les détails de sa torture sont moins gore, Dinadan est saisi, non pas en flagrant délit, mais sur le point de violer la fille du paysan,  les vilains sont pasmés et épouvantés au lieu d’être tués, et au lieu de Golistan demandant au dernier de s’en remettre à un autre chevalier en cas de problème, Ségurant rit et dit simplement que Dinadan n’aurait jamais rien fait de tel. (Carné 2021:272 ; Étude 2019:194) Cependant, on peut remarquer que dans Rusticien II, au lieu de le croiser à Winchester de façon inopinée Dinadan chevauchait avec Ségurant avant de séjourner avec lui chez les vilains, ce qui colle avec son rôle de compagnon privilégié dans la version cardinale. (Carné 2021:271) Pour Arioli, le 12599 serait donc l’original, Carné est d’accord et remarque dans ce sens qu’il est bizarre de voir Dinadan décrire le groupe de chevaliers comme la fleur de la chevalerie avec le remplacement de Galaad (2021:273) mais un groupe de Lancelot, Tristan, Palamède, Gauvain et Keu, ce n’est pas du menu fretin non plus !
  • épisodes VIII + X de la version cardinale : Ségurant secourt Hoderis puis va se mesurer à son oncle Galehaut et qui le bat. Voir le résumé de la version cardinale. (Annexe 1)

Si la “seconde compilation” peut également être attribuée à Rusticien, elle devrait dater des années 1270, mais quoi qu’il en soit, le plus ancien manuscrit, celui de Florence, date des alentours de 1300 (dates similaires pour les fragments de Bologne et le manuscrit du Vatican Reg. Lat. 1501), rendant plausible de l’estimer rédigée à la fin du XIIIe siècle.

Ordre de lecture

Comme le remarquait Brugger (1938:495-501) si on met bout à bout toutes les prophéties et annonces sur la fin de l’histoire de Ségurant, l’ordre des épisodes finaux semble un peu confus.

  • Ségurant devra partir en croisade, et devenir roi d’Abiron, mais il devra tout de même revenir en Grande-Bretagne pour trouver la tombe de Merlin et replacer sa pierre étincelante sur un autel (et repartir en Abiron ?)
  • D’ailleurs on annonce qu’il sera le seul à trouver la tombe de Merlin, mais bien évidemment c’est aussi le cas de Méliadus, et les prophéties annoncent aussi qu’un certain Moran le fera aussi. Serait-ce que Ségurant sera le seul à la trouver sans l’aide de la Dame du Lac ? Mais suivant les textes on implique qu’au contraire il aura besoin de son aide… (Brugger 1939:40 sqq.)
  • Ségurant sera désensorcelé lors de la quête du Graal, soit, mais si c’est lors de la scène du siège Périlleux (Queste 12599), ça doit être au lancement de la quête du Graal, lors de la pentecôte du Graal. Or, dans la version longue des Prophéties de Merlin, pour remédier à son enchantement la Dame du Lac lui conseille de rejoindre la côte et monter sur un bateau. Mais pour s’embarquer pour où ? La pentecôte du Graal a normalement lieu à Camelot, passerait-il vraiment par la mer ?
  • Dans la Queste 12599, Ségurant s’embarque sur un navire pour retourner à l’Isle Non Sachant puis partir en croisade, donc peut-être que le navire doit simplement l’envoyer vers les épisodes orientaux qui doivent conclure sa vie, à Jérusalem, Sarras et Abiron. Ségurant serait encore enchanté dans cette phase de l’histoire, mais à la fin de la Queste del Saint Graal, avant que le Graal ne retourne au ciel, Galaad le ramenait en Orient, à Sarras, et il y était couronné roi. Ceci inspirant probablement le destin de Ségurant, peut-être qu’il devait être désenchanté en Orient, quand Galaad y avait amené le Graal, mais cela se passerait à la fin de la quête du Graal, et plus du tout au début comme avec le Siège Périlleux.

Versions alternatives

A partir de Rusticien II deux versions différentes plus tardives reprirent les épisodes VIII et X, avec le combat de Ségurant contre Galehaut, en brodant d’autres épisodes avant et après pour les intégrer dans leurs aventures guironiennes. Ces versions sont, a priori, beaucoup moins cruciales pour les origines du texte puisque les ensembles de manuscrits qui les contiennent en entier datent tous du XVe voire du XVIe siècle : 

  1. BnF 358 (exécuté pour Louis de Bruges vers 1470) pour la première ;
  2. Turin LI7-9 (rédigé pour Jacques d’Armagnac 1433-1477) et Londres BL Add. 36673 (XVe-XVIe s.) pour la seconde, la version de Londres-Turin.


On trouve certes les deux derniers épisodes de la version 358 dans des manuscrits qui pourraient dater du XIVe ou même du XIIIe siècle (Bodmer 96-1, Vatican Reg. Lat. 1501 et quelques fragments à Bologne), mais le début, où Ségurant chasse le dragon, n’a survécu que dans le manuscrit BnF 358.

Tableau 5 : épisodes des “versions alternatives” de Ségurant

Lathuillère (1966) donne ainsi l’ordre de lectures correspondant au manuscrit de Londres : §259 + §223-224 + §191n2 (p. 50), pareil pour 358 : §218 + §223-224 + §226 (p. 71).

La version alternative BnF 358

  1. Ségurant va se mesurer à Bertoullars, au château du Trépas, il lui fait abolir la coutume du château après l’avoir vaincu dans un combat à la hache, puis doit se remettre de ses blessures.
  2. Il rencontre ensuite dans une forêt un terrible dragon, qu’il poursuit, jusqu’à ce qu’il fasse trop nuit. Il rencontre un ermite, chasse des méchants chevaliers, etc. puis reprend la chasse au dragon. Donc là pas d’allusion à sa nature démoniaque comme avant on dirait un dragon bien réel sur lequel il tombe 
  3. Ensuite, il va affronter Galehaut ce sont les épisodes VIII et X qu’on trouve aussi dans  l’Arsenal.
  4. Ségurant va aussi tomber amoureux, de la fille du Duc de Normandie.
  5. Ensuite il va combattre le chevalier qui doit garder le pont du géant, et doit prendre sa place une fois qu’il l’a battu. Son père, Hector, vient le combattre, et n’arrive pas à le vaincre, mais son oncle, Branor, y parvient. Ils retournent ensuite au Val Brun retrouver Galehaut, qui lui partira rejoindre Guiron. 

Un fragment de Bologne, très abîmé qui semble se trouver dans la suite de cette version, nous raconte que Ségurant est avec Hector, Galehaut et Branor, alors qu’Uther Pendragon s’est emparé de leurs terres, Branor veut entrer en guerre contre lui, et Galehaut soutient l’idée.

La version alternative de Londres-Turin, ne se trouve que dans deux manuscrits, celui de la British Library Add. 36673, et celui de Turin L.I.7 qui a été très abîmé par le fameux incendie de 1904. (Jonas)

  1. Ségurant est adoubé à l’âge de 21 ans. Peu de temps après, une demoiselle annonce avoir vu un dragon qui a dévoré quelqu’un, Ségurant va le combattre, sans dire à son père. Après quelques jours à le chercher, il le trouve en train de dévorer un écuyer. La bête pousse un cri tellement terrible que son cheval meurt sur le coup. Il l’affronte donc à pied, lui tranche les pattes avant et la queue et lui enfonce sa lame dans la bouche pour l’achever. Il fait ensuite peindre un dragon sur son bouclier, on l’appellera le chevalier au dragon, évidemment. On peut remarquer qu’au lieu du dragon démoniaque et illusoire, impossible à tuer, de la version cardinale, ce dragon est très mortel, et qu’au lieu d’une quête prolongée, il s’agit du tout premier exploit de Ségurant. 
  2. Il va battre 22 géants, 22 chevaliers et 3 géantes au Pas Berthelais. Il est gravement blessé et va se faire soigner en Carmélide.
  3. Suit la joute entre Ségurant et Galehaut, à nouveau les épisodes VIII et X tels quels,
  4. et à la fin, combat contre les géants : des géants de la noire forêt ont tué des gens de leurs familles donc ils vont les attaquer, délivrer leurs prisonniers et récupérer leurs trésors, ils reviennent ensuite au royaume sauvage, et à la fin de nouveau, Galehaut le Brun part rejoindre Guiron pour de nouvelles aventures. 

Ségurant en amont et en aval

Arioli identifie d’autres apparitions de Ségurant, montrant l’influence de cette tradition. (Étude 2019:129 sqq.)

Dans une des branches du Livre d’Yvain (fin XIIIe ou début XIVe), on voit des chevaliers débattre : la Table Ronde était-elle plus valeureuse du temps d’Uther ou de son fils Arthur ? Gaheriet avance que ça devait être du temps d’Uther. En effet, lors du tournoi de la Roche aux Sesnes (Roche aux Saxons) Ségurant s’était mis sur la quintaine contre tous les bons chevaliers, et même Lancelot n’avait pas réussi à le désarçonner quoiqu’il s’y fût repris par trois fois. (cf. Arioli, Livre d’Yvain, 2019:137-8, fol. 29v ; Étude 2019:132)

Le manuscrit Vatican Reg. Lat. 1501 (fin XIIIe ou début XIVe) est un florilège de Guiron le Courtois, incluant certains épisodes uniques. Son premier cahier de quatre pages, fragmentaire, met en scène Ségurant au sein d’un tournoi où deux camps s’affrontent. Ségurant renverse Galehaut le Brun et Guiron renverse Uther Pendragon. Ségurant et Guiron représentent peut-être la nouvelle génération contre l’ancienne. Galehaut et Uther sont remis en selle par Golistan et le Bon Chevalier Sans Peur, et par après, Galehaut parvient à renverser Ségurant d’un coup sur le heaume.

On remarque une certaine confusion dans la tradition, Golistan, qui est d’habitude l’écuyer de Ségurant, se retrouve à aider le camp adverse. Ségurant n’est même plus chevalier au dragon, c’est Galehaut qui porte un dragon sur ses armoiries… (Étude 2019:134)

Ségurant devient ici un chevalier du temps d’Uther Pendragon plutôt que d’Arthur, et c’est une dimension qu’on retrouve par exemple dans la Tavola Ritonda (compilation italienne du XIVe siècle) où, âgé de 170 ans, il vient se mesurer à Tristan, dans une autre comparaison entre l’ancienne et la nouvelle Table Ronde. Par la suite on apprend sa mort, ce qui couronne implicitement Tristan. (Étude 2019:138) Il y est désigné comme cavaliere Agragone, terme énigmatique qui doit être une corruption de Cavaliere a Dragone, Chevalier au Dragon.

La Vendetta dei Descendetti di Ettore (XVe s.) fait intervenir les chevaliers de la Table Ronde qui, descendants de Troyens, vont se venger contre les Grecs, on trouve dans les douze meilleurs chevaliers un Sichurans lo Forte, dans lequel Arioli voit un avatar évident de Ségurant, même s’il n’en garde plus tant de traits. (Dans la vidéo sur Ségurant, Lays confond ce texte avec l’Avarchide ci-dessous)

Dans Le Morte Darthur de Thomas Malory (imprimé en 1485) on trouve un personnage nommé Severause le Brewse, qui, remarque Arioli, n’avait pas suscité de commentaire chez Vinaver ou Peter J. C. Field, éditeurs du texte. (Étude 2019:144) Son nom nous rappelle quelqu’un, surtout que la Dame du Lac lui fait promettre de ne pas affronter Lancelot… Il s’agit évidemment de Ségurant le Brun. Autre écho possible de ses aventures, Malory affirme qu’il n’était pas le dernier pour se battre contre des hommes, des géants, des dragons et autres bêtes sauvages. Arioli ne précise cependant pas que cette identification avait déjà été faite par Sue Ellen Holbrook en 1978 dans Speculum, renvoyant à l’édition de Paton :

“[…] in connecting her [la Dame du Lac] with Servause le Breuse, Malory refers to the French book. In the little story he appends, Servause flickeringly resembles Segurant le Brun of the Prophecies, in both name and deed, for both do not joust with Lancelot thanks to promises made to the Lady of the Lake and both are involved in exploits with dragons and giants. [Note: See Les Prophecies de Merlin, ed. Lucy Allen Paton (New York, 1926), 2:438-439 (Dame du Lac prevents joust between Lancelot and Segurant), 206 (pursuit of dragon), 447 (combat with giant); for commentary on the Segurant episodes in the Prophecies, see 1:279-292.]” (p. 766)

Cet article a d’ailleurs été repris dans le livre collectif Arthurian Women : A Casebook en 1996, réédité jusqu’en 2015.

Luigi Alamanni, un poète italien au service de François Ier le fait intervenir dans son adaptation Girone il Cortese, où il tend à échanger les attributs de Ségurade et Ségurant, confusion répandue, et aussi dans son Avarchide, où les chevaliers arthuriens rejouent la guerre de Troie. Ségurant y joue le rôle d’Hector, à quelques détails près. Il est finalement tué par Lancelot qui joue le rôle d’Achille, on retrouve donc la prééminence de Ségurant et l’affrontement entre Ségurant et Lancelot, la Dame du Lac jouant le rôle de Thétis, figure protectrice de Lancelot/Achille. Quelques livres espagnols font aussi allusion à Ségurant : Tristan de Leonis (1501) et Amadis de Gaule (1508). On le retrouve encore dans les Quattro primi canti del Lancilotto de Erasmo da Valvasone (1580) : Lancelot est retenu prisonnier par Morgane, à l’aide de démons notamment, et Galehaut le Brun envoie ses neveux à sa recherche : Ségurant (le Brun), Ségurade (le Blanc) et Galehodin. On remarque ici le dédoublement de personnages typique des traditions dérivées : Ségurant/Ségurade, Galehaut/Galehodin. Galehaut le Brun y semble d’ailleurs reprendre des traits de son homonyme, le Galehaut des Estranges Isles du Lancelot propre. Connaissant moins bien les romans italiens et espagnols, nous ignorons à quel point tous ces liens étaient connus, après tout Umberto Renda consultait déjà Löseth en analysant Alamanni. (1899:37 cf. Fig. 7)

Quant aux inspirations profondes du personnage, il suppose qu’il pourrait être lié, de loin à la figure de Sigurdr, le tueur de dragon de la mythologie norroise, de par son nom et le thème du dragon, mais aussi d’autres éléments : le mur de feu qui apparaît au tournoi, ils trimballent un trésor maudit, victimes des intrigues d’une reine qui veut les empoisonner (à la Cité Fort dans la “version complémentaire romanesque”), les prophéties qui émaillent leur parcours, etc. (Étude 2019:98-100)

Un lien Ségurant/Siegfried n’est pas impossible. Très près du Nord de l’Italie, on trouve ainsi au château de Roncolo dans le Tyrol des fresques qui montrent Siegfried aux côtés de chevaliers de la Table Ronde, il n’est donc pas si fantaisiste d’imaginer une rencontre entre le mythe germanique et la légende arthurienne. (Loomis 1948:48-9, fig 61) Certes, il remarque aussi que son nom pourrait simplement venir du latin Sicurus et qu’il est banal pour un chevalier arthurien (Tristan, Lancelot) de tuer un dragon, y compris sur les fresques de Roncolo où on voit Tristan trancher la langue d’un dragon. (Loomis 1948:fig. 66)

(En tant qu’historien des religions nous aurions beaucoup de commentaires à faire sur les analyses mythologiques de l’étude d’Arioli, mais ça ne nous semble pas vraiment productif d’aligner les études littéraires sur les standards de l’histoire des religions.)

II. Hypothèse et reconstruction d’Arioli

La théorie d’Arioli

La théorie d’Arioli en un mot (voir la fig. 5, tradition textuelle de Ségurant)

  • La famille des Bruns fait son apparition dans la tradition de Guiron le Courtois
  • Un roman perdu de Ségurant le Brun, peut-être inachevé aurait été composé
  • Ce roman fut intégré dans les Ur-Prophéties qui ensuite se sont divisées en différentes branches, dont le Ms. de l’Arsenal, qui préserve le roman en partie.
  • Cette matière de Ségurant a influencé d’autres branches de la tradition
    • Queste 12599 : épisode allusif sur Ségurant
    • Rusticien II : résume la matière de Ségurant à partir des Ur-Prophéties et de l’épisode 12599.
    • BnF 358 et Londres-Turin reprennent les épisodes VIII+X à Rusticien II et les développent.
    • Le Livre d’Yvain fait allusion à Ségurant sur la quintaine, peut-être d’après Rusticien II.
  • (Autres reprises et allusions après le XIIIe siècle)

Quels arguments pour ce déroulement ?

Ce ne peut pas être que le fruit d’un auteur tardif, un roman “monté de toutes pièces” comme l’évoquait Koble dans le titre de son article, puisque nombre d’éléments de l’histoire sont attestés dans des manuscrits et des textes qui datent définitivement de la fin du XIIIe siècle : dans le reste de la tradition des Prophéties des Merlin (1270-1279?), dans la Queste 12599 (1275-1300 ?), la seconde Compilation de Rusticien de Pise (fin du XIIIe siècle, a priori) — et les récits “guironiens” qui en descendent (mais qui eux s’étalent jusqu’au XVe siècle). On peut aussi y ajouter la compilation du Livre d’Yvain dans un manuscrit du XIIIe siècle, édité séparément par Arioli, qui comporte un épisode mentionnant Ségurant sur la quintaine. (On se demande d’ailleurs pourquoi ce passage ne fait pas l’objet d’un annexe de quelques pages dans son édition, peut-être par manque de temps, ou exigences de l’éditeur, les deux éditions étant sorties en 2019 en même temps que l’Étude et Arioli le mentionnant déjà en 2016)

  • La pierre précieuse du pavillon de Ségurant au tournoi de Vincestre (discutée dans certaines des prophéties des Prophéties de Merlin)
  • L’Isle Non Sachant (Rusticien II, Queste 12599)
  • Ségurant vainqueur du tournoi de Vincestre (Rusticien II, Queste 12599)
  • Personne n’arrive à le renverser sur la quintaine (Rusticien II, Livre d’Yvain)
  • Dragon apparu “en un grand feu” (Rusticien II)
  • Ségurant poursuit le dragon (Prophéties de Merlin, Rusticien II, et à sa suite BnF 358, Mss. Londres-Turin, etc.)
  • Il l’a vu dévorer de nombreux chevaliers (Prophéties de Merlin)
  • Il est enchanté (Prophéties de Merlin, Queste 12599)
  • Il sera désensorcelé au début de la quête du Graal (Prophéties de Merlin,  Queste 12599)
  • La Dame du Lac ne veut pas qu’il se batte avec Lancelot (Rusticien II, Queste 12599)
  • Un jeune écuyer d’Irlande veut être adoubé par Ségurant dans le ms. de l’Arsenal, la version longue des Prophéties de Merlin lui donne le nom de Golistan. (Rusticien II aussi) On remarque qu’il y a un Golistan du Puy Perdu dans l’épisode XXXIV de la version cardinale, qui pourrait être où la version longue a pioché le prénom.
  • L’enchantement de Méléagant, et d’une centaine de chevaliers par la demoiselle de Pommeglois et leur libération par Ségurant, assez cohérent entre Ms. de l’Arsenal et Prophéties de Merlin.
  • Épisodes VIII+X : Combat de Ségurant contre son oncle Galehaut (Rusticien II)
  • Épisode II de la version cardinale dans la version courte des Prophéties de Merlin.

… Ce qui veut dire qu’à la fin du XIIIe siècle il existait une « matière de Ségurant » qui inclut des éléments clés de la version cardinale, qui ne peuvent donc pas être une invention du manuscrit de l’Arsenal. Pour Arioli la “version cardinale” du Ms. de l’Arsenal est le seul texte existant qui puisse prétendre être la source des autres. Intégré dans les Ur-Prophéties ou sous une forme intermédiaire que nous n’avons plus, c’est ce texte sur Ségurant qui a dû engendrer toutes ces occurrences. 

Tableau 6 : corroborations de la version cardinale

Version CardinaleÉléments attestés en dehors
I. Le naufrage sur l’Île Non SachantProphéties de Merlin version courte (et IV, “compilation”)
L’épisode II pourrait être un rajout qui connecte intrigue prophétique et aventures (Étude 50-51)
(Portion restaurée d’après Chantilly Bibl. chât., 0644 (1081) 49vb-50ra)
II Galehaut le Brun et les prophéties de Merlin
III. La Roche-aux-Saxons et le tournoi de SalisburyIV. Les deux religieuses de Carmélide
V. L’adoubement de SégurantSégurant veut partir en Terre sainte, Hector, son père, rêve qu’il le voit chasser des païens qui fuient devant lui.Prophéties de Merlin : Version complémentaire prophétique : Ségurant partira en Orient, roi d’Abiron etc..
VI. Ségurant et l’assaut du Pas Bertelais
VII. Le combat entre Ségurant et Tarant
VIII Le voyage de Ségurant vers le Royaume SauvageRusticien II : Épisodes intertextuels VIII + X
Ségurant sauve Hoderis et va combattre son oncle Galehaut, le texte des deux épisodes se trouve tel quel à la suite dans la “seconde compilation de Rusticien”, et ont ensuite été développés par des sommes guironiennes. Le manuscrit de l’Arsenal a en plus un épisode où Galehaut et Ségurant partent combattre des géants à la fin.
IX. Galehaut et Baudemagus contre les Saxonsremplacé par un épisode de Mador de la Porte dans la version longue des Prophéties de Merlin.
X. La joute entre Ségurant et Galehaut le Brun 
XI. Dinadan, le Chevalier aux Dix GardesXII. Ségurant au tournoi de Carmélide XIII. Bliobéris et Dinadan XIV. Le tournoi de Camelot XV. Le défi de Ségurant XVI. Morgane et le complot contre Arthur XVII. Dinadan et Palamède 
XVIII. Le pavillon de Ségurant Prophéties de Merlin : Il a une pierre qui répand une grande lumière sur son pavillon à Vincestre (Prophétie X)
XIX. Le jugement de Galehaut XX. L’arrivée de la reine Guenièvre à Winchester XXI. La reine Guenièvre et la folie de PalamèdeXXII. Le complot du roi Marc et du roi Claudas.XXIII. L’arrivée de Ségurant à Winchester
XXIV Ségurant à la place de la QuintaineRusticien II : Ségurant bat tout le monde sur la quintaine au tournoi de Vincestre.
Livre d’Yvain (Yvain en Prose), branche V : sur la quintaine (mais au tournoi de la Roche aux Sesnes, pas Vincestre)
Queste 12599 (fol. 282a) : Ségurant a gagné le tournoi de Vincestre.
XXV. L’enchantement de Méléagant  
XXVI. La joute entre Ségurant et LancelotLa Dame du Lac dit à Lancelot dans une lettre qu’elle ne veut pas qu’il se batte avec Ségurant au-delà de rompre une lance contre lui.Dans l’épisode complémentaire de la Queste 12599 (fol. 282a) c’est Ségurant qui dit qu’elle le lui a défendu : “Soiéz en pés. Ne prendez estrif au chevalier , que meïsmement la Dame du Lac, que vos nors, le vos defandi jadis.” (éd. Carné 66)Rusticien II a une version de l’épisode : “pour ce que vostre dame, la Dame du Lac, le m’a deffendu” ép. 12599 alternatif (adressé à Ségurant et pas à Lancelot)
XXVII. Ségurant, le dragon et le mur de feu
Dragon apparaît au tournoi dans un mur de feu, Ségurant se lance à sa poursuite et est enchanté(ici le dragon et les chevaliers qu’il dévore sont des diables)
Prophéties de Merlin (I.374-5) : Ségurant à la poursuite du dragon qui a dévoré des chevaliers, un ermite remarque qu’il est enchanté (BL Add. 25434 128vb-129ra).Prophétie sur le chasseur de dragon enchanté au tournoi de Vincestre
Rusticien : il poursuit le dragon, qui était apparu dans un grand feu, par le commandement que lui fit la demoiselle le dernier jour du tournoi (pas dans la version cardinale)
XXVIII. Dinadan en quête de Ségurant XXIX. Lancelot et le géant XXX. Ségurant et la quête du dragon 
XXXI. Vérités et mensonges sur Ségurant 
“[les quarante chevaliers] restèrent là jusqu’au retour de Ségurant, qui n’eut pas lieu à cette époque, mais à l’époque de la quête du Saint-Graal, car c’est grâce à la vertu de ce saint calice qu’il fut désensorcelé comme nous vous le raconteront ensuite.” (Ségurant, trad. p. 168, Arsenal 5229 fol. 130rb)
Prophéties de Merlin : Dame du lac : ne sera pas libéré avant le début de la quête du graal, mais il doit aller au rivage de la mer où il trouvera une nef, qui le conseillera. (BL Add. 25434 162vb-163ra)
Queste 12599 : Ségurant est désenchanté lors du Siège Périlleux : discuté par Galaad et Dinadan au passé  cf. BnF fr. 12599 282r, Carné 65-6. passage cité Étude 2019:69) 
XXXII. Palamède et Guerrehet XXXIII. Le roi Marc et la guerre entre Hoël et Gralier XXXIV. Galehaut et Golistan du Puy PerduXXXV. L’organisation du tournoi de Norhout XXXVI. Palamède et la femme adultère
XXXVII. La quête de Ségurant Cent chevaliers de l’Isle Non Sachant sont enchantés par la demoiselle de Pommenglois qui sert Morgane.La version cardinale n’explique pas le sort des cent chevaliers restants mais la version longue des Prophéties de Merlin raconte qu’ils retrouvent Golistan et les autres au pavillon de Ségurant, racontant avoir été enchantés par Sibylle, ce qui correspond bien à son rôle et pourrait donc être un épisode perdu.
XXXVIII. Le tournoi de Norhout
XXXIX. Chevaliers de l’Isle Non Sachant enchantés

Arioli va plus loin, il considère que le texte de la version cardinale est très cohérent et s’insère en fait assez mal dans les Prophéties de Merlin, et postule donc qu’il a dû exister avant, séparément, sous la forme d’un roman perdu de Ségurant, peut-être inachevé, avant d’être recyclé par l’auteur des Ur-Prophéties. Cela implique peut-être que le compilateur du manuscrit de l’Arsenal avait lui aussi perçu cette cohérence et choisi d’extraire cette trame narrative en enlevant les autres aventures de la version longue… y compris celles qui contenaient Ségurant. (ou peut-être les réservait-il pour un deuxième volume). Ici, on est en terrain plus spéculatif, évidemment.

Löseth pensait que Ségurant apparaissait dans une Geste des Bruns avec le reste de la famille des Bruns. Hypothèse gratuite pour Lathuillère (1966:128) : la tradition de Guiron le Courtois est tellement foisonnante qu’il a simplement pu apparaître dans une des nombreuses versions particulières qu’on aurait de la peine à dater.  Et, avec le flou quant à la composition de Guiron ou les compilations de Rusticien, c’est généralement ce que la discipline va postuler : Ségurant a dû apparaître dans Guiron le Courtois avant d’inspirer les Prophéties de Merlin. (Garner 1928:86 ; Brugger 1938:353, 491, 1939:45, 65 ; Bogdanow 1967:332n1 ; Koble 2009:61 ; Carné 2018:§3 cf. Lagomarsini 2014:89). Mais si les versions de Guiron contenant Ségurant sont en fait tardives (XVe-XVIe s.), on ne peut que difficilement postuler que c’est de là que proviennent le personnage et ses aventures.

La famille des Bruns en tant que telle est bien apparue dans Guiron le Courtois, mais qui leur a rajouté Ségurant ? Si on ne veut pas “enfourcher l’hippogriffe” en postulant des sources hypothétiques, dans les textes qui nous restent, il ne reste donc que deux options : 

  1. Soit Ségurant apparaît dans la version primordiale des Prophéties de Merlin (les Ur-Prophéties d’Arioli ou la version X de Paton) — et, hypothèse supplémentaire, pour Arioli cette version recyclait un roman perdu sur Ségurant, le manuscrit de l’Arsenal en préservant une partie.
  2. Soit Ségurant est apparu dans la “seconde compilation” de Rusticien de Pise et a été repris ensuite ailleurs, ce que postule Lagomarsini quand il édite cette compilation en 2014.

En éditant cette seconde compilation guironienne, Lagomarsini remarquait (voir schéma ci-contre) qu’elle était essentiellement composée d’épisodes réarrangés de la Suite Guiron, à l’exception de sa fin, où l’on trouve “l’épisode complémentaire” (Lath. §242), Ségurant qui enchaîne des duels après le tournoi de Vincestre, et de son noyau central, où l’on retrouve :

  • S2 : Ségurant au secours d’Hoderis, et affrontant son oncle Galehaut (§223-224 de Lathuillière, VIII+X de la version cardinale d’Arioli)
  • S2* : Lamorat et le bon Chevalier affrontent Hélianor, Ségurant amoureux de la fille du duc de Bretagne, Ségurant au pont du géant (§225-226 de Lathuillière, pour Arioli le §226 compose les épisodes IV et V de la version alternative du BnF 358)
Fig. 6 : Composition de Rusticien II, Les Aventures des Bruns (Lagomarsini 2014)

C’est là qu’ils ne sont pas d’accord, mais comme le remarquait Lagomarsini (2018:392) rejoint par Carné (2022:§34) leurs reconstructions s’accordent en fait sur un très grand nombre de points, et s’opposent surtout sur la transmission de S2, donc les épisodes VIII et X de la “version cardinale”. En 2015, Lagomarsini décrivait ainsi ce passage :

“Un long épisode central, dont la source reste inconnue, a pour protagoniste Ségurant le Brun, le ‘Chevalier au Dragon’, qui apparaît aussi dans quelques textes français d’origine italienne du dernier quart du XIIIe siècle.” (p. 57)

Arioli rétorquera que leur source n’est en fait pas inconnue, mais la version cardinale : les épisodes VIII et X (= S2) se trouvent dans le manuscrit de l’Arsenal, et fort des indices attestant l’ancienneté de la matière de Ségurant, il postule que c’est de ce côté qu’il faut chercher l’origine du personnage.

Pour Lagomarsini, au contraire, notamment de par leur similarité avec les aventures du Vieux Chevalier dans la “première” compilation de Rusticien, c’est ce dernier qui aurait composé ces épisodes. À l’instar des versions de Londres-Turin ou de BnF 358, le manuscrit de l’Arsenal ne serait qu’une autre de ces compilations qui ont transplanté et prolongé ces épisodes.

“Finalement, le cas particulier du ms. 5229 (France orientale, XVe siècle) vaut la peine d’être considéré. Ce manuscrit a inséré une petite cellule de la [compilation guironienne] (c’est-à-dire, encore une fois, la partie extraite par β1) à l’intérieur de sa version particulière des Prophéties de Merlin, qu’il mélange avec des matériaux originaux reconstruisant la vie et les hauts faits de Ségurant le Brun.” (Lagomarsini 2015:66-7)

Pour Arioli, au-delà des arguments philologiques, même en admettant cela, il resterait surtout à expliquer le reste des traces de la “matière de Ségurant” dans la version longue des Prophéties de Merlin et la Queste 12599, mais le texte de Rusticien II peut-il prétendre expliquer toute la matière de Ségurant ? On n’y trouve par exemple pas d’allusion au Graal qui désensorcelle Ségurant comme dans les Prophéties (version longue) et la Queste 12599

D’abord, il est certes possible d’imaginer Rusticien II inspirant la version primordiale des Prophéties de Merlin, qui inventerait ensuite ces éléments et les transmettrait à la Queste 12599. Rusticien II remplaçant donc un hypothétique roman de Ségurant, mais sans trop changer la reconstruction des Ur-Prophéties.

Ensuite, on pourrait imaginer qu’il y a bien eu une source qui a inspiré toutes ces mentions anciennes de Ségurant, qui comme la famille des Bruns serait d’inspiration guironienne (Geste des Bruns, texte guironien sur Ségurant et roman perdu de Ségurant ne sont pas des descriptions mutuellement exclusives), mais cette source aurait été complètement perdue ensuite — pensons à ce que Philippe Ménard postule sur la Queste du Graal “Post-Vulgate”, voir plus loin. Plutôt que d’hériter de matériaux perdus, le manuscrit de l’Arsenal serait l’œuvre d’un “fan de Ségurant” qui aurait rassemblé toutes les traces de son héros (du côté de Rusticien II, des Prophéties, peut-être Queste 12599) et tenté de les synthétiser en comblant les trous. Comme le dit Arioli, il semble plus simple de supposer qu’il hérite, au moins en partie, d’un récit cohérent des Ur-Prophéties plutôt que d’imaginer un compilateur assez énergique pour rassembler et synthétiser trois traditions manuscrites différentes et éparpillées.

“Il faudrait supposer qu’un auteur du XVe siècle ait conçu le projet d’écrire un immense récit rétrospectif de la « version complémentaire romanesque », tout en englobant les « épisodes intertextuels » et en réutilisant systématiquement tous les détails fournis par les « épisodes complémentaires » et la « version complémentaire prophétique ».” (Étude 2019:57)

Toutefois, comme le rappelle Damien de Carné, il ne faut pas exagérer l’ampleur d’une telle entreprise non plus : dans les Prophéties de Merlin en version longue, qui contiennent donc la version complémentaire romanesque, on trouve aussi les prophéties qui forment la version complémentaire prophétique. Dans l’absolu cette hypothèse, peut-être moins économique, suppose simplement un compilateur ayant accès aux Prophéties de Merlin et à Rusticien II — l’épisode séguranien de la Queste 12599, en somme une suite d’allusions, confirme assez directement l’existence de la matière de Ségurant mais ne nous semble pas fournir d’ingrédients indispensables à l’élaboration de la version cardinale qu’on ne trouve pas ailleurs.

Est-ce vraiment beaucoup plus improbable que d’imaginer l’auteur de Rusticien II remixer la Suite Guiron en ayant également sous les yeux les Ur-Prophéties et la Queste 12599, ce qu’impliquent les théories d’Arioli ? (Étude 2019:75) De même, quand Arioli suppose que, dans la version alternative BnF 358, l’épisode où Ségurant délivre des religieuses serait une reprise d’un épisode dans la “version complémentaire romanesque” (Étude 2019:83n122) cela implique quelqu’un développant Rusticien II mais ayant quand même accès à la tradition des Prophéties de Merlin. (Paton pensait que cet épisode de BnF 358 reflétait la source guironienne qui avait inspiré les Prophéties de Merlin, cf. II.286)

Certes, en comparant l’épisode de la Queste 12599 et sa version dans Rusticien II, c’est bien ce dernier qui semble faire œuvre de compilateur, en l’expurgeant des matériaux les moins respectables. (Étude 2019:72-5) mais reste qu’il ne faut pas exagérer l’improbabilité que ces différentes traditions se croisent, surtout si on les postule développées dans un milieu franco-italien assez restreint.

Pour l’entier de la discussion voir Arioli 2018 (article dont la version “mise à jour qui constitue la référence” se trouve dans son Étude 2019:317-345, qui réarrange légèrement l’article), la réponse de Lagomarsini 2018 et le bilan que fait Carné 2022 de leurs théories respectives.

Si on excepte l’existence très spéculative d’un “roman de Ségurant” existant séparément, dans l’ensemble la thèse d’Arioli semble tout à fait plausible : Ségurant apparaîtrait dans la tradition des Prophéties de Merlin à la fin du XIIIe siècle, ou, du moins, certains traits essentiels de son histoire se sont développés dans les Prophéties de Merlin plutôt que dans des textes guironiens. Par contre, quand on essaie de préciser la forme que prenait alors cette matière de Ségurant, de préciser les contours de ce fameux “roman perdu”, et de déterminer si le manuscrit de l’Arsenal le reflète fidèlement, les problèmes commencent.

Quelques problèmes 

On pourrait critiquer deux points à bon droit :

D’abord, la présence de Ségurant dans le reste de la tradition des Prophéties de Merlin (aventures et prophéties) semble attester que les éléments centraux de la version cardinale existaient dans la forme primordiale des Prophéties de Merlin, comme le pensait déjà Paton et le confirment Christine Ferlampin-Acher ou Damien de Carné. Mais Arioli invoque, entre autres, la cohérence du récit pour affirmer que toute la version cardinale existait alors, même les portions qui ne sont pas attestées, et que cela constituait un roman de Ségurant qui a eu une existence indépendante avant d’être recyclé par les Ur-Prophéties. Même sous sa plume cela reste une conjecture plus que fragile, difficile, sinon impossible à prouver — et pourtant c’est l’annonce tonitruante du roman de Ségurant redécouvert qui domine toutes les discussions. Est-ce raisonnable d’accorder une place de premier plan à la partie la plus spéculative de sa théorie ? Comme le dit Ferlampin-Acher, son “hypothèse, risquée” a beau être “étayée, avec prudence” il reste que “l’existence matérielle d’un tel texte demeure incertaine.” (Romania 2021:198) ; “Segurant est désormais promu au rang d’œuvre à part entière, avec une entrée dédiée dans le site Arlima [c’est dire !], mais la prudence s’impose, une matière ne coïncidant pas nécessairement au Moyen Âge avec une œuvre.” (2021:214)

Ensuite, l’hypothèse d’Arioli est peut-être plus économique que d’imaginer le compilateur de l’Arsenal en train de collecter toutes les mentions de Ségurant dans deux ou trois traditions manuscrites différentes avant de combler les trous grâce aux implications contenues dans le récit, mais ça n’implique pas que tous les épisodes de la version cardinale se trouvaient dans les Ur-Prophéties, comme le pointent à nouveau, Paton et Carné : le compilateur de l’Arsenal a bien pu inventer des épisodes, et certains sont très suspects. Dans son étude de 2016, Arioli disait “Bien que la cohérence et la cohésion ne  soient pas des critères irréfutables […], nous supposons que la ‘version cardinale’ est un bloc monolithique” (2016:25) et le plus souvent c’est bien en bloc monolithique qu’il la traite, sans attribuer différentes datations à ses épisodes. Avec certes quelques exceptions : la traduction a sélectionné 22 épisodes sur 39, ce qui évite au lecteur lambda d’être perplexe quant à la présence de ceux qui n’ont aucun lien avec Ségurant.

Comme il est d’usage, les collègues d’Arioli ont fait un assez grand nombre de remarques sur son édition, proposé des corrections, des améliorations possibles du texte et de l’édition : Plouzeau 2019 ; Timelli 2020 sur le tome I et le tome II de l’édition ; Ferlampin-Acher 2021 dans la Romania ; Carné 2022. (Voir aussi Martina 2020 sur l’étude de 2019)

Ci-dessous nous examinerons les problèmes qui se rapportent au contenu des récits de la version cardinale.

Version cardinale, épisode II : épisode de raccord ?

Les quatre premiers épisodes de la version cardinale  se concentrent sur les ancêtres de Ségurant. Pour reprendre notre résumé :

Épisode I : Les frères Galehaut le Brun le Vieux et Hector le Brun le Vieux fuient le roi Vertigier (Vortigern) et prient leurs femmes de se réfugier en Carmélide avec leurs enfants alors qu’ils s’embarquent sur un navire. Une tempête les fait échouer sur une île déserte, avec quatre autres naufragés ils y construisent leur vie, se construisent un abri et chassent des oiseaux pendant que les maris cueillent des pommes. Ils découvrent un port naturel, le port trouvé, et nomment l’île : l’Isle Non Sachant. (= île inconnue)

Épisode II : Maître Antoine lit des prophéties de Merlin à Galehaut le Brun le Jeune (fils d’Hector le Brun le Vieux). Il affirme que le tournoi de Salisbury sera remporté par deux hommes qui ne se sont nourris avant cela pendant plusieurs mois que de bêtes sauvages, de petites pommes et de volailles, ils coucheront ensuite avec des religieuses de Carmélide. (Il s’agit évidemment d’Hector et Galehaut, qui retrouveront leurs femmes qui avaient pris le voile)

Épisode III : Le Roi Arthur se bat contre les Saxons de la Roche-aux-Saxons et remporte une victoire, Galehaut le Brun le Vieux et Hector le brun le Vieux se distinguent dans la bataille. Le lendemain on prépare le tournoi de Salisbury, Merlin fait édifier le pavillon d’Arthur sur un roc dont il peut observer toute la plaine de Salesbières. (on ne sait pas comment les deux frères ont quitté l’île et on ne dispose plus de l’épisode du tournoi lui-même, manifestement coupé)

Épisode IV : Merlin, Arthur et les deux vieux bruns rendent visite à maître Antoine, puis tout le monde se rend au monastère de la Trinité où se trouvent leurs femmes et leurs enfants, ils accompagnent ensuit Arthur à Londres. Léodagan demande à Arthur de l’aider à défendre la Carmélide.

L’épisode II est assez particulier, il est attesté hors du manuscrit de l’Arsenal dans certaines versions des Prophéties de Merlin, et consiste surtout en des prophéties à Galehaut qui annoncent (ou récapitulent) les épisodes qui suivent et qui précèdent, ce qui est plutôt redondant, et peut-être un peu artificiel… Arioli postule donc qu’il a pu être rédigé comme un raccord entre l’intrigue prophétique et la version cardinale quand les deux ont été joints ensemble (Étude 2019:50-51) et donc qu’il ne devait pas faire partie de la trame originale sur Ségurant, mais il l’y a maintenu car

  1. important pour la tradition manuscrite de par le lien entre Prophéties de Merlin version courte et version cardinale, et
  2. ça permet un texte plus suivi.

Cette hypothèse est à double tranchant, d’un côté elle pointe un phénomène de raccord qui montrerait effectivement que l’histoire de Ségurant a été insérée au chausse-pied dans l’intrigue des Prophéties de Merlin, mais par contre, le manque de raccord entre le naufrage introductif et la suite de l’histoire pourrait laisser penser à des théoriciens au scalpel facile que cet épisode existait en fait séparément, et ne faisait peut-être pas partie de la même source que les aventures suivantes. Cela apporte aussi de l’eau au moulin de l’hypothèse d’un compilateur audacieux. Par ailleurs, si l’épisode II est restauré d’après le manuscrit de Chantilly (49vb-50ra), du groupe IV (compilation), c’est parce que tous les autres manuscrits sont incomplets : Berne, Burgerbibliothek 388 fol. 62rb-62vb Bruxelles, Bibliothèque Royale 9624 fol. 21r-22r (contiennent le début) ; Arsenal 5229, fol. 23rb-23vb (manque un feuillet). Venise, Biblioteca nazionale Marciana, Str. App. 29 (243), fol. 87rb (incomplet). Cela signifie donc que malgré l’insistance sur l’importance d’avoir réuni des fragments pour reconstituer un roman perdu, l’intégralité du texte qu’Arioli considère issu du roman est contenue dans un seul manuscrit : le manuscrit de l’Arsenal 5229.

Qui plus est, l’épisode introductif du naufrage est particulièrement mal rattaché au reste : 

  • Le tournoi de Salesbières est annoncé, mais on ne possède plus l’épisode, et on ne sait pas comment les vieux Bruns reviennent de leur île déserte pour aller à Salesbières.
  • Au chapitre V, l’Isle Non Sachant n’est plus l’île déserte de la robinsonnade introductive mais une société médiévale fonctionnelle, si on excepte les lions que Ségurant y combat. “On peut donc se demander si ce chap. V et ses suites faisaient partie dès l’origine du même ensemble narratif que les chapitres précédents, ou s’il ne s’agirait pas au contraire, dans un sens ou dans l’autre, d’un collage opportuniste destinée à étoffer la biographie de Ségurant en cours de rassemblement.” (Carné 2022:§74)
  • On observe un dédoublement des Galehaut et des Hector : Galehaut le Brun le Vieux est le père d’Hector le Brun le Jeune, tandis qu’Hector le Brun le Vieux est le père de Galehaut le Brun le Jeune. Mais Carné se demande (2022:§67) si ce dédoublement n’est pas le signe d’une tradition altérée, comme c’est parfois le cas, d’autant plus que pour l’épisode II le manuscrit de Berne donne simplement Galehors li Bruns (f. 62b) et qu’aucun autre manuscrit ne précise le jeune.

Le texte étant clairement abîmé, aucune de ces remarques n’a une force définitive. Comme le dit Damien de Carné, en comparant leurs textes, leurs formules de transition, il semble effectivement que ce soient les autres manuscrits qui abrègent le texte de l’Arsenal, et on peine à imaginer quelqu’un recréant les épisodes I, III et IV à partir du II. Mais ça ne met pas tant en péril sa reconstruction des Ur-Prophéties que son hypothèse d’un roman perdu.

Le plus souvent, Arioli n’entre pas en matière sur ces questions pourtant évidentes : y a-t-il des épisodes de la version cardinale qui ont été rajoutés par le manuscrit de l’Arsenal, ou avant ça par les Ur-Prophéties ? Peut-on classer les différents épisodes suivant la probabilité qu’ils aient fait partie ou non de ces différentes couches de réécriture ? Comme le dit Damien de Carné :

“Les témoignages rassemblés par E.A. plaident pour l’existence ancienne de l’épisode du tournoi de Vincestre, sous une forme peut-être très proche de celle qu’il a éditée. On croit volontiers que dans ce canevas originel Golistan devait jouer quelque rôle, tout comme Dinadan, et qu’il devait être question de l’Île Non Sachant – et bien sûr d’un dragon. Tous ces éléments sont attestés par des documents ou des textes indépendants les uns des autres. Y avait-il un tournoi de Camelot qui met en scène Bliobéris et Dinadan, les insolences de ce dernier envers Arthur paraissant calquées sur celles du tournoi de Sorelois envers Galehaut, dans la version longue des Prophéties  [En 2018, Carné remarquait déjà un tel redoublement, cf. §51] (dans son Étude, p. 277, n. 32, E.A. propose le rapport inverse) ? Les brèves aventures du Chevalier aux Dix Gardes ? Les épisodes tristaniens ? Les déboires de Palamède et la lutte de Lancelot contre un géant ? L’apparition de Galehaut ? Pour ce qui concerne les Bruns eux-mêmes, les premiers pas de Ségurant à l’Île Non Sachant y figuraient-ils ? Les premiers chapitres, que les autres occurrences du chap. II attestent à date ancienne, étaient-ils rien d’autre qu’une extension de l’histoire des Bruns déjà connue par le Guiron ? Y avait-il déjà deux Galehaut, deux Hector, et servaient-ils à introduire Ségurant ? Tous ces points paraissent indécidables. La seule chose qui permette de trancher, c’est la confiance qu’on accorde ou non à un document de la fin du XIVe siècle.” (2022:§76)

Arioli entre à peine dans ces spéculations, peut-être par prudence, peut-être pour que le lecteur considère pleinement les épisodes uniques du manuscrit de l’Arsenal, avant de tailler dans ce “bloc monolithique” et d’en rejeter des morceaux.

Mais avec ce silence, sa thèse semble être que tous ces épisodes propres au manuscrit de l’Arsenal ont fait partie des Ur-Prophéties et avant cela d’un roman perdu de Ségurant, traversant (au moins) deux couches de réécriture sans la moindre altération et sans le moindre rajout, ce qui semble improbable en soi. C’est très loin d’avoir été prouvé et évident que ce n’est pas la seule option. N’est-ce pas le rôle d’un éditeur d’attirer l’attention du lecteur sur les points problématiques ?

Un texte manifestement altéré

36 épisodes de la version cardinale ne sont préservés que dans le manuscrit de l’Arsenal, on ne peut donc pas les comparer à d’autres manuscrits pour vérifier à quel point le copiste copiait fidèlement.

Pour les trois autres :

  • L’épisode II est incomplet dans le manuscrit de l’Arsenal, comme dans les autres manuscrits à l’exception du manuscrit de Chantilly.
  • Les épisodes VIII et X correspondent assez bien à leur version dans Rusticien II, mais l’Arsenal contient en plus à la fin du X un épisode supplémentaire où Ségurant et Galehaut combattent des géants. Arioli considère qu’il faisait bien partie du texte original mais difficile d’exclure que c’est l’Arsenal qui élabore (Bégin 2023:80) les combats des Bruns contre les géants sont un cliché guironien qu’il ne serait pas difficile de rajouter (Carné 2022:§33) comme le fit d’ailleurs la version de Londres-Turin avec son dernier épisode où ils partent également en guerre contre les géants (Lath. §191n2) et en mentionnant cela dans son prologue.

D’autant plus, comme le remarque Bégin (2023:69-70) que le manuscrit de l’Arsenal a tendance à développer les séquences prophétiques qu’il a en commun avec le reste de la tradition, et ce parfois longuement. La séquence où Guenièvre envoie une dame chercher Merlin pour élucider son rêve est quatre fois plus longue dans l’Arsenal (48va-49rb) que dans le Bodmer 116 (33rb).

Ces éléments participent au soupçon que le scribe altère beaucoup son matériel et que la version cardinale a très peu de chances d’être, dans son entier, recopiée à l’identique sur un roman perdu.

Les fils du duc de Bourgogne ?

Dans la version cardinale (ép. XXIII), Lamorat renverse “le filz au duc de Bourgongne” (p. 229) qui se démarque étrangement dans le tournoi. En 2016, suivant les remarques de Koble (2009:§28) Arioli reconnaît que ça doit être un ajout ultérieur qui indiquerait que le manuscrit Arsenal 5229 avait été rédigé en Bourgogne (pp. 9-16). 

“l’allusion au fils du duc de Bourgogne, qui pourrait indiquer un lien avec la cour bourguignonne et une datation du dernier quart du XIVe ou du tout début du XVe siècle” (2016:25)

En effet, il avait réussi à attribuer le manuscrit à Louis de Sancerre en déchiffrant une inscription presque illisible, et muscle donc son hypothèse en pointant les liens de ce notable avec la cour de Bourgogne. En 2019, dans son édition, changement de cap : il pointe plutôt l’Île-de-France et la Picardie (I.39), la langue du manuscrit affichant un français commun, avec quelques traits possiblement picards. 

La version cardinale aurait par contre d’abord été rédigée au Nord de l’Italie, où l’on trouve les plus anciens manuscrits impliquant Ségurant (Étude 2019:59-60) dans un contexte franco-italien, même si sa langue a depuis été mise à jour avant d’être consignée dans le manuscrit de l’Arsenal. Pour preuve, Arioli liste une série “d’italianismes”, formes qui trahiraient le contexte italien dont viendrait ultimement le texte. (I.49-51) Dans un exemple invoqué pour soutenir sa reconstruction, le manuscrit de l’Arsenal donne la leçon joye au lieu de joiaus dans les autres manuscrits, ce qui pour Arioli serait l’influence de l’italien gioia (Étude 2019:319). Cela fait partie des variantes qui démontreraient, d’après lui, que le texte des “épisodes intertextuels” de l’Arsenal est meilleur et doit être l’original, mais cela semble un exemple trivial pour Lagomarsini en 2018 (on trouve la forme dans des textes français sans influence italienne établie) et insuffisant pour Damien de Carné en 2022 pour trancher la filiation des manuscrits (les deux formes sont équivalentes, peut-être interchangeables pour le scribe). Les autres fautes et variantes qu’Arioli invoque lui semblent également discutables.

En 2019, Arioli présentait donc une liste plus étendue de traits italianisants. (I.49-51 ; Étude 2029:58-59) Mais le diagnostic ne fait pas toujours l’unanimité : Plouzeau pointe certaines formes qu’on trouve dans les français médiévaux communs (2019:§27) et Ferlampin-Acher regrette l’absence d’une discussion plus systématique des italianismes, qui pèserait dans la question de la provenance. (Romania 2021:206)

Le scribe de l’Arsenal (ou quelqu’un qu’il recopie) aurait donc mis à jour la langue de son modèle, avec quelques petites modifications, comme l’ajout des fils du duc de Bourgogne. Pour Arioli en 2016 ce ne sont là que des “interventions mineures” (2016:25) sur le texte, mais pour un lecteur critique, cela s’ajoute au cortège d’indices qui pointent que le manuscrit de l’Arsenal porte un texte altéré qui ne devait pas exister sous cette exacte forme à la fin du XIIIe siècle.

Ceci dit, les arguments du genre sont souvent circulaires et réversibles, qu’il s’agisse de ceux d’Arioli ou de ses critiques. Quant aux fils du duc de Bourgogne, par exemple, Arioli pointait ainsi qu’un fragment de Bologne (Busta 7n°13 ? fin XIIIe-début XIVe) mentionne un duc de Bourgogne cousin de Galehaut le Brun. (Étude 2019:61, et déjà en 2016:11n28) On pourrait aussi noter que dans les Prophéties de Merlin, Merlin annonce que “li rois Artu avra en sa subjection toute Gaulle, Bourgoigne, Campaigne, Benuyc et Gaune”. (Bodmer fol. 17v, Berthelot 1992:68, Koble 2001:30) Ce n’est donc pas si improbable que cela dans la géographie arthurienne.

Épisodes incompréhensibles ou douteux

Dans Rusticien II les épisodes VIII et X de la version cardinale sont collés à la suite (séparés par un espace dans le ms. de New York) mais dans le manuscrit de l’Arsenal ils sont séparés par un chapitre IX qui fait débarquer Galehaut des Iles Lointaines, chapitre “qui pose du reste la question de l’appartenance de certains chapitres, dont celui-ci, à la trame générale” (Carné 2022), autres entrées en scène problématiques relevées par Carné : les dix gardes qui accompagnent Dinadan qu’on voit apparaître chez une veuve ne sont pas expliqués (chap. XI) ni la présence de Galehaut chez un certain Armant (chap. XIX), chap. XXV on mentionne un enchantement de Méléagant qu’on n’a plus, chap. XXXIII Tristan aurait fait vœu de ne pas revenir à Tintagel pendant trois mois, mais dans un épisode qu’on n’a plus “À moins qu’il ne s’agisse d’un renvoi à une autre forme du chap. XXII, différente de sa forme actuelle, détériorée.” (Carné 2022

Ferlampin-Acher (2021) hausse également un sourcil devant la brève apparition d’un chevalier au nom très peu arthurien, Zarol, suivit d’une intervention du narrateur qu’elle voit comme une suture du texte. (“Et se aucuns me demandoit qui estoit li chevalier qui abati ainsi Zarol, je diroye qu’il estoit de Leonoys, filz au seneschal, et estoit appellé Hernaus.” I.314)

Autres problèmes dans l’article de Carné (2022) :

p. 287 : début du chap. XXXIII, entrée problématique puisque le « vœu » de Tristan qu’il n’istroit de Tyntaiol jusqu’à troiz moiz, ainsi com je vous ay compté ça en arriere ne renvoie à rien. p. 124 : allusion problématique à Berthelai, les méfaits dont il est question ne seront expliqués que bien plus tard.

p. 165 : allusion problématique à l’exploit de Bliobéris qui avoit occis la serpan, ainsi come li contes a devisé ça en arriere, épisode absent du texte. [N. b. : dans son Étude de 2019 Arioli mentionne bien ce renvoi à Bliobéris qui aurait tué un serpent alors qu’on n’a pas cet épisode. (p. 190-191)]

p. 167 : renvoi à une partie du récit qui est allusivement représentée par les p. 158-159 de l’édition, passage commenté plus haut au cas 1.7 ; on pourrait considérer ce renvoi avec la même suspicion que le récit de ces p. 158-159.

p. 173 : quel est le pays de Galehaut le Brun (le Jeune) et pourquoi (Hector habitant, lui, sur l’Île Non Sachant) ? Le contexte ne le précise pas.

p. 178 : le contexte ne précise pas de quoi il est question lorsque le texte mentionne que la queste de Merlin est achevee, tout comme d’ailleurs à la p. 199.

p. 180 : le narrateur prétend avoir déjà raconté ou mentionné le tournoi de Camelot pendant lequel surviennent Bliobéris et Dinadan ; quand l’a-t-il fait, quand a-t-il évoqué ce tournoi ?

p. 181 : allusion pendante aux prouesses de Bliobéris, évoqué bizarrement comme telx chevalier com je vous ay compté ça en arriere par maintes foiz, bien qu’alors on l’ait très peu vu.

p. 200 : allusion pendante à la luxure de Morgain, qui a coutume d’efforcier les hommes ainsi com vos avez oÿ ça en arriere, ce qui en fait n’a pas été raconté.

p. 225 : malgré l’annonce présente dans cet épisode (certes mal conçu et manifestement détérioré), Tristan ne sera pas au tournoi de Vincestre.

p. 242 : voir supra, renvoi à un précédent enchantement de Méléagant que nous n’avons pas.

p. 271 : allusion à un géant sylvestre absent de l’épisode correspondant p. 223.

Un renvoi à l’intrigue prophétique dans la version cardinale ?

Lorsqu’on nous décrit l’arrivée du dragon-démon, on nous dit qu’on a entendu auparavant que les diables ont le pouvoir de se métamorphoser. Or, comme le remarque Bégin (2023) ça semble faire référence à un passage précédent, qui n’est pas dans la version cardinale. Si la version cardinale n’est que la transplantation telle quelle d’un roman perdu sur Ségurant, elle ne pouvait pas faire allusion à un épisode qui se trouve en dehors…

Tableau 7 : allusion possible aux métamorphoses de Merlin

“dont as tu [Merlin] poesté de changier la forme que tu nous monstre de toy en tantes semblances et quant tu veulx?”), Merlin répond que les anges du diable “ont poeste de changier leur formes et d’eulx m’est la poeste descendue”Bégin 95 citant Arsenal 5229 fol. 17ra. (Paton 104)“[e]t vous avez oÿ ça en arriere, et Maistre Blaise le tesmoigne ausi en son livre, que li ennemiz qui conversent en l’air ont poesté de changier leurs forme en quelque semblance qu’ilz vuellent”
Bégin 94 citant Arsenal 5229 fol. 118rb-va.
“D’où te viens [Merlin] le pouvoir de changer d’apparence pour prendre diverses formes à ton gré ?”Les anges du diable “ont le pouvoir de changer de forme et c’est d’eux que j’ai hérité ce pouvoir.”“Vous avez entendu auparavant, et maître Blaise en témoigne dans son livre, que les diables qui peuplent l’air ont le pouvoir de changer d’apparence à leur gré.” Ségurant, traduction, 2023:143. Une note y voit une allusion au Merlin en Prose (p. 241).

En 2023, la traduction nous rappelle seulement que le livre de Maître Blaise mentionné ici, ce doit être le Merlin en prose, qui commence avec la conception de Merlin, mais on nous parle du livre de Blaise et du fait qu’on l’a ouï ça en arrière. Dans sa publication de 2016, dans l’Histoire littéraire de la France, Arioli discute explicitement la possibilité qu’il s’agisse d’un renvoi en arrière mais à un autre passage :

“[…] Sur le même sujet, le récit fait allusion à un épisode relaté auparavant (« vous avez oÿ ça e arriere ») ; il pourrait se référer à l’épisode des Prophéties de Merlin dans lequel Merlin donne à un diable l’apparence de maître Antoine, voir Lucy Allen Paton, Les Prophecies de Merlin, op. cit., t. I, p. 141 (ch. LXXXIV) cf. Arsenal 5229 fol. 36r.” (2016:47n120, correspond à Koble XI, Bodmer 24)

Le dragon apparaît dans la version cardinale, mais cette allusion renvoie donc à un de ces épisodes de l’intrigue prophétique, qu’on trouve aussi dans les autres branches des Prophéties de Merlin.

Cela ne pose donc aucun problème quand on considère le manuscrit de l’Arsenal, où on trouve les deux scènes, ou sa reconstruction des Ur-Prophéties. (cf. Étude 2019:354 sqq.) Mais pour sa reconstruction d’un roman perdu de Ségurant, cela pose un problème fondamental : si la version cardinale a existé séparément des Prophéties de Merlin, sous la forme d’un roman de Ségurant, elle ne pouvait pas faire allusion à une scène précédente qui ne se trouve pas dans la version cardinale, mais dans l’intrigue prophétique. Ce renvoi doit dater de la réunion des deux récits. Au minimum il nous faut conclure que cette partie du texte ne pouvait pas être rédigée ainsi, et donc nous demander à quel point le texte du manuscrit de l’Arsenal reproduit fidèlement celui d’un roman perdu hypothétique, s’il faut ajouter ce passage à une longue liste de points douteux.

Ce n’est pas un problème insoluble, dans la littérature arthurienne en général et à la fin du XIIIe siècle en particulier, ces rappels (“vous avez entendu en arrière”) peuvent être très artificiels. Les scribes annoncent ou renvoient à des épisodes qui n’ont apparemment jamais fait partie de leurs textes. Koble le remarque dans son livre sur les Prophéties de Merlin (2009) mais c’est aussi l’impression que laisse Guiron le Courtois. (Lagomarsini, “Pour l’édition du roman de Guiron”, in Prolégomènes 2018:305 citant aussi Albert, Ensemble ou par pièces, p. 61 sqq.) Damien de Carné rajoute notamment :

On sait qu’il faut se méfier de ce genre d’annonces : après tout, le chapitre consacré à Mador de la Porte, qu’E.A. considère comme un ajout tardif, est introduit avec le secours du même expédient – En ceste partie dist li contes que quant Mador de la Porte se fu partis de ses compaignons, ensi com vous avés oï cha en arriere (ms. Bodmer 116, éd. Berthelot, p. 103) – sans qu’aucun épisode précédent soit censé avoir existé. (2022:§38)

Que les théories se montrent plus assurées en 2019 qu’en 2016, après avoir proposé une solution à divers problèmes philologiques, c’est logique, mais regrette presque que cette possible allusion ne semble même plus mériter une mention.

Un tournoi différent dans Rusticien II et le Livre d’Yvain ?

Par ailleurs, dans Rusticien II on nous dit que Ségurant suivait le dragon “par le commandement que lui fist la damoiselle le desrenier jour du tournoiement” (New York MS., f. 78a ; BnF 355 fol. 61 vb  ; BnF 340 fol. 75r ; Bodmer 96–2 fol. 273v, etc. texte transcrit par Bogdanow 1967:334) ceci était déjà remarqué par Löseth (1924:88 ; cité par Brugger 1938:362) et Lathuillère §242 (1966:466) ; Löseth et Lathuillère y voient une demoiselle de la Dame du Lac (rien ne l’exclut mais ça ne nous semble pas du tout impliqué par le texte). Arioli dit que : 

“Tous les manuscrits attestent cette leçon («par le commandement»). Néanmoins, dans l’épisode XXVII de la «version cardinale», Ségurant suit le dragon à cause d’un enchantement. On peut supposer que la leçon correcte était «par l’enchantement»; l’erreur pourrait s’expliquer par la ressemblance graphique des deux syntagmes, surtout dans une écriture gothique.” (Ségurant, éd. 2019:II.143) 

Ca n’explique pas le “demoiselle”, Sibylle et Morgane sont univoquement décrites comme des dames. Cf. dans la version cardinale ép. XXXI : “une dame si m’envoye”, “Il fut enchantement que andeux les dames firent, dont elles vous mandent que vous ne vous faites plus tenir por fol.” (éd. I.276). Certes, la demoiselle de Pommenglois, au service de Morgane, enchante des chevaliers. Comme souvent, nous trouvons étrange que l’édition le discute à peine et que l’Étude ne le discute pas du tout, mais nous voyons que la monographie de 2016 compte ce passage dans les “petites divergences” qui séparent le résumé de Rusticien II et la version cardinale :

“Par exemple, d’après l’épisode de la deuxième version de la Compilation de Rusticien, une demoiselle a commandé à Ségurant de suivre le dragon, tandis que dans la « version cardinale », la poursuite du dragon est causée par un enchantement de Morgane.” (2016:31n74)

De la même manière, le Livre d’Yvain (fin XIIIe-début XIVe) mentionne bien Ségurant battant tout le monde sur la quintaine, mais le tournoi n’a pas lieu à Winchester mais à la Roche aux Sesnes (Roche aux Saxons, cf. Arioli, Livre d’Yvain, 2019:137-8, fol. 29v).

Il nous semblerait une hypothèse parfaitement raisonnable d’imaginer que le compilateur de la “seconde compilation de Rusticien” ait trouvé le Tournoi de Winchester avec son dragon démoniaque par trop compliqué et ait décidé pour simplifier d’introduire l’aventure par le cliché d’une demoiselle lançant la quête. Idem pour le Livre d’Yvain : les compilations de cette époque semblent s’emprunter des aventures en changeant quelques détails, leur protagoniste notamment (Arioli, Livre d’Yvain, 2019:19) rien n’exclut que l’épisode soit bien un écho de Rusticien II qui aurait voulu escamoter Winchester pour une raison ou une autre. Mais, étant donné leur poids dans l’argumentation, le fait que deux des attestations à date ancienne du tournoi de Winchester en présentent un déroulement légèrement différent de celui de la version cardinale pourrait mériter une mention plus approfondie que ces notes en passant.

L’appétit de Ségurant et le tournoi de Winchester

Autre discordance : l’appétit de Ségurant. On le trouve discuté sur le mode comique au tournoi de Vincestre, ce qui colle parfaitement avec la suite de la version longue des Prophéties de Merlin (éd. 2019:II.120) où c’est à cela qu’il est reconnu par la Dame du Lac et Golistan, avec les moqueries de Dinadan dans “l’épisode complémentaire” de la Queste 12599 (II.134 ; éd. Carné 2021:61) et celui de Rusticien II (II.145). C’est donc un élément qui a profondément marqué le portrait de Ségurant dans ses attestations anciennes avérées. On le trouve aussi dans le deuxième épisode de la version alternative BnF 358 (II.176-7), son appétit n’est en fait absent que des prophéties portant sur Ségurant, et de la version alternative de Londres-Turin.

Cependant, dans la version cardinale, avant le tournoi, on ne fait jamais allusion à cela alors que les scènes de repas ne manquent pas. On le voit même manger un petit peu ! (voir le Tableau 8 ci-dessous)

“[…] cet insatiable et boulimique appétit de Ségurant, dont d’ailleurs il se fait à plusieurs reprises une gloire, est totalement absent du récit qui précède. Le repas de fête lors de l’adoubement ne le mentionne pas, malgré l’opulence du service (p. 112-113), non plus que le repas pris à l’issue de l’assaut du Pas Berthelais (p. 122), ni la fête chez le roi de Carmélide (p. 128) ou le repas qui suit (p. 130), ni le soir chez Oderiz (p. 135 et 137) ; chez le même Oderiz, au matin, alors que l’hôte a fait apporter paon, vin et pâtisserie, et que Ségurant prétend suivre le conseil de son hôte de se restaurer (ibid.), il mange un petit ! Enfin, le repas pris avec son oncle Galehaut est tout aussi normal (p. 143). Modestie des appétits. On s’étonnerait moins de ces deux modèles du même chevalier si l’on concevait qu’ils procèdent de moments d’écriture différents, ou d’imports textuels distincts. Notons enfin que le motif redouble celui de l’appétit de Galehaut tel qu’il se manifeste dans les Prophéties, au cours du tournoi de Sorelois.” (Carné 2022, §75)

Si pour Carné les plaisanteries de Dinadan à Ségurant dans la Queste 12599 reprenaient celles qu’il adresse à Galehaut pendant le tournoi de Sorelois dans la version longue des Prophéties de Merlin (2018:§51), il constate en 2022 (§76) qu’Arioli propose autre chose : la version cardinale aurait inspiré les Ur-Prophéties et la scène aurait donc été dupliquée et appliquée à Galehaut. (Étude 2019:277n32) Cela pourrait sembler étrange d’imaginer un rédacteur des Ur-Prophéties qui garderait ensuite les deux scènes très similaires mais avec des protagonistes différents — toutefois, Dinadan amusant également Arthur et Guenièvre dans la version cardinale avec une jactance très similaire (ép. XIII) nous montre que, l’un dans l’autre, la répétition ne fatiguait pas autant les auteurs d’alors que les lecteurs modernes.

Cependant ce n’est pas complètement inexplicable que le manuscrit de l’Arsenal fasse “débuter la légendaire boulimie du chevalier au tournoi de Winchester” puisque cela lui “donne un horizon hors de la diégèse racontée dans le manuscrit en ajoutant aux merveilles du graal la guérison du chevalier.” (Koble 2009:n48) Après tout, le démon invoqué par Morgane, qui prend une forme de dragon était appelé “dragon, pour ce que entre lui et ceulx de sa  region avoient a trangloutir les ames des pecheurs qui estoient en enfer” (I.255) — car il aime engloutir des âmes. Aurait-il déteint sur le chevalier qui lui court après, et qui sera, ironiquement, rassasié par le Graal nourricier, le vase qui a la capacité de faire apparaître devant chacun le repas qu’il souhaite ? (Ferlampin-Acher 212)

Tableau 8 : le rire et la faim, la version cardinale, un “bloc monolithique” ?

Version cardinale
ép. I-IVNaufrage des ancêtres de Ségurant, tournoi de Salesbières, etc. L’épisode II est aussi présent dans la version courte/compilation des Prophéties de Merlin.Attesté en dehors
VComme le remarque Damien de Carné (2022), malgré de nombreux repas, le début de la version cardinale ne mentionne jamais l’appétit de Ségurant, trait distinctif dans les versions ultérieures, malgré de nombreuses occasions, ainsi le festin après son adoubement (I.112-113, trad. 2023:32-3)Manque appétit Ség.
VIRepas normal après l’assaut du Pas Berthelais (I.122, trad. 44-5)Manque appétit Ség.
VIIFête chez le roi de Carmélide (I.128) et repas normal qui suit (I.130)Manque appétit Ség.
VIII Épisode intertextuel repris dans Rusticien II. (avec le X) Repas normal le soir chez Oderiz (I.135) le matin suivant il mange même “un petit” ! (I.137) autre repas normal avec son oncle Galehaut (I.143)Attesté en dehors 
Manque appétit Ség.
IXGalehaut et Baudemagus contre les Saxons (ép. suspect d’après Carné)Rajout ?
XÉpisode intertextuel repris dans Rusticien II. (avec le VIII)Attesté en dehors 
XIII-XIVDinadan amuse la cour d’Arthur au tournoi de CamelotSaillies de Dinadan
XXIITristan repousse un duel car il devra être au tournoi de Winchester (mais il n’y est pas dans le texte que nous avons)Incohérence
La fin de la version cardinale, autour du Tournoi de Winchester correspond, en contenu et en ton, aux Prophéties de Merlin version longue et à la Queste 12599, mais on remarque une coupure avec le début (dont les deux “noyaux” sont attestés en dehors du ms. Arsenal 5229) : pas de trace de l’appétit gargantuesque de Ségurant, du ton grivois ou la présentation très crue de thèmes sexuels/violents.
XXIII“Alors [Dinadan] regarde Ségurant et voit qu’il avait bien plus [de viande] et qu’il mangeait d’un si féroce appétit que c’en était étonnant” (trad. 117) “Et lors regarde devant Seguranz et vit qu’il en avoit assés plus et mengoit si fierement que ce sembloit une merveille” (I.232). Il le compare ensuite à un lion et un renard.Appétit de Ségurant &
Saillies de Dinadan
XXVIITournoi de Vincestre/Winchester : Dragon attaque, Ségurant enchanté, etc.
XXXIIPalamèdes trouve une femme infidèle dont le mari à “écorché la chose” (= ses parties génitales) “Et lors li avint qu’il trouva enmy le chemin la dame dont je vous ay parlé dessus, que son mary avoit deshonoree. Et sachiez qu’il li avoit escorchié sa chose toute et avoit occis le serf qu’il avoit trouvé avec li.” (I.285)Registre sexuel cru
Version longue des Prophéties de Merlin
Vers. comp. rom.Ségurant dévore son repas à la Cité forte (II.104) les provisions d’un ermite (II.111), la Dame du Lac (II.120) et Golistan (II.129) le reconnaissent à son appétit.Appétit de Ségurant
Tournoi de SoreloisDinadan raille Galehaut, comparé à un loup : “Qu’est çou, Galehout ? Ne troeves tu teus viandes, quant tu ies en bos en la campaignie des leus, ki te resamblent ? Tu n’as pas talent de mangier poisson : on ne poroit oster le leu sa coustume, si m’en sui bien apercheus a ton mangier !” (Koble XXXV, Berthelot 198, fol. 89va)Appétit de Galehaut & Saillies de Dinadan
Queste 12599
§9. Comme ci-dessus on parle d’écorcher les parties génitales d’une femme, violence sexuelle très rare.“Tais-toi, misérable loup, Si la justice avait puni ta mère quand elle coucha avec le loup qui t’a conçu et lui avait écorché la chose, jamais le loup que tu es ne serait venu au au monde ! Et si tu vis longtemps, tu nous feras grand dommage, car nous ne trouverons plus de viande en quantité : tu l’auras toute dévorée !” (trad. 2023:214) “Tais te, chaitif leus, que se la justice eust prise ta mere quant elle se choucha avec le leus qui te engendra et li aust escorchié la chose, jamés tex leus con tu es ne naistroit au siecle” (II.134, éd. Carné 2021:61)Appétit de Ségurant,
Saillies de Dinadan &
Registre sexuel cru
§23. Dame qui serre les parties génitales (“par mi les pendanz”) d’un chevalier jusqu’à ce qu’il perde connaissance. (éd Carné 2021:204) Le ton grivois correspond à la version longue des Prophéties de Merlin et à la fin de la version cardinale, mais aucune trace de ce genre dans les épisodes du début de la version cardinale.Registre sexuel cru

Dans la Queste 12599, quand Dinadan se moque de son appétit, il affirme ainsi “tu n’avroies pas garison en l’Isle Blanche, por ce que tu ne troveroies que devorer” (II.134, “tu ne guérirais ton appétit, même pas sur l’île Blanche, parce que tu ne trouverais pas assez à dévorer” trad. 2023:214) pour Arioli il s’agit d’un “lieu mythique, boisé et sauvage, où les repas se suivent sans trève.” (trad. 2023:243, sans indiquer d’où vient cette explication) mais Damien de Carné remarque (2021:61, 272) que c’est le nom de l’île ou Joseph d’Arimathie avait débarqué avec le Graal, dans la Continuation Gauvain. (cf. éd. Roach v. 7627, trad. Coolput-Storms 502-3)

Certes, dans la version cardinale, son appétit ne se manifeste qu’à l’épisode XXIII (p. 232) c’est-à-dire avant qu’il ne soit enchanté à l’épisode XXVII, ici son appétit ne peut donc logiquement pas découler du sortilège lancé après. Peut-être que la tradition se rappelait vaguement que la boulimie de Ségurant se déclarait au tournoi de Vincestre, mais que les dernières rédactions ont omis de la lier à l’enchantement. Rusticien II nous décrivant Ségurant tombé malade à force de poursuivre le dragon (éd. II.143) en serait une autre trace.

Les scènes du tournoi de Winchester se distinguent donc sur plusieurs points de ce qui précède, ce qui est à double tranchant pour les théories d’Arioli. D’un côté, cette scène du dragon démoniaque illusoire, qui est certainement la plus intéressante, le cœur de la version cardinale, correspond très fortement à la version longue des Prophéties de Merlin, justifiant d’autant plus de les réunir dans sa reconstruction des Ur-Prophéties. D’un autre côté, l’appétit de Ségurant n’est pas le seul grand absent du début de la version cardinale, ce qui pose problème pour en faire un “bloc monolithique”…

Arioli discute le caractère truculent et burlesque de ce comique des Prophéties de Merlin qui, il faut le dire, se distingue de beaucoup de textes arthuriens. Dans la version longue, on voit ainsi Morgane et Sybille se disputer un chevalier qui les attire, et se battre quand celui-ci s’est esquivé, Sybille traite Morgane de putain, qui lui répond par la même et l’attrape par les cheveux, mais, plus âgée, elle n’a pas l’avantage quand Sybille se met à la tabasser et la traîne par les tresses dans la salle alors que Morgane hurle en faisant “plus de bruit qu’un taureau”. (Illustré dans Bodmer 116 fol. 94v) Par après, malgré son âge, “ele commence a plourer mout durement et a regreter le duc de Tyntajoel, son pere, et tous ses amis”, une pure scène de régression ! Dans un duel magique, on voit aussi Morgane vaincue par un anneau qui la rend nue, elle lamente qu’on ait vu son corps vieilli (seins pendouillants, peau du ventre à terre) : “et il ont veue ma char et mes mamieles pendillans et la piel de mon ventre contreval la tiere” (Bodmer 169d, Koble 317) — alors qu’habituellement elle se présente fraîche à ses amants à l’aide d’onguents magiques.

Ferlampin-Acher (2021:201) relève ainsi une correspondance entre le geste, aussi violent que rare dans les romans arthuriens, d’escorchier la chose d’une femme infidèle dans l’épisode XXXII (I.285) de la version cardinale (donc après le tournoi de Winchester) qui se retrouve dans une saillie de Dinadan dans la Queste 12599 : “Tais-toi, misérable loup, Si la justice avait puni ta mère quand elle coucha avec le loup qui t’a conçu et lui avait écorché la chose, jamais le loup que tu es ne serait venu au au monde” (“Tais te, chaitif leus, que se la justice eust prise ta mere quant elle se choucha avec le leus qui te engendra et li aust escorchié la chose, jamés tex leus con tu es ne naistroit au siecle” II.134, éd. Carné 2021:61) Dans la Queste 12599 on trouve aussi une dame qui serre les parties génitales d’un chevalier jusqu’à ce qu’il perde connaissance. (éd Carné 2021:204) Des scènes qui auraient davantage leur place dans un fabliau, mais dont le ton correspond, encore une fois, à la fin de la version cardinale, mais dont on ne trouve aucune trace dans le début. Un début qui éveille d’autant plus les soupçons que ses deux noyaux principaux, le naufrage des Bruns (ép. II) et le combat de Ségurant contre Galehaut (ép. VIII + X) sont attestés en dehors, ce qui rend au moins envisageable l’hypothèse de leur greffe.

D’autres discordances marquent la séparation du tournoi de Winchester et des autres épisodes : dans l’épisode XXII de la version cardinale, Tristan repousse un duel car il doit se rendre au tournoi de Vincestre… mais dans la scène du tournoi de Vincestre qui nous est parvenue, il n’y participe pas. (Carné 2022:§75, par contre dans l’épisode XXXVIII, Marc organise un tournoi à Nohout, après que Tristan l’ait demandé dans l’épisode XXXV.)

Comme le dit Damien de Carné, on s’étonnerait moins de ces problèmes “si l’on concevait qu’ils procèdent de moments d’écriture différents, ou d’imports textuels distincts.” (Ibid.) mais ils mettent en péril l’idée d’un roman perdu transposé en bloc.

Les aventures de Ségurant dans la version longue, coupées dans l’Arsenal ?

Un gros problème c’est que le copiste de l’Arsenal (ou plutôt son modèle) aurait eu les Ur-Prophéties sous les yeux, et aurait décidé d’en faire un manuscrit centré principalement sur Ségurant… mais il en aurait coupé les épisodes de Ségurant qu’on trouve dans la version longue des Prophéties de Merlin ? Qu’il coupe les autres épisodes de la version longue, pour rassembler les épisodes de l’intrigue prophétique (Perceval chez Hélias etc.) qui forment la conclusion du manuscrit de l’Arsenal, soit, mais si Ségurant l’intéressait, pourquoi couper des épisodes qui parlent de la suite de l’histoire, sa rencontre avec Golistan, la Dame du Lac ? (= “version complémentaire romanesque”)

Pour Arioli, non seulement ces épisodes ne peuvent venir du roman perdu de Ségurant puisqu’ils sont mêlés à l’intrigue prophétique (par la présence de la Dame du Lac notamment) mais en plus, le compilateur aurait, d’une certaine manière, détecté qu’il s’agissait d’une continuation, d’une suite, qui ne faisait pas vraiment avancer l’histoire, en effet ses épisodes “retardaient à l’excès la clôture de l’intrigue prophétique” (Étude 2019:47). Il aurait donc volontairement préservé des épisodes sur Galehaut des Iles Lointaines, le Roi Marc, etc. mais pas celui où la Dame du Lac annonce la suite de l’histoire à Ségurant ? (À force de devoir lire entre les lignes, ou plutôt de faire très attention à ne pas nous fier à ce qui semble évidemment impliqué, nous ne sommes même pas sûrs que ce soit ce qu’Arioli en dise.) 

Le manuscrit se conclut au milieu d’une prophétie (voir Tableau 9 ci-dessous) il reste donc du matériel, connu, dans l’intrigue prophétique. Le scribe a conclu son travail d’une ligne ondulée, ce qui laisse penser qu’il avait bien fini de copier son modèle, et qu’il manquait simplement la fin de ce dernier. Peut-être qu’à l’origine les épisodes de la “version complémentaire romanesque” auraient été placés après, ou dans un volume ultérieur (par exemple avec la Queste 12599, qui sait ?). Mais si l’on suit la reconstruction d’Arioli, la question reste la même : pourquoi distinguer ces épisodes et les extraire des Ur-Prophéties pour les remiser à la fin, plutôt qu’avec le reste de la version cardinale ? Notre scribe médiéval aurait-il vraiment spontanément séparé ces séries d’aventures de Ségurant plutôt que de les associer ?

D’après Arioli, donc, les épisodes sur Ségurant dans la version longue mêlent les deux matières, et n’ont pas pu exister dans un roman séparé de Ségurant, ce serait donc une continuation, et qui plus est une continuation qui n’avance pas beaucoup l’histoire, plus artificielle et donc plus tardive. Le manuscrit de l’Arsenal serait donc la seule trace directe de ce roman perdu. Mais si les Ur-Prophéties ont bien recyclé un roman perdu de Ségurant avant de se morceler, qu’est-ce qui nous garantit qu’elles se seraient divisées en prenant bien soin que tous les restes du roman atterrissent dans un seul manuscrit et ne se divisent pas entre plusieurs traditions ? Peut-on exclure cette hypothèse ? Le scénario d’Arioli implique en tout cas une bipartition très soigneuse, où la version longue aurait choisi d’exclure les épisodes romanesques de la version cardinale, et vice-versa, avec une méticulosité qui n’a failli que pour le seul épisode romanesque qu’elles partagent (la Dame du Lac au secours d’Urien) — sans qu’on sache pourquoi les scribes de chacune de ces deux branches seraient devenus mutuellement allergiques à la matière des épisodes privilégiés par l’autre. Dans certains cas, ne serait-il pas plus simple d’imaginer une écriture en plusieurs temps, plutôt que des Ur-Prophéties massives dont (presque) tous ces épisodes seraient sortis tout équipés avant que deux moitiés différentes ne soient retranchées indépendamment ?

Avec le marketing autour de ses livres, le grand public aura l’impression qu’Arioli a raccommodé des morceaux de textes de sources diverses, mais c’est le contraire : il reste très près de ses manuscrits, peut-être pour laisser le moins de prise possible à la critique. En 2016, après tout c’était l’inverse, il supposait “que la ‘version cardinale’ est un bloc monolithique” (2016:25) — grave erreur de choisir cette formule, difficile de résister à la tentation de la répéter sarcastiquement, comme le firent cet article ou ceux de Lagomarsini. Revendiquer le terme monolithique au premier degré, quand il sert d’habitude à caricaturer la position d’un adversaire, c’est prêter le flanc à la critique préférée des intellectuels, la plus évidente du monde : dire non, ce phénomène n’est pas monolithique, tout est plus complexe ! Suivi de près par : il n’y a pas un Ségurant mais des Ségurants !  

Toujours est-il qu’on reste sur  l’impression qu’il ne veut pas fragiliser son hypothèse, quitte à ne pas être exhaustif : il n’entre pas en matière sur l’intégrité de la version cardinale, ni ne veut tisser un lien fragile et attaquable en postulant que la version longue des Prophéties de Merlin garderait d’autres traces du roman perdu. Si l’on veut rester descriptif, la “version cardinale” ce sont simplement les épisodes du manuscrit de l’Arsenal qu’on ne trouve pas dans la version longue, mais répéter “version cardinale” leur confère une unité qui le fait parfois oublier. Si certaines parties correspondent à des attestations anciennes, qu’est-ce qui garantit que c’est le cas de tous les épisodes ? Certes, les épisodes impliquant Ségurant dans la version longue sont connectés à l’intrigue prophétique et on peine donc à les imaginer existant séparément, mais la version cardinale ne parle pas que de Ségurant,, il y a des épisodes qui ne sont pas centrés sur Ségurant, mais sur Galehaut des Estranges Iles et Baudemagu (IX, XIX, XXXIV), Tristan (XXXIII, XXXV, XXXVIII) ou Palamèdes (XXXVI). Si ce genre d’épisodes faisaient bien partie de la trame du “roman perdu”, ils ont pu être repris ou prolongés dans les Ur-Prophéties. Et si l’on cherche toujours un roman original qu’est-ce qui nous dit que des fragments n’auraient pas pu être préservés dans la seconde moitié ? Si l’on adhère à l’hypothèse des Ur-Prophéties, qu’est-ce qui garantit que le manuscrit de l’Arsenal serait la seule branche à préserver le roman digéré par les Ur-Prophéties ? Dans l’absolu, rien, la question semble tranchée par avance par l’avantage qu’il y a, sur le plan de l’argumentation, à se concentrer sur un texte contenu dans un manuscrit, (e.g. Étude 2019:48) : on peut le traiter comme une unité indivisible et indivisée, sans avoir besoin d’enfourcher l’hippogriffe de la spéculation, comme dirait Ferdinand Lot. Arioli établit des liens, indéniables, entre ces textes puis, sans trop tirer sur ces fils, ballote le lecteur d’un lien à l’autre jusqu’à la conclusion choisie sans vraiment passer la théorie à l’épreuve du feu. Content d’un parcours qui ne vous a pas fatigué d’hypothèses et de contre-hypothèses, qui n’a pas trop plongé dans les eaux acides de la critique, vous ne remarquerez pas forcément toutes les précisions qui n’ont pas été faites, vous vous direz que vous avez dû les manquer, ou bien que ces précisions sont si évidentes qu’elles sont implicites, ou bien que vous n’avez pas tout compris, et qu’il vaut donc mieux s’en tenir à ce portrait-robot de la théorie, où votre esprit a bouché les trous pour que vous repartiez avec une conclusion plus univoque que ce qui a vraiment été verbalisé. Si le public critique ou curieux veut éprouver la solidité ou la fragilité de l’analyse, il devra le faire seul. 

Tout cela ne pose problème que si l’on considère la version cardinale comme directement extraite, verbatim, des Ur-Prophéties, qui incluaient aussi l’essentiel des épisodes romanesques de la version longue, puis que les accidents de la transmissions se seraient assurés, c’est pratique, que seul le manuscrit de l’Arsenal préserve les épisodes qui étaient ceux du roman perdu. Si l’on imagine que le rédacteur du manuscrit de l’Arsenal aurait plutôt développé différents noyaux textuels de la tradition piochés ailleurs ou bien que la version longue a également été retravaillée (ce qui est manifestement le cas) tout s’explique aisément. Sans cette insistance à traiter la version cardinale comme un “bloc monolithique” tiré des Ur-Prophéties et copiée-collée sans changement dans le manuscrit de l’Arsenal, ces contradictions disparaissent — certes sans nous laisser avec des certitudes.

Nous voyons en effet que la version cardinale comporte trois “noyaux” qui sont attestés en dehors, mais qui ne sont pas forcément bien connectés entre eux :

  1. Le naufrage des Bruns et le tournoi de Salesbières (ép. I-IV, épisode II attesté en dehors)
  2. Les épisodes intertextuels VIII et X, avec le combat contre Galehaut, qui se suivent dans tous les autres manuscrits, mais sont entrecoupés dans la version cardinale de l’épisode IX. (Ils sont certes séparés par un espace, apparemment prévu pour une enluminure, dans le manuscrit de New York)
  3. Et enfin le Tournoi de Winchester, qui se connecte parfaitement à la version longue des Prophéties de Merlin, à la Queste 12599, et assez bien à Rusticien II (sauf variante), mais qui se démarque des deux “noyaux” précédents, comme on l’a vu avec l’appétit de Ségurant.

Comme le dit Carné, c’est très facile à comprendre s’il s’agit “de moments d’écriture différents, ou d’imports textuels distincts” mais si on tient à affirmer qu’il s’agit d’un roman écrit d’un bloc par un seul auteur se pose le problème de la cohérence. Bien sûr, les romans médiévaux ne manquent pas d’incohérences, mais Arioli postulait que la cohérence de la version cardinale devait fournir la solution de l’incohérence des Prophéties de Merlin : si cette hypothèse crée plus de problèmes qu’elle n’en resout, on est en droit de se demander, dit Carné, si celle-ci “n’est pas contre-productive. Elle ne saurait en tout cas être considérée comme économique.” (Carné 2022:§64)

En un mot, “la prudence s’impose” (Ferlampin-Acher 2021:214), “le silence de l’éditeur masque un certain nombre de dysfonctionnements” (Carné 2022) et on se prend parfois à regretter “l’omission de données significatives qui devraient être mises à la disposition des lecteurs” (Lagomarsini 2018:394).

Exemple analogue : la Post-Vulgate ?

Dans ses devanciers, Arioli mentionne le cycle de la Post-Vulgate (nommé ainsi car il remanierait la Vulgate, le Lancelot-Graal) qu’on décrit souvent comme reconstitué par Fanni Bogdanow, mais la même question se pose : son éditrice a-t-elle vraiment fait une “découverte” ? Sa reconstruction est-elle justifiée ?

Dès la publication du “Merlin-Huth” par Gaston Paris et Jakob Ulrich, la prétention du texte à annoncer un cycle fut prise au sérieux (I.l-li), et très vite on trouva des correspondances avec les versions ibériques de la Queste et de la Mort Artu, par exemple avec l’article de Sommer “The Queste of the Holy Grail forming the third part of the trilogy indicated in the Suite du Merlin Huth MS.” (Romania, 1907:369-402, 543-590) qui aborde la Demanda portugaise. La Post-Vulgate, ou le “roman du graal” du pseudo-Robert de Boron serait donc une trilogie composée de la Suite du Merlin, et de versions particulières de la Queste del Saint Graal et de La Mort le roi Artu, qui en prennent la suite.

On considère aussi souvent que c’est Bogdanow qui aurait découvert que la Folie Lancelot prenait le relais de la Suite du Merlin Post-Vulgate, voire on lui attribue sa découverte, après tout le titre La Folie Lancelot: A Hitherto Unidentified Portion of the Suite Du Merlin Contained in Mss B.n. Fr. 112 and 12599 (“une portion jusqu’ici non-identifiée de la Suite du Merlin contenue dans les Mss. BnF 112 et 12599”) laisserait penser cela. 

Fanni Bogdanow est une figure très importante des études arthuriennes et une si grande habituée des titres d’articles annonçant la découverte et l’édition d’un fragment inconnu, d’un texte oublié, d’un manuscrit négligé, etc. que vous trouverez quelques exemples rien que dans la bibliographie de cet article, et que son obituaire par Jane H. M. Taylor (2013) devait le mentionner. Son exploration assidue et approfondie des collections de manuscrits arthuriens médiévaux est aussi impressionnante qu’incontournable, mais illustre aussi comment le prestige de ce genre de découvertes nous fait attribuer un crédit parfois immérité aux spéculations qui les accompagnent, et nous fait surestimer leur nouveauté.

Sur la Folie Lancelot, par exemple, Wechssler voyait déjà en 1895 le texte du BnF 112 comme la conclusion de la Suite du Merlin “post-vulgate” : “[…] ist er als Schlussteil der Suite Merlin B zu betrachten.” (1895:13). Les aventures du Morholt, Gauvain et Yvain furent d’ailleurs éditées par Sommer en 1913 (son titre indiquant qu’il s’agissait de la suite, Fortsetzung, du Merlin-Huth). Quand la plupart des gens discutent de la Post-Vulgate, ce n’est en fait pas substantiellement différent de la discussion du cycle du Pseudo-Robert de Boron (nom sous lequel on le connaissait avant) par Bruce en 1923. Quel sens alors d’introduire la Post-Vulgate en la disant découverte par Bogdanow ?

Certes :

  1. Il y avait diverses théories concurrentes, la question se posait de savoir s’il y avait un Lancelot dans ce cycle (probablement pas, malgré l’avis de Brugger) et on ne connaissait pas forcément bien les autres cycles, donc Bogdanow présente une version de la théorie plus proche du consensus moderne.
  2. Elle a pu reconstituer un texte à partir des versions portugaises, castillanes, des compilations françaises tardives, du Tristan en prose qui en aurait préservé des morceaux, et puisque ça impliquait des versions en castillan ou portugais, de nombreux spécialistes du français médiéval n’auraient pas forcément pu s’y attaquer. Elle ne fait donc pas qu’avancer cette vieille hypothèse, elle a proposé une reconstitution, une édition du texte qui reconstitue ces versions particulières de la Quête du Graal et la Mort le roi Artu.

Mais il est anachronique de justifier ses théories par les mérites de son édition, parue en 1991-2001, puisqu’elle les a avancées pendant de nombreuses décennies avant cela. En 1959, Roger Sherman Loomis édite Arthurian Literature in the Middle Ages, A Collaborative History, ouvrage collectif traitant par chapitres des différents volets de la littérature arthurienne médiévale, et Fanni Bogdanow y consacre déjà un chapitre défendant ses théories sur “The Suite du Merlin and the Post-Vulgate Roman du Graal” (pp. 325-335) qui n’apporte pas tant d’éléments nouveaux.

Et si les théories sur ce cycle la précédaient, il se pose toujours la question du bien-fondé des précisions que sa reconstruction leur apportait. Il nous semble que sa théorie s’est finalement imposée, surtout chez les Anglo-Américains, mais pas sans critiques en Allemagne (toujours à critiquer), en Espagne et au Portugal (où on considère davantage les versions ibériques pour elles-mêmes) ou en France (jamais contents). D’Alexandre Micha (1967) au dernier éditeur de la Suite du Merlin, Gilles Roussineau (2006), on se montre ainsi sceptique quant à l’unité du cycle. Philippe Ménard consacre un article à la critique de sa reconstitution en 2021 : est-ce que ça fait sens de coudre ensemble des morceaux français, espagnols ou portugais ?

“Quand on procède à un amalgame, on détruit le caractère unique de chaque version, on mélange des morceaux d’âge, de langue et parfois de style différents. Bref, on fabrique un agglomérat complètement arbitraire, un texte artificiel, qui en fait n’a jamais existé sous cette forme. La reconstruction hypothétique de Fanni Bogdanow publiée de 1991 à 2001 présente un texte recomposé. C’est une sorte de tunique mal cousue, faite de pièces rapportées.” (Ménard 2021:162

Une perspective anticipée par Cedric Pickford remarquant soixante ans plus tôt le caractère très dérivatif de la source française ainsi postulée :

“L’original français des Demandas n’est rien d’autre qu’une compilation relativement tardive composée de fragments d’aventures chevaleresques, de prophéties amplifiées jusqu’à former des épisodes plus ou moins indépendants, le tout existant sous une forme embryonnaire dans le Tristan en prose, dans le Huth-Merlin ou même dans le Lancelot en prose. Il est bien loin d’être le roman de base de la Queste de Map ou la source du Tristan en prose […] Le roman du Pseudo-Robert n’est pas une source, il ressemble plutôt à une mer morte où se jettent comme affluents les autres romans arthuriens” (Pickford 1960:106-7 cité par Ménard 2021:172)

On peut remarquer que son édition la Queste Post-Vulgate occupe 1074 pages (bon, dans un format particulier) contre les 280 de l’édition Pauphilet de la Queste du Lancelot-Graal. (p. 177-8) — c’est davantage que les ~380 pages de la version longue (Koble/Berthelot) augmentées des ~280 de la version cardinale, mais la même question se pose, est-ce que la longueur de cette reconstruction des Ur-Prophéties reste plausible ?

On voit que l’époque a changé. Même si le grand public le croit souvent de par l’insistance sur la quête des manuscrits pour reconstituer un texte, Arioli ne s’avance pas à reconstituer un roman en collant ensemble des morceaux tirés d’époques ou même de langues différentes, bien au contraire, il cartographie une galaxie de textes en les maintenant soigneusement séparés de la “version cardinale”, son “bloc monolithique” inattaquable sur ce plan car il provient d’un seul manuscrit.

Il y a tout un débat sur la question des rapports entre la “Post-Vulgate” et le Tristan en Prose qui s’approche bien plus directement des questions que nous avons soulevées sur Ségurant. En un mot, Bogdanow est toujours partie du principe que la Post-Vulgate empruntait à la toute première version du Tristan en prose (qu’elle associe au ms. BnF 757) mais l’édition du Tristan révéla assez clairement que ce manuscrit contient une version tardive, qui ne contient pas les éléments indispensables pour expliquer cet emprunt, et donc que c’est bien la version commune V.II qui l’a influencée. Cependant cette V.II serait bien influencée par une Queste du Graal particulière, attribuée à Boron, car elle y fait référence. (Ménard 2021:173, cf. Ménard 2009) Mais cette source aurait depuis disparu et on ne peut pas la reconstituer en collant les morceaux qu’on pense influencés par celle-ci : 

“Ni les Demandas ni les manuscrits du XVe siècle ne peuvent remplacer la disparition d’un texte du milieu du XIIIe siècle. La sagesse serait peut-être de refuser les hypothèses hasardeuses, de prendre acte qu’une version complète d’une Queste nouvelle a peut-être existé, mais qu’elle a disparu, et dès lors d’éviter toute vaine tentative de résurrection. Ce serait miraculeux de réussir à l’exhumer du profond tombeau de l’oubli. En notre temps les miracles extraordinaires ne se produisent presque plus.” (2021:178)

Hypothèse analogue à ce qu’on évoquait, plus haut : que la “matière de Ségurant” au XIIIe siècle a pu être influencée par un texte sur Ségurant mais qui est perdu depuis, et que les textes survivants ne reflèteraient qu’indirectement. Ferdinand Lot a raison, il faut prendre garde à ne pas “enfourche[r] l’hippogriffe qui vous entraîne dans les régions éthérées des ‘textes primitifs’ qui se plient complaisamment à toutes les hypothèses.” (1918:120-2) mais insister pour tout n’expliquer que par les textes qui nous restent alors qu’il est évident qu’on en a perdu un certain nombre peut aussi mener à l’erreur.

Bien sûr, si Ménard rejette cette hypothèse, c’est aussi car il y vient en tant qu’éditeur du Tristan en Prose, roman qui manifeste une unité bien plus forte, malgré ses quelques versions, que la Post-Vulgate ou même le Lancelot-Graal : “Certes, un éditeur du Tristan en prose peut se trouver choqué de voir que l’on recrée ce texte avec des matériaux enlevés au roman bien réel dont il s’est occupé. Il éprouve l’impression qu’on lui vole son bien.” (2021:177

Critique et réponse à la critique

Qu’une telle théorie pose des problèmes, c’est normal, et ceux qu’on vient de discuter sont loin d’être fatals pour l’essentiel de la reconstruction d’Arioli. Un public qui cherche une discussion frontale de tels problèmes aurait pu les voir brièvement discutés en 2016, parfois plus que dans les ouvrages de 2019 et certainement plus que dans la tournée médiatique d’Arioli. Quant aux réponses de ses collègues, on ne les trouve pas vraiment dans les médias, ce qui n’est pas aidé par le fait qu’Arioli semble simplement ne jamais les mentionner — ce qui peut se justifier, comme on le disait en introduction. Dans son interview, Nota Bene lui demande si sa théorie a bien été acceptée par ses collègues. Dans sa réponse, pas un mot dessus. Autre interview, sur le Salon Littéraire (~15’45), Adrien lui demande pourquoi personne n’avait remarqué ce fameux manuscrit de l’Arsenal avant. Arioli répond qu’il fallait relier les différents textes concernant Ségurant. C’était certes une part importante de sa remise au jour, mais une réponse plus directe aurait été : on avait remarqué ce manuscrit, décrit par Paton en 1926, etc. etc. (Il est possible que nous ayons raté des contre-exemples dans ses nombreuses interviews).

Nous aimerions d’ailleurs bien vous dire ce qu’Arioli pense des remarques critiques de ses collègues, mais en règle générale, jusqu’ici du moins, il n’y a pas beaucoup répondu.

Arioli a présenté sa perspective sur Rusticien II dans la Romania en 2018 (“Nouvelles perspectives sur la Compilation de Rusticien de Pise”). Dans le même numéro, Lagomarsini lui répond (“Perspectives anciennes et nouvelles sur les compilations de Rusticien de Pise et le ‘Roman de Segurant’”). Dans son étude de 2019, Arioli intègre son article de 2018 en le modifiant légèrement (quelques paragraphes changent de place, notes adaptées etc.) mais sans tenir compte, semble-t-il, de la réponse de Lagomarsini.

Par exemple :  Arioli pointe les trois erreurs qui distingueraient une famille de manuscrits dans le classement de Lagomarsini (il cite Les Aventures des Bruns, 2014) par rapport à son propre classement.

La première [erreur] serait le passage que nous avons analysé au § 3.2 […]. Toutefois, le ms. 5229 ne présente pas la lacune qui touche tous les autres manuscrits censés appartenir à la même famille […] La troisième serait la petite lacune que nous avons signalée au § 3.3 […]. En réalité, le ms. 5229 ne présente pas cette lacune.

Dans sa réponse, Lagomarsini se sent obligé de préciser (p. 394) :

Ces tournures de phrase pourraient laisser entendre que j’ai erronément attribué à 5229 deux lacunes qu’il ne présente pas. Je tiens à préciser que tel n’est pas le cas. [Voir AvBruns, éd. cit., aux p. 110 et 111, où je dis très clairement que 5229 ne présente pas les lacunes en question] 

Et, effectivement, c’est ce que plus d’une personne lira dans la formulation d’Arioli. Malgré la réponse de Lagomarsini, qui n’est même pas citée dans sa bibliographie, Arioli reproduit ce passage à l’identique dans son Étude de 2019. (p. 332) Peut-être un simple manque de temps dans la préparation du livre qui a empêché de prendre ça en compte, mais étrange dès lors de voir Ferlampin-Acher affirmer qu’Arioli montre sa “prise en considération” des thèses de Lagomarsini (2021:200) quand il les évoque plus que brièvement en renvoyant seulement à la version mise à jour de son article. (Étude 2019:57-8)

En 2023, avec la traduction, le documentaire, etc. paraît la deuxième édition de l’édition de Ségurant en deux volumes. Alors que nous produisions notre petite vidéo sur Ségurant, nous nous sommes dit qu’il complétait peut-être certains des points que nous abordions avec une clarté renouvelée, qu’il y répondait aux critiques ou éclairait des angles morts. Après avoir acheté les deux volumes de 2023 nous devions constater avec une certaine déception que la seule mise à jour consistait en une préface informant de la parution du documentaire sur Ségurant, de la BD sur Ségurant et de l’Album jeunesse sur Ségurant. Renversement étrange où la réédition est (légèrement) augmentée, non pas pour la corriger ou l’enrichir des remarques de ses collègues, mais pour accompagner la sortie de ses produits dérivés.

Personnellement, nous ne pensons pas que ce soit une mauvaise chose de poser sa théorie sur la table et d’annoncer à la ronde que c’est à prendre ou à laisser, et que ceux qui voudraient l’amender n’ont qu’à le faire eux-mêmes. Cela pose aussi problème quand, à l’inverse, certains grands savants modifient une virgule de leur théorie à chaque fois qu’on les critique pour prétendre que leur analyse a été complètement renouvelée et n’a plus aucun des problèmes pointés.

Mais le savoir s’élabore aussi dans le dialogue, la critique. Si on ne comprend pas les hypothèses alternatives, les autres reconstructions, les débats, si on ne comprend rien aux Prophéties de Merlin et à Guiron le Courtois, on ne comprend rien à ce qu’Arioli a véritablement construit.

Nous avons peut-être là une tension insoluble : la communication obéit à des règles différentes dans différents milieux. Le milieu universitaire encourage à produire des arguments qui ne peuvent pas être pris en faute, plutôt que des arguments clairs, univoques, exhaustifs. Se prémunir des attaques et  communiquer clairement sont deux buts différents, qui ne vont pas toujours bien ensemble et favorisent le “techniquement vrai”.

Peut-être que cela nous suffit, que le public moyen s’imagine qu’il a trouvé un manuscrit “jamais étudié” pour ensuite coudre ensemble des fragments (jamais étudiés non plus), si on espère faire comprendre ce qui a vraiment été mis au jour, c’est une autre histoire. 

III. Ségurant avant Arioli

Ceci étant dit, qu’est-ce qui a vraiment été découvert ? Quelle portion de ces éléments étaient vraiment inconnus ?  Comme nous le disions dans notre vidéo, c’est une question ouverte, relative, et même une question philosophique : qu’est-ce qui compte comme une découverte ? Mais une rétrospective des discussions reste intéressante.

La manuscrit de l’Arsenal résumé par Paton

Le manuscrit de l’Arsenal n’était pas substantiellement édité, mais était-il inconnu ?

Nota Bene demande à Arioli si il avait peur qu’on lui coupe l’herbe sous le pied que quelqu’un ne tombe dessus et le publie avant lui, ce qui montre les présupposés du public et des intervieweurs. Mais c’est effectivement une possibilité dans la mesure où le contenu du manuscrit avait été décrit presque un siècle plus tôt et que Nathalie Koble venait d’attirer l’attention dessus dans son livre sur les Prophéties de Merlin et son article sur le manuscrit de l’Arsenal, qui en détaille le contenu.

En 1926, dans son édition des Prophéties de Merlin, Lucy Allen Paton résume déjà longuement les épisodes uniques du manuscrit de l’Arsenal 5229, c’est-à-dire la version cardinale d’Arioli. Vous pouvez consulter ce résumé, en anglais aux pages 423448 du premier tome de son édition. Elle y édite d’ailleurs les folios 10a-d, 21c-23d (et quelques autres passages, donc techniquement le manuscrit n’était pas 100% inédit, mais c’est pinailler).

Évidemment elle ne procède pas tout à fait à la même découpe qu’Arioli, là où il distingue 39 épisodes, d’après les formules d’entrelacements, Paton en distingue 32, qui suivent une quinzaine de fils narratifs (centrés respectivement sur Ségurant, Dinadan, Galehaut…), elle réunit ainsi certains épisodes d’Arioli (ainsi Paton n°1 = Arioli n°I-II ; 4 = V-VIII ; 10 = XIV-XV ; 15 = XX-XXI  ; 17 =XXIII-XXIV ; 19 = XXVI-XXVI ; 26 = XXXIV-XXXV) et en compte par exemple deux dans le trente-neuvième et dernier épisode (30. libération des chevaliers de Pommenglois et Méléagant par Ségurant 31. complot de Méléagant contre sa soeur) mentionnant aussi un dernier épisode qu’Arioli exclut logiquement de la version cardinale : la Dame du Lac qui protège Urien d’un complot des mauvaises fées — en effet l’épisode se trouve aussi dans la version I (longue) des prophéties de Merlin (elle renvoie donc au résumé qu’elle en a fait plus haut, p. 372), il n’est donc pas unique au manuscrit de l’Arsenal, c’est en fait le seul épisode “romanesque” que les deux branches partagent, et un des points d’achoppement de la tradition des prophéties de Merlin. (voir fig. 1 le diagramme de Venn de la tradition)

Les autres branches de la tradition avant Arioli

Alors sont-ce les autres portions de la tradition qui étaient inconnues ? A nouveau pas vraiment. Les compilations guironiennes, l’épisode du manuscrit BnF 12599 et la version particulière du BnF 358 étaient discutées dès la fin du XIXe siècle, l’édition de Paton les connaît donc. Par contre quelques manuscrits se sont ajoutés au corpus:

  1. Prophéties de Merlin :
    1. Version longue : Le manuscrit Bodmer 116 était entre les mains d’une maison de vente, Paton n’avait pas le droit d’éditer ses épisodes uniques (qui parfois pourraient être des rajouts plus tardifs). Acquis par la collection Bodmer, il n’est pas disponible immédiatement (e. g. Bogdanow 1972), et est édité par Berthelot en 1992 puis Koble en 2001. [PDF]
    2. Version courte des prophéties de Merlin : ms. Bruxelles Royale 9624 (Debae 1995:195-7 [x] noté par Koble, Prophéties 2009:124)
    3. Fragments des prophéties de Merlin : Dijon (Vermette 1981), Cracovie (Busby 1983 ; Tylus 2002), Trèves (mentionné par Paton, retrouvé par Arioli). On trouve de nombreux fragments, tirés de plusieurs manuscrits, à Modène et Bologne. Un fragment de Modène (Bogdanow 1972), permet de combler un saut du même au même d’une dizaine de mots (lu à la lumière ultraviolette par Arioli, 2019:II.116). Les fragments de Bologne ont principalement été étudiés par Monica Longobardi dans les années 1990. Stefano Benenati a édité tous les fragments des Prophéties dans sa thèse de 2019 (pas en ligne, nous n’avons pu la consulter) cf. I frammenti delle Prophecies de Merlin: due episodi inediti, in Gensini 2020, pp. 121-144 ; Benenati 2021 et notre annexe 4.
  2. Rusticien :
    1. Paton n’incluait pas les manuscrits Vat. Reg. 1501 et celui de Florence, pourtant discutés par Löseth en 1924. (Brugger le lui reproche)
    2. L’accès au manuscrit Bodmer 96-1 et 96-2 a été refusé jusqu’en 1970 (Lathuillère 1966 ; Bogdanov 1967) Cf. Lathuillère 1970 ;  Vielliard 1975:66 (mentionne Ségurant sur la quintaine, le tournoi)
    3. Compilation Rusticien b2 : ms. Berlin Staatsbibl. PK Hamilton 581 (Bogdanow 1991)
  3. Version 358 :
    1. Suite de la version 358 ? : Fragment de Bologne publié par Monica Longobardi en 1996. Quelques mots supplémentaires déchiffrés par Arioli à la lumière ultraviolette.
    2. Le fragment Oxford Bodleian Library, Douce 383, fol. 4 (LXX) — contient seulement la formule d’entrelacement qui conclut l’épisode II de la version 358.
  4. Dans les versions particulières tardives dérivant de Rusticien, lacune la plus importante : la version de Londres-Turin ne sera pas proprement discutée avant les années 60, notamment car le manuscrit de Turin a partiellement brûlé en 1904 et le manuscrit de Londres, acquis par la British Library en 1902, est passé sous les radars.
  5. Queste 12599 : déjà résumé par Löseth, le texte ne sera édité par Damien de Carné qu’en 2021. (Il le discute en 2018)

En 1891, le savant norvégien Eilert Löseth publiait un livre tentant de faire le tri dans le Tristan en prose, le Palamèdes (c’est–à-dire Guiron le Courtois) et la compilation de Rusticien de Pise, essentiellement à partir des manuscrits de Paris. Et il était déjà tombé sur Ségurant le Brun, et la famille des Bruns en général : Hector le Brun, Galehaut le Brun, Branor le Brun (arbre généalogique de BnF 358, p. 437, cf. fig. 7)  qui apparaissent dans Guiron le Courtois, mais qui sont notoirement absents de certaines parties du cycle, de certains manuscrits typiques. Il imaginait donc que leurs aventures devaient provenir d’une “Geste des Bruns”, une œuvre à part consacrée aux aventures de ces personnages. 

“Il serait possible que tous les récits sur les Bruns dérivassent d’une source commune, d’une Geste des Bruns, contenant la biographie des plus illustres représentants des anciens.” (1891:434

Si l’on compare à la tradition rassemblée par Arioli, on peut également voir que Löseth couvre une bonne part du terrain : 

“D’autres récits sur les Bruns [= Ségurant le Brun et sa famille] se trouvent dans [BnF] 358, dans les compilations de Rusticien et de [BnF] 12599, ainsi que dans les Prophéties de Merlin” (p. 434)

Löseth n’entre pas ici dans les détails et il n’a pas vraiment été suivi sur cette idée d’une source indépendante. Il ne résume que très peu les Prophéties de Merlin (e.g. p. 466, 478, 485) mais il y remarque certaines des aventures de Ségurant, la “version complémentaire romanesque” (p. 490-491) ainsi que le désordre chronologique des aventures de Perceval :

Entre les quatrième et cinquième journées du tournoi sont intercalées, dans les Prophecies, des aventures de Perceval, qui a quitté l’ermite dont, le compagnon était mort (le séjour de Perceval chez l’ermite n’a pas encore été raconté dans [BnF] 350) ; il trouve un clerc enfermé par Merlin dans une jaiole et devant être affranchi par le chevalier au dragon, tue deux larrons, dont il délivre les prisonniers, et arrive à un château où une demoiselle enchaînée ne peut être déliée qu’après la défaite de son oppresseur.  […] Segurant le brun (f° 417), poursuivant son dragon, arrive à la Cité fort et est vainqueur, contre Gui, fils de la reine de brequestanz , dans un tournoi dont le prix est la main de la fille du roi de la cité. […] Segurant donne la princesse de la Cité fort à Richier. […] Aventures de Segurant le brun (f° 431). 

Il résume aussi l’épisode de la Queste 12599 (pp. 219-220) ainsi que la version alternative du BnF 358 (p. 437).

En 1905, il continue cet examen au-delà des manuscrits de Paris dans Le Tristan et le Palamède des manuscrits français du British Museum: étude critique [PDF], mais cette trentaine de pages porte surtout sur des manuscrits du Tristan (Add. 23939, Harley 49, Harley 4389, Add. 5474, Royal 20.D.II, Egerton 989) et deux guironiens (le Meliadus dans Add. 12228 et le Guiron dans Add. 29930), ce qui ne touche pas à Ségurant, car Löseth a pu examiner ces manuscrits entre août et septembre 1901, alors que le manuscrit de Londres (Add. 36673) qui contient la version de Londres-Turin n’a été acquis par le British Museum qu’en 1902, donc il l’a manqué de justesse… Qui plus est, il publie cet examen en 1905, alors que le catalogue de la British Library qui le mentionne paraît en 1907. D’ailleurs, il discutait la version de Turin en passant en 1891 (de par son prologue publié en 1875), mais son manuscrit fut gravement abîmé dans l’incendie de la bibliothèque de Turin en 1904, et ce qu’il en reste mettra longtemps à être restauré. Le sort s’acharne.

En 1924, par contre, dans Le Tristan et le Palamède des manuscrits de Rome et de Florence, il discute déjà le tournoi de Winchester et “l’épisode complémentaire” dans Rusticien II :

“Nous allons maintenant nous occuper des fragments d’autres rédactions du Palamède conservés par le ms. L [le manuscrit de Florence] et par le ms. du Vatican, Reg. 1501, que nous désignerons par R. Nous avons déjà mentionné plus haut un de ces fragments (Segurant le brun et Dinadan), placé dans L à la suite du morceau qu’il donne du commencement du Palamède ordinaire. En effet, L, ayant rapporté que le poursuit ainsi (début de la quatrième et dernière colonne du f° 131): sauoir nos fet li contes que quant mess. segurans le brun le filz au bun hector le brun ci qui le cheualier au dragon estoit apelles quant 1 hoi uancu li tornoiement de uincestre a celui tenps que il fu quintaine a tous le boens cheualier deo munde, Lancelot feri a mess. segurans deus foies de deus glaiues qui quintaine li estoit, mais il ne put le remuer de la selle. (Ce morceau détaché, qui a peut-être fait partie d’une geste des Bruns, se retrouve en essence dans la compilation de Rusticien de Pise, où Segurant le brun est appelé Segurades le brun; voy. l’Analyse, p. 432). Lancelot, poursuit ZL, ne fit que tomber à terre l’écu de Segurant et, honteux de ne l’avoir pas désarçonné, il voulut renoncer pour toujours à porter les armes, mais une demoiselle de la dame du Lac le fit revenir sur cette décision. Aucun des autres chevaliers, dans ce tournoi de Vincestre, la u m. segurans fu quinteine a maintes buon cheualier, ne put lui faire vider les arçons, ni le roi Arthur, ni Gauvain non plus. Segurant, ayant quitté le tournoi, ne retourne pas à L’île non sachant mais résout de courir les aventures. Il marche en compagnie d’un écuyer Galistain (et: Golistan), qui voudrait se venger de Tristan, le meurtrier de son père (le Morhout; cf. l’Analyse, p. 219). Segurant tombe malade et séjourne au château de Roche dure pendant deux mois avant d’être guéri. Il avait contracté sa maladie en suivant mainte journée le dragon, sur l’ordre que lui avait donné la demoiselle de la dame du Lac le dernier jour du tournoi, quand ce dragon apparut au milieu de la place en un grant feu. Dinadan tient compagnie à Segurant malade, qui trouve beaucoup de plaisir à ses paroles. Dinadan lui disait que Lancelot était le meilleur chevalier du monde & m. tristanz le filz au roy meliadus de leonois li tiers estoit m. pallamides li paienz. Segurant désirerait se mesurer avec eux. (Golistan, ayant entendu prononcer le nom de Tristan, prie souvent Segurant de l’armer chevalier pour qu’il puisse venger la mort de son père, car, écuyer, il n’oserait mettre la main sur un chevalier, mais Segurant ne veut pas encore le satisfaire. Guéri, il va un dimanche matin entendre la messe, puis il se met en route avec Dinadan et Golistan et, le soir, les trois compagnons se logent à la maison d’un saint homme ermite. Segurant a bon appétit: il mangeait bien uiande a dis homez. L’ermite lui en fait servir pour doux [12] hommes, et Segurant dévore tout. Dinadan, en riant: « Ne vous en étonnez pas, dit-il à l’ermite; Segurant est le frère du loup, qui dévore tout ce qu’on lui sert. » Partis le lendemain, ils sont hébergés au soir par un vilain de la forêt. Segurant est logé dans une maison, et Dinadan dans une autre, les habitations étant trop petites pour tenir tous les deux. Dinadan veut coucher par force avec la fille du vilain, mais on le prend en chemise et les vilains, au nombre de vingt, le mettent sur un roussin, l’emmènent loin de la maison et le frappent de coroies noires. Segurant se lève et appelle Dinadan qui, lui dit-on, est parti depuis longtemps. Il quitte l’endroit, entend les cris de Dinadan et va le délivrer des vilains, à qui il fait promettre de ne jamais mettre la main sur un chevalier; puis il continue sa marche avec Dinadan. Un jour, dans une forêt à dix lieues de Camaaloth, les deux compagnons trouvent des chevaliers à une fontaine: Lancelot, Tristan, Gauvain, fils du roi Loth d’Orcanie (peu après: Gauvain, le neveu d’Arthur), ensuite Palamède et Keu, le sénéchal d’Arthur. Joutes (le passage suivant est presque illisible). Segurant renverse les quatre et, à la fin, Gauvain (ici se termine tout à coup dans L cet épisode; c’est le dernier de la série des fragments de ce manuscrit (f° 132).” (Löseth, 1924:88-9)

Plus loin il discute le fait que les épisodes VIII et X d’Arioli, ou §223-224 de Lathuillière, le combat de Ségurant contre Galehaut etc. se trouvent dans le manuscrit Vatican Reg. 1501 et le BnF 358. (p. 107-112)

Entre 1891 et 1924, Löseth touchait donc déjà aux épisodes concernant Ségurant dans le BnF 12599, dans Rusticien II, y compris la version alternative du BnF 358. Il résumait quelques épisodes des Prophéties de Merlin en version longue concernant Ségurant (“version complémentaire romanesque”), mais pas du tout (il nous semble) le manuscrit de l’Arsenal, ni la version de Londres-Turin, qu’il n’avait pas pu consulter. 

Pour ça, il faudrait attendre l’édition des Prophéties de Merlin par Lucy Allen Paton en 1926-1927.

Non seulement elle résume les épisodes propres au manuscrit de l’Arsenal (version cardinale), les aventures de Ségurant dans la version longue des Prophéties de Merlin (“version complémentaire romanesque”) et édite les prophéties le concernant (“version complémentaire prophétique” sauf les trois prophéties que Arioli rajoute) tout en remarquant que celles-ci présupposent que des histoires sur Ségurant soient connues des lecteurs et des auteurs de ces textes, notamment sur le tournoi de Vincestre, la quête du dragon ou le trésor d’Hector (II.280) ce qu’on attendrait d’une édition des Prophéties de Merlin — mais sa discussion inclut également 

  • Le lien entre ces récits et les aventures de Ségurant dans la tradition de Guiron le Courtois, avec le manuscrit 358 et, celui de Turin, autrement dit les deux branches “alternatives” identifiées par Arioli. (II.287) Cependant, elle s’appuie là sur les annonces du prologue de Turin, le manuscrit étant toujours trop abîmé par l’incendie de 1904 pour être lisible.
  • Le résumé de l’épisode propre au ms. BnF 12599 (II.289-290) et l’hypothèse qu’il doit dépendre soit de X (= les Ur-Prophéties) soit de “la version de Guiron que X avait utilisée” s’il existait une telle source séparée. De même, elle remarque que son rédacteur connaît le Tournoi de Vincestre, la Dame du Lac interdisant la joute Lancelot/Ségurant et que l’enchantement de Ségurant ne pourrait être dissipé que par le Graal, éléments qu’on trouve dans le manuscrit de l’Arsenal. (II.290)
  • Une discussion, malgré son “désordre inédit”, de Ségurant dans la compilation de Rusticien, elle remarque qu’on y trouve “Ségurant et Hoderis” (ép. VIII) et “Ségurant et Galehaut au pont” (ép. X), la version alternative de l’épisode 12599, et le court résumé présentant Ségurant :

“Dans la vaste compilation de Rusticien de Pise sont racontées les aventures de Segurant et Horderis (voir ci-dessus, I, 430) et de Segurant et Galeholt au pont (voir ci-dessus, I, 431), et un autre épisode de Segurant qui rappelle le scène de joute de 12599 que nous venons d’examiner (voir Löseth, op. cit. pp. 431, 432). Ici Segurant (Segurades le Brun), appelé le Chevalier du Dragon et vainqueur du tournoi de Vincestre, que comme « le maistre vous fait assavoir », personne, pas même Lancelot, ne pourrait renverser, erre à Logres avec son écuyer Golistan, qui déteste Tristan, parce qu’il a tué son père (à savoir Morhout). A une fontaine, ils rencontrent Lancelot, Tristan, Gauvain, Palamède et Kex, que Segurant désarçonne à l’exception de Lancelot, avec qui la Dame du Lac lui a interdit de jouter. Cette aventure est immédiatement précédée chez Rusticien d’une autre dans laquelle figure Segurant (sans rapport avec les Prophéties), qui précède aussi immédiatement la scène du basculement en 12599. Ces ressemblances sont à noter, bien qu’elles ne puissent servir à aucun argument digne de confiance alors que les textes de Rusticien restent dans leur longueur actuelle et lasse de désordre inédit (voir Löseth, p. 473, sur les manuscrits et les premières éditions de Rusticien) ; mais en surface, ils suggèrent la possibilité que dans cette section du Rusticien nous ayons une rédaction de cette même version du Palamède qui a influencé X.”

Trad. personnelle de : “In the vast compilation of Rustician of Pisa the adventures of Segurant and Horderis (see above, I, 430) and of Segurant and Galeholt at the bridge (see above, I, 431) are narrated, and still another episode of Segurant which recalls the tilting scene of 12599 that we have just been examining (see Löseth, op. cit. pp. 431, 432). Here Segurant (Segurades le Brun), spoken of as the Knight of the Dragon and victor of the tournament of Vincestre, whom as “ le maistre vous fait assavoir, ’’ none, not even Lancelot, could overthrow, is wandering in Logres with his squire Golistan, who hates Tristan, because he has killed his father (namely Morhout). At a fountain they meet Lancelot, Tristan, Gawain, Palamedes, and Kex, all of whom Segurant unhorses with the exception of Lancelot, with whom the Dame du Lac has forbidden him to joust. This adventure is immediately preceded in Rustician by another in which Segurant figures (not connected with the Prophecies), which also immediately precedes the tilting scene in 12599. These resemblances should be noted, although they cannot serve for any trustworthy argument while the texts of Rustician remain in their present weary length of inedited disorder (see Löseth, p. 473, on the manuscripts and early editions of Rustician) ; but on the surface they suggest the possibility that in this section of Rustician we have a redaction of that same version of the Palamedes that influenced X.” (Paton II.290n1-291n)

Tout en pointant l’état désordonné de la tradition de Guiron le Courtois, qui empêche toute conclusion définitive, Paton estime que c’est dans une des ses versions particulières qu’on devrait trouver la source ultime des aventures de Ségurant, qui contiendrait, d’après elle, “the Isle Non Sachant and the conquest of the giants preserved in A, as well as those episodes which we have found are common to both the Prophecies and 358.” (II.288) — car le prologue de Turin mentionnait déjà la vallée aux Bruns “toute pleine de géants” déllivrée par les Bruns. (édité Rajna 1875 ; Lathuillère 1966:181-183)  Cette hypothèse “allait de soi” : plutôt que d’imaginer des sources dont on n’a pas de traces, il était plus économique d’imaginer que le personnage de Ségurant avait été introduit dans une des nombreuses versions de Guiron le Courtois, ce roman constamment mis à jour. Mais elle reposait sur un terrain fragile, à savoir la confusion généralisée entre Guiron et Rusticien, que les livres labyrinthiques de Löseth et Lathuillère avaient à peine clarifiée. L’hypothèse collait donc à cette chronologie incertaine : le roman de Guiron le Courtois étant a priori attesté en 1240, il avait quelques décennies pour foisonner et léguer le personnage de Ségurant aux Prophéties de Merlin, écrites dans les années 1270.

À la fin des années 30, Ernst Brugger apporte diverses corrections aux théories de Paton tout en prolongeant plusieurs de ses théories, dans une série de (longs) articles qui mis bout-à-bout atteignent la taille d’une monographie et discutent largement de Ségurant : 

  • « Verbesserungen zum Text und Ergänzungen zu den Varianten der Ausgabe der Prophecies Merlin des Maistre Richart d’Irlande. » Zeitschrift für romanische Philologie, vol. 56, no. 4 (1936), pp. 563-603.
  • “Die Komposition der “Prophecies Merlin” des Maistre Richart d’Irlande und die Verfasserfrage”, in Archivum Romanicum, 20 (1936), pp. 359-448. [PDF, 8mo]
  • “Kritische Bemerkungen zu Lucy A. Paton’s Ausgabe der ‘Prophecies Merlin’ des Maistre Richart d’Irlande”, Zeitschrift für französische Sprache und Literatur, 60 (1937), pp. 36-68 et 213-223
  • “Das arturische Material in den Prophecies Merlin des Meisters Richart d’Irlande mit einem Anhang über die Verbreitung der Prophecies Merlin”, dans Zeitschrift für französische Sprache und Literatur, 61 (1938), p. 321-362, 486-501 et 62 (1939), p. 40-73

Nous ne pouvons que vous résumer ces ~267 pages (sans pouvoir complètement les critiquer puisque les spécialistes se limitent souvent à les citer en bloc par acquis de conscience, e.g. Arioli, Étude 2019:37n21, Benenati 2021:38n10) mais en plus de remarques critiques sur l’appareil critique de Paton (l’essentiel des articles de 1936 et 1937), ce lecteur attentif n’a pas échoué à discuter Ségurant et ses ramifications de long en large, ce qui inclut la question de la composition des Prophéties. Déjà dans ses premiers articles : Ségurant visitera la tombe de Merlin (Verbesserungen 1936:573) ce qui devait être raconté dans une partie perdue, comme d’autres aventures de Ségurant. (Komposition 1936:419) il est plus fort que Lancelot (Ibid. 408) et un personnage principal du cycle aux côtés de Méliadus (Ibid. 423-4). Il propose un stemma des manuscrits, le groupe “compilation”, serait plus proche de l’archétype original et le seul à préserver les matériaux du livre de Tholomer qui était dans l’original. (Brugger 1937:44, voir ci-dessus fig. 2)

Mais surtout : son article sur les matériaux arthuriens du cycle concerne en fait principalement la matière de Ségurant, en plus des questions qui entourent les épisodes du tournoi de Sorelois ou les aventures d’Alixandre l’Orphelin, qu’on retrouve dans plusieurs compilations.

Brugger réalise déjà que la trame narrative sur Ségurant se poursuit à peu près d’un manuscrit à l’autre et propose son analyse dans l’ordre de lecture suggéré par Arioli : les épisodes de l’Arsenal (1938:352-362), puis les épisodes de la version longue des prophéties de Merlin (1938:486 sqq.), les épisodes complémentaires de la Queste 12599 et de Rusticien (1938:490 sqq.), et enfin les prophéties sur le futur de Ségurant, son désenchantement par le Graal (1938:491-8) sa croisade et son couronnement en Orient (1938:499-501), sa quête de la tombe de Merlin (1939:40 sqq.).

Il regrette de n’avoir accès aux épisodes romanesques que par les résumés de Paton (1938:348) ou de Löseth (1938:490n59) qu’il juge insuffisants pour analyser les textes, et il est effectivement parfois induit en erreur par ceux-ci, prenant pour argent comptant dans la version cardinale quand Morgane annonce aux chevaliers cherchant Ségurant que celui-ci va retrouver le dragon à sa tanière et le terrasser, alors qu’elle cherche en fait à les piéger. (1938:494) Il doute aussi que l’ordre de certains épisodes soit correct. (1938:355n41)

Suivant Paton, il connaît le réseau de textes “séguraniens” entre Rusticien, BnF 358 et BnF 12599 (1938:353) mais côté Rusticien lui reproche de ne pas connaître le manuscrit de Florence, décrit par Löseth en 1924.

Pour Paton, les allusions à diverses histoires perdues présupposent une source perdue, probablement guironienne (II.280) mais pour Brugger la croisade, les prophéties sur le couronnement de Ségurant, certaines aventures de la version longue, etc. sont cohérentes et viendraient purement et simplement de l’auteur des Prophéties de Merlin, on aurait simplement perdu des portions de ce roman, d’où le matériel manquant. (1939:44

Par contre, côté Ségurant, il pense effectivement que c’est le cycle de Guiron le Courtois (encore appelé Palamèdes) qui forme la source la plus importante.

Ségurant est une “Palamedesfigur” (1938:337), le plus jeune personnage du “Palamèdes” (1938:353), c’est-à-dire de Guiron le Courtois, et comme son écuyer Golistan, il proviendrait de ce cycle (1939:45). Contrairement à ce que croit Paton, dit Brugger, le tournoi de Winchester, l’interdiction de combat Lancelot/Ségurant par la Dame du Lac, Golistan qui veut être adoubé par Ségurant, auraient leur source, non dans les Prophéties de Merlin, mais dans une source guironienne. (1938:491, cf. aussi 1939:65 sur la source guironienne de Ségurant)

Dans Rusticien, le dragon apparait “en un grand feu”, ce qui pourrait simplement être que le dragon crache du feu (1938:358n47). Brugger pense que c’est dans une version guironienne similaire que les Prophéties de Merlin ont pioché : le dragon n’y crache plus de feu, mais le narrateur garde le feu par le mur de feu projeté par Sibylle. Pour Paton, ces éléments, le fait que le dragon soit un démon, invoqué par Morgane et ses acolytes, ou que Ségurant soit enchanté, montraient que l’épisode était plus cohérent dans les Prophéties de Merlin, et devait donc en provenir. Pour Brugger cela montre simplement  que le récit, emprunté à une source guironienne, a été harmonisé avec les intérêts particuliers des Prophéties de Merlin : dans Rusticien, pas besoin de motivation pour poursuivre le dragon, Ségurant se lance à sa poursuite comme tout bon chevalier errant qui se respecte, mais pour le moralisateur rédigeant les Prophéties de Merlin, il faut le justifier par un enchantement des méchantes fées et toute une histoire de démons. (Brugger 1938:358-360

De même il pense que c’est Rusticien ou une source guironienne qui inspire l’épisode complémentaire 12599 (1938:488) qui inspirerait ensuite les dernières aventures de Golistan dans la version longue des Prophéties de Merlin. (Brugger 1938:488-489)

Vous l’aurez compris, la démarche de Brugger tient de la Quellenforschung, la “recherche de sources” à l’ancienne, et n’a pas peur de postuler des sources perdues ou recomposées, à partir d’arguments sur leur contenu ou leur insertion dans les manuscrits. C’est d’ailleurs un spécialiste des théories à huit bandes quant à la formation des cycles en prose : en 1905-1910 il affirmait qu’on serait passé d’un cycle du Petit Graal à quatre branches (au lieu de trois) qui aurait ensuite intégré le Perlesvaus avant de céder la place à un Lancelot (proche des théories de Sommer, cf. Bruce II.136-141), que la Suite du Merlin Post-Vulgate devait être le reste d’un plus large Conte del Brait, perdu, (1939:61) — il y a une confusion autour de ce terme utilisé par les scribes médiévaux, semble-t-il, pour désigner différents textes : dans le prologue du Tristan en prose ça désigne le Tristan en prose, alors que la Suite du Merlin distingue clairement “Conte du Brait” et Tristan. Gaston Paris (1886:xxxvi sqq.) postulait déjà que le Baladro del Sabio Merlin espagnol préservait des traces de cette œuvre, alors que pour Bogdanow, le Conte du Brait n’a jamais existé, le Baladro ne ferait que développer des allusions pendantes de la Suite du Merlin (1962:336). Si on devait croire toutes les allusions aux aventures qu’on y trouverait, ses dimensions seraient imposantes, mais, précisément, c’est peut-être simplement une excuse des scribes : pas envie de raconter une aventure, on dit que vous la trouverez dans le Conte del Brait. (cf. Lendo 2001:422)

Et c’est toujours Brugger qui a défendu mordicus, envers et contre tous, que le cycle “Post-Vulgate” du pseudo-Robert de Boron devait contenir un Lancelot comme le Lancelot-Graal. (Brugger 1939:62-63)

C’est précisément contre ce genre de théories que Ferdinand Lot mettait en garde :

“L’explication à jet continu des difficultés par le système des interpolations c’est la porte ouverte à toutes les chimères. On enfourche l’hippogriffe qui vous entraîne dans les régions éthérées des ‘textes primitifs’ qui se plient complaisamment à toutes les hypothèses.” (1918:120-2)

Voici l’état de la question à la fin des années 30. Le mérite d’Arioli ne se trouve pas vraiment dans le fait d’avoir exhumé ces branches de la tradition, mais de rouvrir le dossier et proposer, en rassemblant divers éléments, une chronologie des textes peut-être plus proche des faits, et qui postule moins de sources perdues. 

En 1966, Roger Lathuillère discute et classe les différents épisodes présents dans Guiron le Courtois (au sens large, puisque les frontières de l’oeuvre ne sont pas évidentes), y compris certaines de ces aventures de Ségurant, mais une source séparée, une “Geste des Bruns” ça lui paraît une hypothèse gratuite pour expliquer de telles compilations tardives, peu cohérentes et sans forme définitive. (1966:128) Pour Paton, “ça allait sans dire”, que le cycle de Ségurant s’est développé du côté de Guiron le Courtois avant d’être inséré dans les Prophéties de Merlin. (II.285) En effet, les autres membres du clan des Bruns (Galehaut le Brun, Branor le Brun, etc.) semblent être un développement au sein de Guiron le Courtois, (Lathuillère 1966:128 ; Vermette 1981:282n18 ; Arioli Étude 2019:60) donc si on ne suppose pas une source séparée comme Löseth, ce serait une hypothèse économique d’imaginer la même chose pour le petit dernier de la famille, leur neveu Ségurant. Et c’est une piste que suivront Ernst Brugger, Fanni Bogdanow et Nathalie Koble, c’est-à-dire essentiellement toute la discipline. (Voir Brugger 1938:353, 491, 1939:45, 65 ; Bogdanow 1967:332n1 ; Koble 2009:61 ; Carné 2018:§3, débat résumé par Lagomarsini 2014:89 sqq.)

Koble dit encore que la relation entre Golistan est Ségurant est “empruntée au roman de Guiron le Courtois” (Koble Prophéties 2009:61) tout en remarquant que “Ségurant le Brun n’apparaît que dans la deuxième partie de Guiron le Courtois, dans des versions particulières tardives, dont la plus ancienne est représentée par le manuscrit composite Florence, Biblioteca Mediceo-Laurenziana, Codici Ashburnhamiani, Fondo Libri, n°50, qui date du XIVe siècle.” (Ibid.)

Mais, précisément, si on ne trouve Ségurant que dans des manuscrits guironiens tardifs, et qu’on y doit sa présence à l’influence de Rusticien II, ces manuscrits tardifs ne peuvent pas prétendre être la source recherchée.

D’après la bibliographie d’Arioli, le manuscrit de Londres n’est pas discuté entre sa brève mention dans le catalogue des acquisitions de la British Library en 1907 et un article de Bogdanow en 1960. Chez Paton, le manuscrit de Turin est mentionné seulement pour lamenter qu’il est illisible. (II.288)

En 1965, Bogdanow y mentionne en passant la présence de “Ségurade le Brun” (“Part III of the Turin version of Guiron le Courtois : a hitherto unknown source of MS. B. N. fr. 112” in Medieval Miscellany presented to Eugène Vinaver, Manchester University Press, 1965, pp. 45-64) en évoquant les aventures de Galinant, adaptées de Rusticien qui se déroulent “Some time after Segurades le Brun accompanied by Dinadan and Le Morholt’s son Golistan had unhorsed by a fountain a number of knights of the Round Table” (p. 56) Elle affirme que le manuscrit de Turin est identique à celui de Londres (pour ce qui nous concerne, la version Londres-Turin de Ségurant, ça semble vrai) et que les deux premiers volumes attendent toujours d’être restaurés. (p. 61) 

Quant au manuscrit de Turin, Lathuillère affirmait qu’il ne reste que 28 feuillets des deux premiers tomes. (1966:82-5) Arioli suggère que le reste était peut-être encore dans l’atelier des restaurateurs, ce que Bogdanow mentionne l’année d’avant. Toujours est-il qu’Arioli doit corriger Lathuillère : il nous reste beaucoup plus de feuillets que cela. Correction nécessaire tant Lathuillère est encore aujourd’hui la référence incontournable sur le sujet. On peut supposer qu’en Italie ce fut corrigé plus tôt. S’il est souvent brandi comme un “manuscrit retrouvé” qui a permis cette édition, le texte des portions qui n’ont pas brûlé peut seulement servir à corriger un peu le texte du manuscrit de Londres, qu’il suit presque parfaitement — et donc seulement pour la version de Londres-Turin, a priori tardive. Mais il est assez courant en philologie que l’utilité d’un manuscrit soit de prouver paradoxalement son inutilité.

En 1966, Lathuillère a repéré et distingué tous les épisodes de Guiron le Courtois (au sens large) qu’il a pu trouver, et tenté de les classer, en numérotant chaque épisode, comme Löseth avait commencé à le faire. Dans ce matériau, il trouve en fait les épisodes VIII et X d’Arioli, ses versions alternatives, etc. (voir le tableau 4 ci-dessus pour BnF 358 et Londres-Turin). En 2007, Trachsler y renvoie ainsi pour décrire l’épisode de Ségurant tuant le dragon dans le manuscrit de Londres. (citant Lathuillère §259, 1966:487-9)

En 1967, en recensant le manuscrit de New York, qui lui avait été pointé par Vinaver, Fanni Bogdanow décrit ces “épisodes intertextuels” du chevalier au dragon (les VIII et X de la version cardinale) et liste tous les manuscrits qui incluent ces épisodes, y compris le manuscrit de l’Arsenal et, ceux de Londres et de Turin mais en fait pratiquement tous ceux que Arioli a utilisés. Il en manque en fait trois : 

  1. Le Bodmer 96-1 et 96-2 qui était “inaccessible” avec ses illustrations de chevaux hilares : en 1966, Lathuillère pouvait seulement lamenter que le bibliophile Martin Bodmer lui ait refusé l’accès, il faut attendre 1970 pour qu’il ait son auguste autorisation pour en faire une description, qui d’ailleurs mentionne Ségurant sur la quintaine. (1970:573) La description classique de Françoise Vielliard (1975:66) mentionne également Ségurant sur la quintaine, le tournoi de Vincestre. (Il s’agit de la rubrique comment Seguran le brun fit quintaine Bodmer 96-2 fol. 273c) Pas beaucoup de suspense quant à sa présence dedans. 
  2. Le manuscrit de Berlin, que Fanni Bogdanow elle-même documente en 1991.
  3. Et les fragments de Bologne, édités par Monica Longobardi dans les années 90 (voir : œuvres citées).

Elle remarque que le tournoi de Winchester n’est décrit que dans le manuscrit de l’Arsenal mais, signe du flou qui règne encore, postule qu’il devait figurer dans la seconde partie de Guiron le Courtois :

“The Tournament of Winchester is related neither in the New York MS. nor in Rusticien, but it is found in the version of the Prophecies de Merlin preserved in Arsenal MS. 5229. If, as I shall show later, it is very probable that Rusticien derived some of his material from the now lost sections of Part II of the Palamède, the Tournament of Winchester no doubt also figured in Part II.” (1967:334n1)

Bogdanow prenant au mot le plan annoncé par les manuscrits imaginait encore qu’à l’origine devait s’y trouver une Quête du Graal et la fin du royaume arthurien (façon Mort le Roi Artu) comme dans les autres cycles en prose après tout (Lancelot-Graal, Tristan en prose, Post-Vulgate).

En 2015, Bubenicek voit que les études sur Guiron avancent à grands pas et que c’est le moment ou jamais de publier son édition dépassée de la Suite Guiron, tout en le faisant sous le titre confusant au possible de Guiron le Courtois. Dans la discussion qui l’accompagne, il fournit une description des rubriques du manuscrit de Turin, en notant, comme Arioli, qu’il faudrait compléter l’examen de son début, négligé :

“Le ms. de Turin, partiellement détruit lors de l’incendie de 1904 – voir Lathuillère (1966, 82 n. 1–3), et en dernier lieu, Giaccaria (2007, 335–353) –, a fait l’objet d’une description de la part de notre regretté Maître [i.e. Lathuillère] et d’un article de Bogdanow (1965, 45–64) ; toutefois, les deux demandent à être complétés, notamment en ce qui concerne le début du premier tome, afin de vérifier que T fournit bien le texte identique à L3.” (901n41)

La version de Turin présente dans les feuillets 29d-35c est ensuite décrite ainsi que sa correspondance avec le manuscrit de Londres et les paragraphes numérotés de Lathuillière. (pp. 913-916) Notamment au feuillet 30d : “Miniature : combat de Segurant contre le dragon”

En 2015, nous sommes après qu’Arioli ait défendu sa thèse à l’école des Chartes en 2013 mais avant qu’il ne publie ses reconstructions dans L’Histoire littéraire de la France (2016). Bubenicek, en bon disciple de Lathuillère, identifie correctement la “version de Londres-Turin” dans le manuscrit de Turin, apparemment sans dépendre de ses travaux. Mais sait-on jamais, c’est à la mode de ne pas créditer où l’on pioche.

De même il identifie les épisodes que les “versions alternatives” partagent avec Rusticien :

“Ce dessein – intégrer Guiron à la « geste » des Bruns – conduit nos deux rédacteurs à partager certains épisodes ; ainsi pour ceux qui font intervenir Sugurant le Brun [sic], neveu du fameux Gahehout le Brun, héros des §§ 223 et 224 [de Lathuillière] récits insérés et dans T-I-3 et dans 358.” (p. 42)

Les études arthuriennes sur Ségurant

Les aventures de Ségurant entre ces différentes traditions étaient donc déjà discutées.

Ce qui est certainement vrai, c’est qu’on ne mesurait pas forcément la portée de ces différents liens et on n’en faisait pas toujours une analyse systématique, consciente de toutes ces analyses passées et s’appuyant sur elles. De nombreux chercheurs touchaient ainsi à la matière de Ségurant sans toujours réaliser son ampleur, ou les questions qu’elle avait suscitées par le passé. 

Prenons deux exemples de l’an 2009. Même si elle penche pour une compilation tardive, Koble évoque l’hypothèse que le manuscrit de l’Arsenal préserve des fragments anciens, rappelle que Ségurant est “déjà présent dans les Prophesies de Merlin, la compilation de Rusticien de Pise, et certaines versions de Guiron le Courtois” notamment le BnF 358, où on retrouve la chasse au dragon… mais ce dernier lien ne chamboule pas grand-chose : c’est également un manuscrit très tardif, comme celui de l’Arsenal. Tous les liens sont évoqués mais sans la réévaluation profonde du sens de l’influence ou de sa chronologie que tentera Arioli ensuite. 

Dans sa thèse de 2009 sur le manuscrit BnF 340 Juliette Pourquery de Boisserin remarque : “Un dragon, notamment, est mentionné sans grande conviction au folio 75r, pour expliquer la cause de la maladie de Segurades” (242n382, Ségurant est appelé Segurades dans ce manuscrit) — évidemment si on se concentre sur le seul manuscrit BnF 340, la mention du dragon, dont on ne reparle jamais, arrive comme un cheveu sur la soupe. Elle ne le connecte pas ici aux Prophéties de Merlin.

Koble disait du manuscrit de l’Arsenal, que sa “position, unique dans la tradition manuscrite des romans arthuriens, explique qu’aucune des monographies consacrées au Lancelot, au Tristan et à Guiron le Courtois n’aient fait à notre connaissance état de cet étrange manuscrit, resté caché derrière le buisson touffu des Prophesies de Merlin.” (2009§12)

En effet, il y a tant à faire avec le Lancelot-Graal, le Tristan en Prose, la “Post-Vulgate”, etc. — sans compter les romans en vers, et sans compter les autres langues — que même si vous êtes médiéviste et même si vous étudiez la légende arthurienne, il y a des chances que vous ne connaissiez les Prophéties de Merlin que de loin, et leur tradition éclatée vous aura dissuadé à bon droit de vous investir davantage. Les livres de référence sur les “grands romans” n’en parlent pas, et si les études arthuriennes n’ont pas complètement oublié Ségurant, nous avons souvent oublié de lire les études qui se rappelaient de lui, Lucy Allen Paton au premier chef. Idem côté Rusticien et Guiron.

Même au sein du parterre déjà restreint de spécialistes de la littérature arthurienne, ceux qui seront familiers avec Ségurant ne seront effectivement pas nombreux.

Le dossier n’était donc pas inconnu au sens propre, mais il méritait certainement d’être rouvert.

Par contre, quand le journal Le Monde, le quotidien de référence, va jusqu’à affirmer que “les études universitaires existantes ignoraient Ségurant” (!) il est peut-être nécessaire de faire un court florilège des mentions de Ségurant qu’on pouvait trouver dans les études arthuriennes.

Paton elle-même n’aborde que très brièvement l’état de la recherche en son temps (I.1-2) en citant comme précédentes discussions des Prophéties de Merlin

Brugger (1937:36) complète par les mentions de : 

  • Un aperçu par Hersart de la Villemarqué, Myrdhinn ou l’enchanteur Merlin, 1862, p. 344-64. (pour Brugger quoiqu’il cite des manuscrits il doit se reposer sur l’édition de 1498)
  • Mentionné par Gaston Paris comme une “suite composite” du Merlin (Merlin, 1886:XXV) très brève discussion du contenu des versions imprimées françaises et italiennes, listant les personnages des scribes (XXXIIn1) et mentionnant que l’enserrement de Merlin y colle à la version du Lancelot. (LXVIIIn1)
  • Löseth, Roman en prose de Tristan, 1891, p.466, 481-5, 490 f., §282b-e (Alixandre l’Orphelin et Tournoi de Sorelois), §639a, pp. 217, 219.
  • Sommer, Malory’s Morte Darthur, 1891, III, 291-2, 297-333. (édite deux épisodes, les aventures d’Alixandre l’Orphelin et le tournoi de Sorelois)
  • Freymond, Zeitschriften für Romanische Philologie 1892, p. 106, 112-14, 126
  • J.Ulrich, Zeitschriften für Romanische Philologie, 1903, p. 173-85.

Pas vraiment un spécialiste arthurien, mais nous rajouterions qu’on pouvait par exemple voir l’édition imprimée de 1498 être discutée et reproduite dans La forêt de Brocéliande ; la forêt de Bréchéliant, la fontaine de Bérenton ; quelques lieux d’alentour, les principaux personnages qui s’y rapportent (1896) (volume 2) par François Bellamy. (C’est d’après son texte que Zenker cite un épisode en 1926:25) Quelques prophéties des Prophéties de Merlin sont brièvement mentionnées par Jean Rodolphe Sinner en 1759 dans ses Extraits de quelques poësies du XIIe XIIIe & XIVe siecle (pp. 60-63). La Bibliothèque universelle des romans leur consacrait quelques pages en juillet 1775 (vol. I, pp. 134-140) notamment pour rejetter leur attribution à Merlin (logique).

Löseth discute brièvement de Ségurant dans la version longue des Prophéties de Merlin (et en dehors, bien sûr), mais dans cette liste à part cela, nous ne relevons que deux mentions de Ségurant dans les Prophéties de Merlin, chez Freymond en 1892 : seul Ségurant le roi d’Abiron visitera la tombe de Merlin (p. 112) et chez Sanesi en 1898 : seul Ségurant et Méliadus la trouveront (p. LXV).

Après cet examen, nous estimons donc qu’il n’est pas déraisonnable d’attribuer à Paton le fait d’être la première à s’être sérieusement penchée sur Ségurant dans les Prophéties de Merlin, et surtout dans le manuscrit de l’Arsenal, son article de 1913 le mentionnait sans décrire ses particularités, à l’image de sa mention dans le Catalogue des manuscrits de la bibliothèque de l’Arsenal, vol. V, 1889, p. 169. (Bien entendu si vous avez des discussions antérieures qui prouvent le contraire transmettez-les et nous amenderons ce jugement)

Et son édition a eu une influence certaine.

Dans la Tavola Ritonda qui est une grande compilation arthurienne italienne, Ségurant a 170 ans, il représente la Tavola Vecchia, la vieille table ronde, du temps d’Uther Pendragon, et vient ainsi se mesurer à Tristan. (Étude 2019:134-9, éd. Polidori 413 sqq.) Cet affrontement entre les chevaliers de différentes générations est un thème récurrent en Italie, dans le Livre d’Yvain par exemple. Ironiquement on voit Ségurant devenir un vieux chevalier, alors que le Vieux Chevalier de la compilation de Rusticien, Branor, son oncle (Löseth §623) s’était retrouvé affublé de son titre de chevalier au dragon, quand la mention de son neveu fut coupée par certains manuscrits (BnF 340, 350, Berlin, Bodmer 96-2) dans la phrase “Branor li Brun, oncles de mesire Siguranz le Brun, li Chevalier au Dragon” devenant donc “Branor li Brun, li Chevalier au Dragon” (Cf. Arioli Étude 2019:122n9, Romania 2018:88-89n27)…

Ce qui est plus intéressant c’est qu’en le discutant en 1930, Edmund Garner dit qu’il est évident que ce Ségurant n’a rien à voir avec le Ségurant des Prophéties de Merlin ou bien du Palamède (donc Guiron le Courtois). (p. 174) Ce que répète Joseph Loth en 1933 dans le compte-rendu qu’il en fait dans Le Moyen Âge t. 43, n°1, p. 113.

On voit donc que déjà dans les années 30, peu de temps après l’édition de Paton, les aventures de Ségurant sont assez connues chez les spécialistes pour identifier que cet épisode-là n’a rien à voir. Garner cite abondamment l’édition de Paton, et connaît l’essentiel des aventures du Chevalier au Dragon, par exemple :

“Dans ce dernier roman, la figure de Ségurant le Brun est développée pour en faire un héros qui n’est surpassé en bravoure et en accomplissements chevaleresques que par Lancelot ; il mène sa quête, la poursuite d’un mystérieux dragon de pays en pays, part finalement en croisade et devient roi d’Abiron.”

Traduction personnelle de : “From the last-named romance, the figure of Segurant le Brun is elaborated to appear as a hero second only to Lancelot in valour and knightly achievement; he follows his quest, the pursuit from land to land of a mysterious dragon, eventually goes upon a crusade, and becomes King of Abiron.” (p. 46)

Il cite ainsi (p. 46) sa discussion du fait que du matériel sur Ségurant doit être perdu (Paton II.279-292) et envisage clairement toute la “Geste de Ségurant” contenue dans les prophéties comme constituant un tout, qui en fait l’égal de Lancelot ou de Tristan.

Brugger (1938-1939) qui pensait que le cycle de Guiron le Courtois était la source des aventures de Ségurant (voir ci-dessus) est assez typique : à cause de la confusion généralisée sur Rusticien/Guiron, sa présence dans la tradition Guironienne était beaucoup plus surestimée que sous-estimée ou oubliée.

Löseth remarque déjà des versions sans les Bruns, imagine une source séparée, mais quant aux versions qui les contiennent, dit-il, “on y met en scène, outre Galehout, les membres d’une branche latérale de la famille des Bruns, Hector, Branor, et surtout Sigurant (Segurades).” (1891:434) Surtout Sigurant. Si on ouvre par exemple l’index de l’édition du manuscrit BnF 340 par John F. Levy (inédite) on trouve “Segurades, Segurant le brun un des caractères principaux (chief characters) du Guiron.” (p. 344)

Paton, Brugger et Koble pensaient que Ségurant devait avoir une source guironienne, et à leur suite Pickford (1960) Baumgartner (1975) ou Damien de Carné (2018) le traitent comme un personnage qui doit premièrement être analysé dans l’univers guironien. (Voir ci-après) Seuls les travaux d’Arioli ou des chercheurs gravitant autour du Groupe Guiron permirent d’éclaircir un peu la transmission de ces différentes traditions.

Phénomène semblable, d’ailleurs, quand Lucy Allen Paton considérait que la version BnF 358 devait en certains épisodes refléter la version de Guiron le Courtois qui avait inspiré la biographie de Ségurant (II.286-9) et postulait que dans la version longue des Prophéties de Merlin les aventures d’Alixandre l’Orphelin, et quelques autres, trouvent en fait leur source dans Guiron (II.263 sqq.). Pickford la suivait pour Alixandre (1951:xx cité par Winand 2020:76-8). Brugger arguait déjà qu’ils devaient bien émerger dans les Prophéties de Merlin ou d’une source commune (Brugger 1938:339, 342) par contre il affirmait que les récits sur Ségurant devaient bien venir de Guiron le Courtois, incluant le tournoi de Vincestre (1938:356) ce sur quoi il sera suivi par Bogdanow (1967:334n1).

Soit.

Le manuscrit de l’Arsenal aurait-il été oublié après-guerre ?

En 1925, Vinaver mentionne déjà le caractère subversif de Dinadan et pense que cela suffit à dater les deux versions du Tristan en Prose à deux moments du XIIIe (1925:29) en 1964 il revient là-dessus, complétant son portrait de Dinadan avec sa présence dans Escanor et… les Prophéties de Merlin, notamment la version particulière du manuscrit de l’Arsenal. (Mélanges offerts à Maurice Delbouille, 1964:II.682)

En ce qui concerne Ségurant lui-même, on relève tout de même quelques mentions où il se rappelle au souvenir des études arthuriennes, qui témoignent du fait qu’il n’est pas complètement oublié mais qui illustrent aussi très bien qu’on le situe assez mal, souvent dans Guiron, et que le dossier des Prophéties de Merlin est relativement peu pris à bras le corps. 

En 1960, Cedric Edward Pickford publie L’Évolution du roman arthurien en prose vers la fin du Moyen Age, d’après le manuscrit 112 du fonds français de la Bibliothèque nationale qui examine, notamment, les sources utilisées par cette compilation ambitieuse. Des Prophéties de Merlin ce manuscrit reprend surtout les aventures d’Alixandre l’Orphelin et du Tournoi de Sorelois, donc la présentation (chap. X) en reste très sommaire. Pickford effleure à peine Ségurant : après avoir expliqué que “quatre des treize manuscrits français contiennent, outre les prophéties proprement dite, une collection d’épisodes fondées sur les romans arthuriens” (la “version longue”) il précise “un cinquième manuscrit renferme une série isolée d’épisodes analogues”, la note indique effectivement “Ms. Paris Arsenal 5229” sans un mot de plus sur le contenu de ces épisodes isolés. Au chapitre sur Guiron le Courtois, encore appelé le Palamède, on compte une unique mention de Ségurant le Brun : “Parmi les chevaliers de la génération antérieure”, mise en scène par Guiron le Courtois, “figurent Guiron le Courtois, Segurant le Brun, Herve de Rivel […]” (p. 114)

Symptomatique : s’il mentionne bien le manuscrit de l’Arsenal, et ne fait pas plus que le mentionner, Ségurant est situé du côté de Guiron. 

Conjonction similaire dans le Tristan en prose, essai d’interprétation (1975) d’Emmanuelle Baumgartner. “Sigurant le Brun” y est cité comme un personnage de Guiron le Courtois (p. 48, 65) notamment dans le cadre de sa brève discussion du BnF 12599. De même, elle s’intéresse surtout aux Prophéties de Merlin, pour les épisodes interpolés dans le Tristan et qui en viendraient (Alixandre l’Orphelin, Tournoi de Sorelois), donc on semble relever quelques imprécisions sur le fond — Bréhus serait fils de Merlin (p. 65, reprenant apparemment Löseth 1891:490 qui cite BnF 350 fol. 382-3) ? Elle affirme que le “sage clerc de Galles” y désigne Merlin (p. 77) n’est-ce pas plutôt une allusion au Sage Clerc, personnage à part entière ? etc. etc. 

Plus clairement, les épisodes du tournoi de Vincestre, étaient discutés en 1959 par Roger Sherman Loomis, une figure incontournable des études arthuriennes. 

“Un texte unique des Prophéties, contenu dans ms. Bibl. de l’Arsenal 5229 et inconnu de Zenker, raconte qu’à une autre occasion Morgain envoya des esprits maléfiques sous forme de chevaliers à un tournoi à Vincestre (Winchester). [note : Prophecies ed. Paton, I, 439 s.] Soudain, un dragon, qui était en réalité Lucifer lui-même, ainsi transformé par Morgain, apparut, et se mit à dévorer les autres chevaliers diaboliques. Sebile déclencha des incendies qui sortaient du sol en divers endroits. Le chevalier de la Table Ronde Segurant attaque le dragon et le chassa du terrain.”

A unique text of the Prophecies, contained in ms. Bibl. de l’Arsenal 5229 and unknown to Zenker, relates that on another occasion Morgain sent evil spirits in the form of knights to a tournament at Vincestre (Winchester). [note : Prophecies ed. Paton, I, 439 f.] Suddenly a dragon, who was really Lucifer himself thus transformed by Morgain, appeared and proceeded to devour the other diabolic knights. Sebile caused fires to burst from the ground at various points. The Round Table knight Segurant attacked the dragon and drove it from the field.” (1959:347, repris dans Studies in Medieval Literature, 1970:13)

Pour pinailler on pourrait dire que Ségurant n’est pas chevalier de la Table Ronde.

Et en 1974 par Edina Bozóky qui compare la quête de la Bête Glatissante par Palamède et la quête du Dragon par Ségurant, dans les Prophéties de Merlin et (à tort) le Tristan en prose  : 

“Le motif de la quête de cette bête monstrueuse peut être rapproché avec la chasse au dragon par Ségurant dans le Tristan en prose et dans les Prophecies de Merlin. [note :  E. Löseth, Le roman de Tristan, le Roman de Palamède et la Compilation de Rusticien de Pise, New York, 1970 (réimpr.), pp. 219-220 ; L. A. Paton (édit.), Les Prophecies de Merlin, New York – London, 1926-1927, t. I, pp. 439-42] Dans ce cas-ci, il s’agit aussi d’une attirance quasi magique exercée par le monstre sur son pourchasseur. Ségurant, enchanté par la fée Morgane (plus tard, il sera désenvoûté par le Graal), est aussi incapable d’abandonner la chasse au dragon que Palamède la chasse à la bête. Le cas de Ségurant est peut-être le meilleur exemple de la chasse presque interminable, mais les animaux merveilleux attirent souvent les héros des romans médiévaux vers les aventures difficiles, vers l’autre monde merveilleux.” (p. 147)

Avant ça elle mentionnait l’aventure de Palamèdes fol. 131-134 donc ép. XXXII de la version cardinale. (p. 143)

Toujours en 1974, Jacques Le Goff et Pierre Vidal-Naquet écrivent ensemble l’article “Lévi-Strauss en Brocéliande” qui paraît dans le n° 325 de la revue Critique (juin 1974). Ils y discutent du début de la version cardinale, avec le naufrage de Galehaut le Brun et Hector le Brun sur l’Isle Non Sachant :

“Dans Les Prophécies de Merlin, recueil de la fin du XIIIe siècle [L.A. Paton, édit., New York, 1926.], on voit deux chevaliers, Galeholt le Brun et Hector le Brun [Leurs noms évoquent celui de l’ours], débarquer sur une île déserte mais pleine de bêtes sauvages et réinventer, en quelque sorte, la civilisation, à son degré le plus bas. Leur premier geste est de fabriquer un arc [Loc. cit., supra, pp. 424-425.]. L’arc est ainsi ambigu, signe de chute, ou signe de remontée.” (Repris notamment dans Le Goff, L’imaginaire médiéval, 1984, et d’ailleurs traduit en anglais, 1988:112)

On ne mentionne pas ici Ségurant, mais cela montre deux noms fort renommés de l’université française, et même des Lettres françaises, toucher à la version cardinale à travers le résumé de Lucy Allen Paton, et considérer qu’elle fait bien partie des Prophéties de Merlin. De retour dans le cercle plus fermé des études arthuriennes, Danielle Régnier-Bohler renvoie à “Lévi-Strauss en Brocéliande” dans un article de 1983, qui discute aussi la robinsonnade des Bruns qui introduit la version cardinale. (1983:70-71) De même pour Bernard Sergent sur le thème de l’arc dans le domaine indo-européen. (1991:236)

En 1978, on peut remarquer que dans son French Arthurian Prose Romances, An Index Of Proper Names, G. D. West mentionne effectivement la place de Ségurant du côté de Guiron, sa brève apparition dans la “première” compilation de Rusticien, et sa place dans les Prophéties de Merlin (1978:277), mais ne discute que les épisodes de la version longue (secourt la princesse de la Cité Fort, détruit le mécanisme de la tour aux chevaliers de cuivre). Toutefois, sans discuter les épisodes du manuscrit de l’Arsenal, il renvoie à Paton II.279-300, sa discussion citée plus haut sur la matière de Ségurant, qui mentionne donc le manuscrit de l’Arsenal et sa place cruciale.

En 1991, Berthelot mentionne par exemple que le manuscrit de l’Arsenal “appartient à une autre famille de manuscrits” mais le seul de ses épisodes qu’elle discute… c’est la conversation de la Dame du Lac avec Bohort ?

Mais on ne peut pas non plus prétendre que le Bodmer 116, et, mettons, le manuscrit 5229 de l’Arsenal, qui appartient à une autre famille de manuscrits [renvoie au classement des manuscrits de Paton, I.1], contiennent la même œuvre. Les deux scribes ont tous deux privilégié la matière romanesque par rapport à la matière prophétique. L’un l’a fait toutefois avec plus de discrétion que l’autre, et de surcroît ils n’ont pas choisi les mêmes épisodes romanesques. Il y a des constantes : le tournoi de Sorelois, par exemple; mais des “scènes de la vie quotidienne” de la Dame du Lac et de Bohort, qui ne se trouvent pas dans le Bodmer 116, se rencontrent dans l’Arsenal 5229. Il est impossible de déterminer si le scribe qui a introduit ces modifications par rapport au texte dont il disposait à l’origine l’a fait en fonction de ses goûts personnels ou pour obéir à la demande expresse d’un commanditaire. De toute manière, à un niveau ou à un autre, il y a travail de création, ou plutôt de recréation : le scribe n’est peut-être pas écrivain à part entière, mais il s’en rapproche beaucoup.

Berthelot, Figures et fonction de l’écrivain au XIIIe siècle, 1991:108

Paragraphe d’ailleurs peu clair, qui semble impliquer que le manuscrit de l’Arsenal raconte le tournoi de Sorelois (le confondant avec celui de Winchester ?..), qui ne mentionne pas que la conversation de la Dame du Lac et Bohort est partagée par le manuscrit de Berne, l’Arsenal et (en partie) l’édition Vérard de 1498 (Paton le notait déjà, I.22, I.223 sqq.), et ne mentionne pas d’épisodes uniques au manuscrit de l’Arsenal.

Il semble qu’on a toujours eu tendance à considérer la version longue comme la version standard des Prophéties de Merlin, ni le résumé de Garner en 1930 ni l’index des noms dans les romans arthuriens en prose de West en 1978 ne mentionnaient les épisodes du manuscrit de l’Arsenal, mais il est fort possible que l’édition du manuscrit Bodmer par Berthelot en 1992 ait contribué à renforcer notre oubli : maintenant qu’on a accès au manuscrit le plus complet de la version longue, on peut plus facilement le considérer comme la version de base et le reste de la tradition comme des variantes… 

En 2007, Sophie Albert consacre un article à Galehaut le Brun, elle y mentionne Ségurant, et les généalogies concurrentes du personnage “La version que résume Eilert Löseth correspond à une seconde rédaction [dans BnF 340] ; Hector y devient, comme dans les Prophéties, le père de Ségurant, et le rédacteur ajoute de nouveaux épisodes à l’histoire des Bruns.” (§20n16) — même s’il est discuté dans le cadre du Guiron, on remarque le lien aux Prophéties et le fait qu’il apparaît dans des versions plus tardives, qui dépendent d’ailleurs de Rusticien : “Ségurant, conformément à un épisode de la seconde version de la Compilation de Rusticien, triomphe même de Galehaut à la joute, ce qui indique sa supériorité (§ 224 de l’analyse [de Lathuillière])” (§24n20).

En 2009, Koble publie son livre sur les Prophéties de Merlin et son article sur le manuscrit de l’Arsenal, braquant donc un projecteur dessus, tout en reconnaissant que ce dernier est essentiellement absent de tous les ouvrages de références sur les grands cycles arthuriens. (2009§12)

En 2010, discutant la couleur de cheveux au Moyen Âge, Myriam Rolland-Perrin mentionne en passant “Galehot le Brun, Segurant le Brun, Hestor le Brun (son père)” dans les Prophéties de Merlin pour illustrer que “brun” semble un qualificatif neutre. (§130)

En 2014, pour l’index du Arthur of the Italians, le Ségurades/Ségurant de la compilation guironienne (p. 28) et le Ségurade, mari cocu du Tristan en Prose (p. 97-8) ne font qu’un seul et même personnage.

En 2015, un article d’Anne Berthelot sur l’épreuve de la tour aux chevaliers de cuivre dans les Prophéties de Merlin (version longue), remportée par Ségurant, qui fait partie de la version complémentaire romanesque. 

En 2018, pour  Damien de Carné discutant la Queste 12599, l’épisode qui y “met en scène Ségurant le Brun, est manifestement emprunté à un texte guironien préexistant” (§3) — ce qui serait le cas si on imagine que la Queste 12599 le reprend à Rusticien II. En note, il mentionne que les avis divergent (Koble, Arioli, Lagomarsini) mais conclut “Quoi qu’il en soit, le personnage de Ségurant, du lignage des Bruns, appartient prioritairement, si l’on peut dire, à l’intertexte guironien.” (n. 7) illustrant donc ce penchant très établi de la discipline à placer Ségurant dans l’univers guironien plutôt que dans les Prophéties.

Bref, un exposé loin d’être exhaustif, et surtout en français, mais vous l’aurez compris, on discutait de Ségurant, même si c’était souvent en passant, de manière souvent superficielle, et que le brouillard persistant autour de la tradition de Guiron le Courtois laissait miroiter à la plupart des spécialistes qu’il devait y trouver son origine, avec le reste de la famille des Bruns, ou du moins qu’il appartenait bien plus pleinement à cet univers. 

L’état de la question dans les travaux d’Arioli

Arioli a le mérite de rouvrir un dossier important, d’en réévaluer les éléments et de recentrer des écrits négligés dans la discussion. Son étude, minutieuse, force à les considérer plus qu’on ne l’a fait avant.

Néanmoins, ce qui est nouveau, inédit dans son travail devient ironiquement difficile à distinguer, peut-être parce qu’il ne se confronte que très indirectement au buisson touffu des théories de ses prédecesseurs. Certes, on peut les trouver encombrantes, et donc plus clair de faire table rase pour établir avec certitude ce qu’on sait, pour se défaire des habitudes erronées de la discipline, que nous venons de voir. 

Toutefois, le passage qui s’approche le plus d’une confrontation entre ses théories et celles d’antan se trouve à la page 47 de son Étude de 2019 : 

Comme l’ont fait Lucy Allen Paton, Ernst Brugger et Cedric Edward Pickford, on peut supposer que l’œuvre, pour ses épisodes romanesques, réutilise — du moins en partie — des matériaux antérieurs.

Aucune note de bas de page ne vient renvoyer à leurs travaux, ou discuter en quoi ils allaient au-delà de la “suggestion”, et comprenaient des théories argumentées qui anticipent largement les siennes, y compris le gros morceau, pour les deux tomes de l’édition de Paton et les 267 pages d’articles de Brugger : le fait que les épisodes arthuriens de la version longue et du manuscrit de l’Arsenal, en particulier Ségurant, faisaient partie intégrante de la forme originale des Prophéties de Merlin. (Paton II.282, Brugger 1939:66-7)

Prenez l’index de son Étude, et examinez les mentions de Lathuillère et Paton, rarement substantielles. Il renvoie à l’édition de Paton, reprend donc son chapitrage et sa datation des prophéties, ainsi que leur localisation à Venise, mais aucune de ses analyses sur leur contenu, leur histoire ou même les liens avec d’autres traditions manuscrites, Queste 12599 et “versions alternatives”. À l’inverse, il est courant, dans le domaine des études guironiennes, de renvoyer, c’est pratique, à la numérotation des épisodes catalogués par Lathuillère (voir notre Tableau 5 ci-dessus par exemple), mais Arioli ne le fait jamais ou plutôt, le seul endroit où il le fait est très symptomatique : dans la version remaniée de son article de la Romania, car on ne peut pas couper à l’usage quand on publie dans une revue spécialisée. Les numéros de paragraphes sont par contre forjetés en vrac dans une seule note de bas de page. (Étude 2019:330n16)

Les rares mentions substantielles consistent à corriger leurs errements : Lathuillère croyait que les deux premiers volumes du manuscrit de Turin étaient perdus (correction importante, certes), et Paton que le fragment de Trèves était perdu. (p. 34) D’ailleurs, quitte à donner dans le techniquement correct, soyons précis, elle ne le dit jamais perdu, elle indique simplement qu’elle ne le connaît qu’à travers une recension. (1913:124 ; 1926:I.19)

En dehors de ça, on n’aborde leurs travaux que de loin. En plusieurs endroits, on s’étonne de ne pas voir mentionné que Paton ou Brugger discutaient déjà certains éléments et anticipaient certaines analyses. 

En ce qui concerne le manuscrit de l’Arsenal, il affirme que Koble en a proposé une analyse synthétique mais Paton a décrit le manuscrit de l’Arsenal. (p. 24) La note renvoie, pour Paton aux pages I.28-29, sa description du manuscrit, mais étrangement ne renvoie pas aux 25 pages où elle en décrit longuement les épisodes inédits et uniques, qui forment tout l’intérêt du document. Pour le résumé de sa thèse de 2013, le manuscrit a été “brièvement décrit en 1926 par Lucy Allen Paton”. En 2016, il mentionnait encore : “Lucy Allen Paton a inséré un résumé sommaire de la plupart de ces épisodes à la fin de son édition” (Étude 2016:6n11) nous vous laissons consulter les vingt-cinq pages du résumé de Paton (I.423448) afin de vérifier s’il vous semble beaucoup plus “sommaire” que le résumé d’Arioli qui court sur treize pages dans son édition (I.65-77). Que Paton eût déjà identifié et résumé les épisodes propres au manuscrit de l’Arsenal n’est plus du tout mentionné en 2019, il nous semble, ni dans l’Étude, ni dans l’édition de Ségurant. Le résumé était trop “sommaire”, trop “brièvement décrit”, pour garder cette mention, sans doute. Il est vrai que c’est toujours subjectif, en ce qui concerne les épisodes romanesques de la version longue, Koble considérait plutôt que Paton en faisait un “résumé très détaillé”. (Koble Prophéties 2009:495n1)

La concision n’explique pas cette absence, cela ne prendrait que quelques mots de faire allusion au fait que le manuscrit de l’Arsenal était déjà analysé en 1926, et semblerait parfaitement logique. Pourquoi cette absence ?

Dans un des tableaux finaux qui compare les différentes traditions des Prophéties, (p. 357) Arioli note les correspondances avec les éditions de Paton et de Koble. Pour la conversation entre la Dame du Lac et Bohort, on renvoie donc bien à “note p. 223-7” chez Paton. Par contre, la case reste vide pour le “fragment de Berne-Bruxelles”, bien que Paton ait aussi transcrit en note le texte du manuscrit de Berne (I.253n5) et remarqué (I.20-21) qu’il devait s’agir, avec les autres fragments du genre, de bribes de récits abrégés. (ce qui est discuté par Koble Prophéties 2009:128-9, citée, elle, par Arioli, Étude 2019:41n36, ou Winand 2020:61n53) Ici, il s’agit peut-être d’une simple coquille, après tout on constate aussi ce qui semble une erreur dans la numérotation des feuillets du manuscrit de Berne (Étude 2019 dernière colonne p. 357, on attendrait 55v au lieu de 65v, de même page suivante, on attendrait 58r au lieu de 68r.) mais cela s’ajoute malheureusement à une tendance à minimiser les analyses de Paton, quand elles sont seulement mentionnées.

Doit-on forcément faire toute l’histoire d’un sujet avant de l’aborder ? Est-on tenu de chanter les mérites des théories qu’on veut corriger ? Certes, récapituler toutes les théories passées que vous pensez fausses avant de présenter celle qui vous semble correcte est très souvent le meilleur moyen de susciter la confusion et l’ennui quand un lecteur cherche une explication claire et concise. Faire l’histoire d’une discipline n’est généralement pas la meilleure introduction à cette discipline. Mais pensez à la façon dont ça se conjugue avec la stratégie de communication que nous discutions en introduction. Simplifier, c’est inévitable, mais en l’absence d’une telle mise au point, un novice, la tête pleine des simplifications du documentaire Arte ou des interviews d’Arioli pourra écumer la traduction de Ségurant et même l’Étude savante de 2019 sans dissiper le moins du monde les malentendus nés de son premier contact avec Ségurant. 

Le documentaire présente la version Londres-Turin comme l’aboutissement de la quête d’Arioli, la dernière pièce du puzzle. Sans renvoyer à ses résumés de 1966, qui ont d’ailleurs pour le novice l’avantage d’être rédigés en français moderne, comment un nouveau lecteur devrait découvrir que ce combat contre le dragon était déjà discuté alors par Lathuillière ? 

On croirait facilement que personne n’avait ne serait-ce que lu le manuscrit de l’Arsenal avant lui. Si on ne fait que parler de manuscrits découverts, de fragments exhumés, d’un roman reconstitué comment pourrait-on savoir que la plupart de ces textes étaient déjà discutés et parfois même édités avant 2019 ?

Si le documentaire nous montre Arioli comprendre d’un seul coup que la tradition des Prophéties de Merlin doit peut-être son caractère éclaté à leur mise à l’index par le concile de Trente, un spectateur bon public imaginera qu’il s’agit d’une mise en scène un peu théâtrale de ce qui avait été une véritable fulgurance, une véritable trouvaille d’Arioli. Pourquoi supposerait-on que cette hypothèse était en fait déjà mentionnée, de Jane Taylor en 2011 (p. 100) à Félix Bellamy en 1896 ? (II.556)

Arioli discute abondamment les fragments de manuscrits, ratés par Paton (Trèves) ou Lathuillère (Turin) et que lui-même a heureusement sauvés de la perdition et ramenés à la lumière, malheureusement sans préciser leur véritable importance pour l’établissement de son édition, qui se révèle souvent très limitée. Le manuscrit brûlé de Turin permet d’apporter quelques corrections à celui de Londres, mais qui sont parfois évidentes. Le fragment de Modène permet de combler une phrase sautée par les autres manuscrits. Certains ne contribuent d’ailleurs pas du tout à l’édition, le fragment de Trèves, retrouvé et donc mentionné dans la préface de sa traduction, ne concerne aucun des épisodes sur Ségurant. Le fragment d’Oxford contient une formule d’entrelacement qui suit un épisode de la version 358 — il ne contribue donc pas une seule ligne de texte, pas un seul mot, mais occupe une place dans la liste des fameux 28 manuscrits. Sans précisions, le lecteur moyen s’imaginera probablement un roman-patchwork constitué principalement de coins de parchemins raccommodés ensemble, fort éloigné de la réalité où l’entièreté du texte qu’Arioli attribue à un roman perdu de Ségurant… se trouve en fait dans le manuscrit de l’Arsenal. (Voir la section suivante pour une série de précisions sur divers malentendus)

Bref, si on pourrait certainement justifier séparément les choix de la stratégie de communication et de l’Étude, mis bout-à-bout, cela ne peut qu’entretenir une incompréhension généralisée sur la nature des travaux d’Arioli et ce qu’ils apportent véritablement sur le plan de l’analyse, de la pensée, leurs véritables mérites. 

On ne peut jamais parler de tout, mais on songe au vers d’Horace : Paulum sepultae distai inertiae celata uirtus, il y a peu de différence entre la vertu cachée et la lâcheté ensevelie. Le silence enterre toujours les deux.

IV. Incompréhensions

L’essentiel des malentendus qu’on trouve dans le public et les médias semble venir de ce que le thème majeur dominant la présentation de l’édition et de la traduction de “Ségurant” fut celui de la découverte fabuleuse des manuscrits perdus. La télé aime toujours les “découvertes”, remarquait Bourdieu, mais c’est un registre, il faut dire, qui a la vertu égalitaire de niveler le champ de la discussion : si c’est un roman arthurien inédit, on se sent peut-être moins intimidé par les siècles de légendes et les décennies d’analyses que connaissent les spécialistes, pour eux aussi ce sera un premier contact avec cette lecture, aussi fraîche pour eux que pour nous, on a moins de rattrapage à faire, on se sent donc davantage invité à le lire, c’est plus accueillant. Lisez les critiques en ligne de sa traduction, vous remarquerez d’un côté beaucoup d’enthousiasme pour l’incroyable découverte, et de l’autre côté des gens déçus par le contenu du texte édité, finalement pas si incroyable que cela. Même pour la BD, on remarque que “Si l’on ne connaît pas l’histoire de cette redécouverte récente (ce qui était mon cas), il est assez utile de lire la préface et la postface (peut-être même avant de lire la partie BD).” L’incroyable découverte devient la source principale d’enthousiasme et d’intérêt du public pour le texte.

Cependant, le cortège d’images saisissantes suscitées par ces descriptions, même quand elles sont techniquement correctes, a vite fait d’entraîner le public en erreur, quand la communication oublie un peu trop les maximes de Grice.

Les maximes de Grice sont un de ces concepts savants qu’on évoque souvent de façon elliptique, non parce qu’ils seraient trop compliqué mais, au contraire, parce qu’une fois décrites en termes commun elles semblent évidentes : 

  • Maxime de quantité (quantité d’information) : “Que votre contribution contienne autant d’information que nécessaire, mais pas plus d’information que nécessaire”
  • Maxime de qualité (véracité de l’information) : “N’affirmez pas ce que vous croyez être faux ou ce qui ne peut être considéré comme vrai, faute de raisons suffisantes”
  • Maxime de relation (pertinence de l’information) : “Parlez à propos”
  • Maxime de modalité (clarté de l’information) : “Soyez bref, précis, évitez l’ambigüité”

La communication autour de Ségurant, quoique souvent simple et efficace, crée divers angles morts : en omettant des éléments simples qui en changeraient immédiatement la perception (quantité) ; en présentant des hypothèses comme des faits établis, et ce au détriment d’autres faits plus certains (qualité) ; en contextualisant d’une manière qui n’aide pas à se représenter le contexte (pertinence) ; en manquant de précisions sur certaines distinctions certes complexes (clarté). La présentation ci-dessus des textes, des théories et des critiques permet déjà de remédier à tout ça… mais en contenant probablement beaucoup plus d’information que nécessaire. Tribut à la maxime de la quantité, nous revenons ici point par point sur certains de ces malentendus.

Malentendus communs

Arioli a découvert le manuscrit de l’Arsenal.

Une responsable communication des éditions du Seuil, qui édite donc l’album jeunesse sur Ségurant, va jusqu’à dire que le manuscrit de l’Arsenal n’a jamais été étudié et le Monde que “les études universitaires existantes ignoraient Ségurant” (!). Mais le manuscrit de l’Arsenal n’était pas vraiment oublié par les spécialistes Paton l’avait déjà longuement analysé en 1926, de même que Koble en 2009 avant qu’Arioli ne commence ses recherches, et entretemps on n’avait pas complètement oublié ses épisodes uniques (Garner 1930, Loth 1933, Brugger 1936-1939, Loomis 1959 [1970], Vinaver 1964, Bogdanow 1967, Bozóky 1974, Vidal-Naquet et Le Goff 1974 ; Régnier-Bohler 1983 ; Berthelot 1991, probablement bien d’autres encore).

Arioli dit qu’après avoir trouvé le manuscrit de l’Arsenal il lui fallut chercher ailleurs si l’histoire se poursuivait. C’est peut-être dans cet ordre que ça s’est produit pour lui, mais ça laisse penser que ces “continuations” étaient en fait inconnues et qu’il lui fallait les découvrir au hasard. Or, comme nous avons pu le discuter, elles étaient déjà connues des spécialistes, peut-être plus que le manuscrit de l’Arsenal : l’édition de la version longue des Prophéties de Merlin par Anne Berthelot venait s’ajouter en 1992 à l’édition classique de Lucy Allen Paton qui discutait déjà longuement les aventures et prophéties autour de Ségurant ; Löseth résumait déjà l’épisode de la Queste 12599 ; Lathuillère résume en 1966 les épisodes des versions alternatives, etc.

Par contraste, la mise en scène, du documentaire, par exemple, peut laisser entendre qu’il avait consulté le manuscrit au hasard et découvert son contenu sans préparation. Si elle peut certainement favoriser des heureux hasards, nous ne recommanderions pas cette méthode, il nous semblerait plus judicieux, si vous allez consulter un manuscrit contenant une version unique des Prophéties de Merlin, de lire les versions plus communes avant et de vous renseigner sur le manuscrit. Mais ça risque d’ôter quelque peu la magie, quand vous tomberez sur Ségurant il ne vous sera plus vraiment un “chevalier inconnu”. Et parfois on ne prête plus attention à ce qui est familier, c’est vrai.

Il emploie, par exemple dans la postface de la bande dessinée, un vocabulaire qui insiste peut-être plus que de raison sur le caractère solitaire de cette quête :

“Sans en souffler un mot à personne, j’ai alors conçu et entrepris mon rêve le plus fou : partir à la recherche des parties manquantes de cette histoire. Aucun esprit sensé ne se serait lancé dans une telle entreprise, mais la naïveté et l’ardeur de la jeunesse m’ont poussé à imaginer que cela ne prendrait que quelques mois… En réalité je m’aventurais dans une énigme quasi insoluble dont les indices étaient semés dans toute l’Europe : il m’a fallu une décennie pour la résoudre et reconstituer cette œuvre disparue.”

Cependant, combien de temps a-t-il véritablement gardé le silence sur cette fameuse quête ? Une note de la rédaction dans la Romania (2021:200) nous affirmant que c’est Nathalie Koble qui a orienté ses recherches dans cette direction, elle a dû être impliquée assez tôt dans le processus…

Qui plus est, il gardait cela pour lui aussi, si on en croit son interview avec Nota Bene, car il craignait que quelqu’un d’autre ne publie le manuscrit avant lui, n’usurpe sa “découverte”. Et c’était effectivement une possibilité dans la mesure où le contenu du manuscrit avait été décrit presque un siècle plus tôt par Lucy Allen Paton, que Nathalie Koble venait d’attirer l’attention dessus dans son livre sur les Prophéties de Merlin et son article sur le manuscrit de l’Arsenal, qui en détaille le contenu feuillet par feuillet, juste avant qu’il ne démarre ses recherches. Il pouvait craindre à bon droit que quelqu’un d’autre ne s’empare du dossier, mais sa discrétion ne pouvait pas vraiment empêcher que ces publications soient lues.

Le texte est assemblé à partir de fragments

La métaphore du puzzle semble venir naturellement à l’essentiel des discussions sur le sujet :

  • “Spécialiste de la légende du roi Arthur, il a découvert, reconstitué et publié un roman du xiiie siècle auparavant inconnu.” (Présentation par la revue des sciences humaines, 2022)
  • “Arioli restitue tout un roman arthurien inconnu, à partir de fragments d’archives épars” (Le Monde, 2023)
  • “La recherche minutieuse des traces de ce chaînon manquant dans 28 manuscrits parcellaires répartis à travers les bibliothèques du monde entier, en France, en Belgique, en Grande-Bretagne, en Suisse, en Allemagne, en Italie et même aux Etats-Unis, manuscrits qui ont permis à l’historien, après sept siècles d’oubli et dix ans de recherches complexes, de reconstituer le roman intégral.” (France Culture, 2023)
  • “Après le travail de reconstitution mené par Emanuele Arioli à partir de fragments dispersés dans une myriade de manuscrits” (Poisson-Gueffier 2023)
  • “Le paléographe et docteur en études médiévales a hanté les bibliothèques européennes pour retracer, fragment par fragment, la geste du chevalier sorti des mémoires.” (Le Temps, 15 oct 2023)
  • “Retrouver aujourd’hui un nouveau roman du Moyen Âge, un roman arthurien inconnu, est exceptionnel. […] Reconstituer l’ensemble du roman est un prodige d’érudition, d’intelligence et de sensibilité.” (Michel Zink, sur la couverture de la traduction.)
  • “Son histoire est morcelée dans des manuscrits, éparpillée façon puzzle dans des recueils.” (Boulevard Voltaire, 2024)
  • “Vous avez reconstitué les aventures d’un chevalier de la Table ronde, Ségurant le Brun. Il s’agit du personnage d’un roman oublié disséminé en plusieurs manuscrits parcellaires dans toute l’Europe. Dans un premier temps, comment peut-on expliquer que ce texte ait été oublié et pourquoi se trouve-t-il éparpillé dans diverses bibliothèques ?” (Philitt 2024)
  • etc. etc.

Ici règne une confusion entre le roman de Ségurant qu’il postule, qui se trouve essentiellement dans le seul manuscrit de l’Arsenal, et la tradition de Ségurant (“ensemble romanesque”) qui a essaimé en dehors. 

En plus des citations ci-dessus, la préface de la traduction en fournit un bon exemple. Elle commence par affirmer que vous tenez entre vos mains un “roman retrouvé” qui “sommeillait depuis plus de sept siècles, dispersé dans un grand nombre de manuscrits médiévaux” (2023:7). Ce roman a connu des “prolongements et réécritures” nous dit-on (Ibid.) avant de préciser que la version cardinale du manuscrit de l’Arsenal “pourrait aussi correspondre aux vestiges d’un roman antérieur, probablement inachevé” (p. 11) On nous parle d’abord très affirmativement d’un roman retrouvé avant de nous préciser que l’existence du texte sous forme de roman séparé n’est qu’une hypothèse. Pour couronner cette multiplicité on désigne finalement le tout comme un “ensemble narratif” (p. 11) terme plus souple que roman.

Les interviews oscillent donc entre la discussion du fait que cette tradition implique différentes oeuvres, et pas un seul texte — Arioli pointant régulièrement, parfois devant la confusion de ses interlocuteurs, que son édition inclut des continuations et variantes par d’autres auteurs, étalées sur plusieurs siècles — et la description vague de l’exploit qu’il y a à avoir reconstitué un roman. Évidemment l’auditeur moyen s’imaginera qu’il a pêché des paragraphes dans ses fameux 28 manuscrits avant de les mettre bout à bout pour constituer le roman de Ségurant qui était éclaté entre ces 28 manuscrits. 

Si le documentaire Arte ou la préface et postface de sa bande dessinée laissent l’exacte même impression, en lisant ses travaux, on réalise que sa reconstruction est bien différente. 

Le roman de Ségurant ne serait en fait directement préservé que par la version cardinale, c’est-à-dire les épisodes du manuscrit 5229 de l’Arsenal qu’on ne trouve pas dans la version longue, “standard”, des Prophéties de Merlin.

Or, 36 des 39 épisodes de la version cardinale, qui préserverait le roman perdu de Ségurant, ne se trouvent que dans le manuscrit de l’Arsenal. Les épisodes VIII et X sont repris par Rusticien, et donc présent dans quelques autres manuscrits, mais sans changement majeur.

L’épisode II se trouve dans les versions courtes (et “compilation”) des Prophéties de Merlin. Il manque un feuillet dans le manuscrit de l’Arsenal, l’épisode est donc complété d’après le manuscrit de Chantilly… mais Arioli considère que cet épisode ne faisait pas partie de la trame originale, qu’il servait à raccorder intrigue prophétique et version cardinale (Étude 2019:50-51). Autrement dit l’intégralité du texte qui proviendrait de ce roman perdu sur Ségurant se trouve dans le manuscrit de l’Arsenal. 

À force d’insister sur la quête des manuscrits qui a permis de reconstituer le texte, quelle proportion du public aura compris que ce fameux roman retrouvé se trouve en fait dans un seul manuscrit ?

Il y a bien un roman reconstitué dans les travaux d’Arioli : les Ur-Prophéties. Mais on laisse planer une certaine ambiguïté quand on ne distingue pas roman perdu de Ségurant, Ur-Prophéties, et le reste des histoires impliquant Ségurant.

Traduction faite sur des manuscrits retrouvés.

Arioli nous aurait livré une “édition des manuscrits retrouvés” (postface de la BD) une traduction “d’après des manuscrits médiévaux retrouvés” (sous-titre de la traduction).

Le seul manuscrit abîmé et négligé contenant une quantité significative de texte nous semble être celui de Turin, qui a certes été oublié, mais son texte suit parfaitement le manuscrit de Londres en bien meilleur état. Certes, ce manuscrit acquis par la British Library en 1902 n’a pas attiré l’attention avant 1960 : Löseth n’y avait examiné deux manuscrits guironiens qu’en 1901, donc avant son acquisition, mais 1960 ce n’est pas si récent non plus. Mais à nouveau : il s’agit d’une version particulière tardive qui dérive de Rusticien II et qui d’après les propres théories d’Arioli ne nous informe pas particulièrement sur la formation de cette tradition.

Certes, le manuscrit de Turin, dans les portions qui n’ont pas brûlé, semble préserver un texte en meilleur état, qui lui sert à corriger une vingtaine de fautes mineures, la plus substantielle étant une phrase manquante dans le manuscrit de Londres.

Mais beaucoup de ces fautes auraient probablement pu être corrigées sans ça. Par exemple, à un moment, la plume du manuscrit de Londres fourche et écrit “s’il rencontroit le dragoit”, erreur qui n’est pas dans le manuscrit de Turin. Nous n’avons pas fait l’école des Chartes mais supposons que même sans le manuscrit de Turin, Arioli aurait compris qu’on parlait ici du dragon. Est-ce que ce manuscrit change vraiment radicalement notre compréhension du texte et de la tradition ?

La même question se pose pour ses autres trouvailles, ce que ces fameux fragments apportent.

  • Bologne :  déjà édité par Monica Longobardi (1996), dans son édition Arioli déchiffre 5-6 mots supplémentaires à la lampe à ultraviolets. 
  • Modène : permet de combler une lacune, une phrase qui manquait à cause d’un “saut du même au même” (quand le même mot se retrouve à quelques lignes d’intervalle et que les scribes reprennent par erreur au deuxième mot en sautant les mots qui se trouvent entre deux).
  • Trèves : Paton affirmait ne le connaître qu’à travers une recension (1913:124 ; 1926:I.19) mais Arioli a pu constater qu’il était bien à Trèves. Le fragment ne concerne aucun des textes qui composent son édition et n’y contribue donc pas.
  • Oxford : contient une formule d’entrelacement de la version BnF 358 (donc pas le texte lui-même mais la formule suivant son deuxième épisode) 

Après avoir listé ces fragments, il affirme : “il restait surtout à mettre en relation les divers fragments pour les faire parler et nous dévoiler l’existence d’un roman médiéval encore inconnu” (trad. 2023:13) mais sans expliquer en quoi ces fragments ont quoi que ce soit à voir avec ce dévoilement.

Quand on mesure la quantité d’information présentée et l’effet qu’elle aura sur le public, est-ce raisonnable d’insister autant sur ces éléments, par rapport à leur importance réelle dans le processus de “reconstruction” ?

“parties démembrées” dans un “mauvais état de conservation” dans des “collections mal exploitées”

Trouver un fragment de texte c’est une part du processus qu’il est plus facile de présenter que les débats philologiques sur le stemma de Rusticien II, mais à réduire les réflexions complexes que cela implique à une quête de manuscrits plus ou moins au hasard, on escamote un peu la complexité de la démarche. Pour compenser cela, il faut réhausser un peu la difficulté de la quête, en expliquant notamment pourquoi ladite quête n’avait pas été accomplie plus tôt, comment ce roman “mystérieusement disparu” a été “miraculeusement retrouvé” (préface de la BD) — il faut bien rembourrer l’épaisseur du mystère que l’arrivée du miracle doit ensuite dissiper.

Dans notre vidéo, nous nous étonnions d’une phrase qui pourrait avoir cette fonction : 

“Si ce roman est resté inconnu jusqu’à présent c’est parce que ses parties démembrées sont dans un mauvais état de conservation ou se trouvent dans des bibliothèques et archives moins exploitées.”

Ségurant, traduction, 2023, préface, p. 10.

Quitte à se répéter, si on laisse de côté l’“ensemble romanesque” qui couvre 28 manuscrits pour se concentrer sur le “roman perdu de Ségurant” préservé par la “version cardinale”, alors le texte du “roman” est préservé intégralement par le manuscrit de l’Arsenal 5229, et ses épisodes uniques étaient déjà résumés par Lucy Allen Paton en 1926 et listés feuillet par feuillet par Koble en 2009. À lire ceci, on imagine de frêles petits morceaux de parchemin éparpillés, mais il ne manque en réalité qu’un seul feuillet au volumineux manuscrit de l’Arsenal, seul à contenir l’essentiel du roman.

Mais gageons qu’il utilise ici le terme roman pour “l’ensemble romanesque” de la tradition.

En 2019, il affirme que ces différentes parties furent négligées soit à cause de leur état (ce qui nous semble globalement erroné),  “soit parce qu’ils relèvent de la tradition tardive” (Étude 2019:31) ce qui nous semble déjà un facteur plus pertinent : si on datait les compilation BnF 358, de Londres-Turin et le manuscrit de l’Arsenal au XVe siècle (1390-1403 pour Arioli), pourquoi nous éclaireraient-ils sur la composition originale des Prophéties de Merlin au XIIIe ? Seule la réévaluation de l’ancienneté de la version cardinale peut changer la généalogie des textes, qui pour l’essentiel étaient connus. 

Une explication plus directe serait que les épisodes concernant Ségurant étaient bien connus mais faisaient partie de traditions complexes et difficiles à situer (Prophéties de Merlin, Guiron le Courtois, Queste 12599), leurs résumés, disponibles dans l’édition de Paton ou l’étude de Lathuillière, se trouvent donc dans une masse d’autres épisodes qui en décourageraient plus d’un. Mais cela impliquerait de discuter les travaux de ses collègues et l’évolution laborieuse de la discipline.

Ceci étant dit, nous manquions peut-être de charité dans la vidéo, cette tournure de phrase sur les “collections mal exploitées” n’était peut-être qu’une manière diplomatique de mentionner que les études arthuriennes ont régulièrement été ralenties par des collections… difficiles d’accès.

Quand Lucy Allen Paton publie son édition des Prophéties de Merlin en 1926-1927, elle travaille dessus depuis plus d’une décennie, depuis au moins son article sur les manuscrits de l’oeuvre (1913), mais le manuscrit qui est aujourd’hui le Bodmer 116 était encore aux mains de la maison de vente Maggs Brothers, qui ne voulaient pas qu’elle en publie trop de texte ou même des résumés trop détaillés de ses épisodes romanesques (Paton I.9, I.51) — ce qui fonde tout l’intérêt du document, qui est le seul manuscrit à contenir complètement ses épisodes finaux ! Quand elle affirme qu’elle espère revenir dessus quand une collection publique l’aura acquis, mais en même temps que le matériel romanesque est si trivial qu’il ne vaudrait peut-être pas la peine de l’éditer et que des résumés serviraient tout aussi bien les spécialistes (Brugger le lui reproche) il faut probablement y voir une manifestation de dépit à ce que le diktat d’un propriétaire empêche la complétion d’un labeur de treize ans. Il faut attendre la fin du XXe siècle pour qu’il soit édité par Berthelot puis Koble.

De même, quand Lathuillère publie son analyse de tout le cycle de Guiron le Courtois, catalogage des manuscrits et des épisodes, il doit lamenter que le bibliophile Martin Bodmer ne lui a pas laissé accéder au manuscrit en deux volumes, Bodmer 96-1 et 96-2. (1966) L’année suivante, Bogdanow mentionne encore que le manuscrit Bodmer est “indisponible” (1967:328)

Il faut attendre 1970 pour que Lathuillère ait enfin l’auguste autorisation de Bodmer pour consulter le manuscrit et constater qu’il “n’apporte aucun texte nouveau.” (1970:574) son trait original consistant à juxtaposer différentes versions (ce qui complique son classement). Il conclut par une petite prosternation :

“Je tiens à exprimer ma très respectueuse et très profonde gratitude à M. Martin Bodmer qui m’a obligeamment autorisé à consulter ce manuscrit et à travailler dans sa bibliothèque.” (1970:574)

On peut regretter que le délai ait remisé cette analyse dans des Mélanges offerts à Jean Frappier plutôt que dans l’ouvrage de référence sur Guiron le Courtois.

Et encore, dans ces deux cas, les spécialistes ont finalement pu accéder aux textes, mais d’autres manuscrits sont simplement portés disparus, probablement dans une collection privée inaccessible, et on peut seulement espérer qu’ils refassent surface. C’est ainsi le cas du “manuscrit X”, un des seuls manuscrits de la Continuation Guiron avec le 5243, et le seul à contenir certains passages. Il faisait partie des biens de la baronne Alexandrine de Rothschild spoliés pendant la guerre, et les spécialistes ne le connaissent qu’indirectement. En 1966, Lathuillère s’appuie sur des notes de Jacques Monfrin qui préparait un article dessus (jamais publié) — c’est peut-être à l’occasion d’un changement de propriétaire qu’il y avait eu accès, en tout cas on ne sait pas qui le détient aujourd’hui. Pour son édition, le Groupe Guiron s’est appuyé sur de vieilles photographies du manuscrit qui circulaient parmi les spécialistes. (Voir leur page sur le manuscrit X)

Les 28 manuscrits, ça fait beaucoup ?

“Pour nous, 28 manuscrits, c’est très peu, mais c’est beaucoup par rapport à certains textes fondamentaux de l’époque dont il ne reste qu’une, 5 ou 10 copies. Par comparaison, le texte français du Moyen Âge le plus copié, c’est le Roman de la Rose, conservé dans près de 300 manuscrits, mais il s’agit d’une exception. Ce grand nombre de manuscrits (28), parfois à l’état de fragments, rend la redécouverte si tardive de Ségurant d’autant plus incroyable.”

Xavier Fornerod, CNEWS (27 oct 2023)

Comparés aussi aux cinq manuscrits survivants de Marie de France (sur Retronews, Philitt, etc.)

Mais comme il l’admet volontiers (“j’ai pu découvrir une trame cohérente qui se poursuit d’un manuscrit à l’autre et j’ai pu ensuite reconstituer un ensemble romanesque inconnu. Il ne s’agit pas d’un roman unitaire, mais de plusieurs versions distinctes.” Philitt) ce ne sont pas 28 manuscrits de la même œuvre, donc quel sens peut-il y avoir à comparer les deux nombres ?

Avec le manuscrit de l’Arsenal, on compte 14 manuscrits des Prophéties de Merlin (dont le fragment de Modène, et sans compter les autres fragments des Prophéties, qui n’aident pas son édition), les épisodes intertextuels (VIII+X) se trouvent dans 14 manuscrits (le manuscrit de l’Arsenal + 13 des différentes versions de Rusticien II, dont le fragment de Bologne et le fragment d’Oxford). Le manuscrit de l’Arsenal fait donc la jonction entre les deux traditions, partageant du texte avec celles-ci, mais le dernier manuscrit c’est le BnF 12599 qui ne partage pas directement de texte avec le reste, mais on y trouve l’épisode complémentaire, qu’on retrouve réécrit dans Rusticien II, impliquant donc un lien.

Des liens unissent donc ces différents manuscrits, il est normal qu’ils fassent partie de son édition, mais à n’évoquer que leur nombre total on ne restitue pas vraiment à quel point ces liens peuvent être ténus, et on conférera probablement plus d’unité à cet “ensemble romanesque” qu’il ne faudrait.

Dans l’absolu, c’est normal de contextualiser le nombre de manuscrits pour que le public comprenne si c’est beaucoup pour une œuvre médiévale ou non, mais dans un cas si particulier, il faudrait d’abord trouver un cas analogue. Les manuscrits des Continuations de Perceval, peut-être ? (Semble un mauvais exemple aussi)

Notre seule trace de Ségurant se trouvait dans des armoriaux et listes de chevaliers

Arioli dit dans plusieurs conférences et interviews qu’on ne connaissait en fait Ségurant que de manière indirecte, par des mentions dans de grandes listes ou grands catalogues de chevaliers, ce qui ne laissait pas penser qu’un roman sur sa personne existait.

“Ségurant on le connaît de manière seulement indirecte, en quelque sorte, c’est-à-dire qu’à la fin du Moyen Âge on compile des sortes d’encyclopédies des chevaliers de la Table Ronde, recueillant 150 chevaliers environ, et Ségurant y figure, donc Ségurant était connu seulement comme un de ces 150 chevaliers que l’on répertorie à la fin du Moyen Âge, auquel on donne un blason, voilà avec une description de trois ou quatre lignes, mais c’était en gros tout ce qu’on savait de lui, on n’imaginait pas qu’il y avait un roman sur lui.”

Arioli, Interview de Nota Bene (35’21-36’22)

“On connaissait le nom, et encore on le connaissait mal, c’est-à-dire à la fin du Moyen Âge il y a des ouvrages qui font des listes de chevaliers de la table ronde, et à la fin du Moyen Âge dans une liste de 150 chevaliers on trouve aussi Ségurant le Brun avec une biographie de trois ou quatre lignes mais c’était tout ce qu’on connaissait de ce personnage. On ne savait pas qu’il y avait un roman lié à son histoire” 

Arioli, Présentation à l’école des Chartes (12’25-12’48)

Il pense ici typiquement sa description dans BnF fr. 12597 fol. 4r. ou l’Arsenal 4976 fol. 5v-6r, qui contient d’ailleurs une illustration du chevalier au dragon.

Cependant, ça laisse de côté que nous avions tout de même de nombreuses aventures de Ségurant, même si elles n’étaient pas envisagées comme des oeuvres indépendantes : sans compter le manuscrit de l’Arsenal décrit par Paton, Brugger, etc. (admettons-les oubliés) il y aurait en tout cas les aventures de Ségurant dans les Prophéties de Merlin, et les épisodes guironiens qui descendent de Rusticien II, qui d’ailleurs constituent en fait les versions complémentaires et alternatives qu’il a “découvertes”.

Nous revoilà à tapoter le grand tableau noir couvert des maximes de Grice : impliquer que ces armoriaux et ces listes étaient la seule trace connue de Ségurant avant ses travaux, tout en évitant de mentionner que les versions complémentaires et alternatives étaient en fait discutées avant ne peut qu’induire en erreur et laisser croire qu’Arioli a découvert l’intégralité de ces textes.

“Les aventures de Ségurant s’interrompent au milieu d’une phrase.”

Arioli écrit parfois de manière à laisser penser cela, ainsi dans la postface de sa BD :

“Mon émotion était à son comble, mais le manuscrit s’interrompait brusquement, laissant en suspens les aventures de ce mystérieux héros poursuivant un dragon.”

Ou parmi tant d’autres interviews : 

“Un seul bémol, mais de taille: le manuscrit se révèle incomplet. «Il s’arrêtait au milieu d’une phrase, laissant en suspens les aventures de ce mystérieux héros poursuivant un dragon.»” (Tribune de Genève, 11 oct 2023)

Cependant, Le Monde va au-delà de l’ambiguité et attribue les propos suivants à Arioli :

“J’ai tout de suite remarqué un fragment de ­récit sans rapport avec le reste, sur un feuillet à demi vierge, qui s’arrêtait au milieu d’une phrase, ra­conte-t-il au “Monde des livres”. Très vite, j’ai voulu savoir si le même épisode se trouvait ailleurs.”

Pris au mot, ça n’a pas de sens, mais nous allons prendre la défense d’Arioli et partir du principe que le journaliste du Monde a télescopé des phrases qui ne disaient pas exactement ça. 

Le dernier feuillet du manuscrit de l’Arsenal est effectivement rempli au recto et vide au verso, vous pouvez même le consulter en ligne par vous-mêmes. (fol. 173) Mais le “fragment de récit” au recto, qui s’arrête au milieu d’une phrase, n’est pas “sans rapport avec le reste”, et ne parle pas de Ségurant, puisqu’il s’agit… de prophéties de Merlin qu’on trouve par exemple dans la version “standard” des Prophéties de Merlin, la version longue ! Le “prophète des Anglais”, Merlin, y annonce que les femmes qui se maquillent souffriront de la “maladie de lazaron”, une sorte de lèpre, on imagine. On devrait croire qu’Arioli a été tellement étonné par le contenu de ce texte unique, qui s’interrompait, qu’il s’est lancé dans une quête éperdue pour trouver la suite. Mais s’il parlait du dernier feuillet, il n’y aurait pas à chercher très loin : elle se trouve dans les autres manuscrits de la version longue des Prophéties de Merlin, qui concluent ce passage, par exemple dans le manuscrit Bodmer : (page suivante)

Ms. Arsenal 5229 fol. 173r. (fin du texte)

Il aviendra a celluy temps que

celle grant mortalite sera

en paanimes que les femmes du siecle

diront apptement que riens ne

valut la femme sans amer aucun

homme et par celle fausse parolle en

sont elles deceues & engignées que

maintenant mattra dessus leur vis

et par toutes leurs faces li blanc colour

et le vermal demaintes manieres

et sachent certainement que

celluy colour et les autres que ces

femmes useront a celui tans pour trechier

les hommes lor donra la maladie

de Lazaron ~

(voir la suite du texte dans le manuscrit Bodmer 116 ci-dessous)

Bodmer 116 fol. 187rb (Berthelot 1992:369, Koble 2001:345) :

Et encore disoit Mierlins en celui livre que a tel tans avenra la maladie de saint Lazaron desour les femmes souvent et menut; et si le pores aperce- voir auques legierement comment la mere le donra a la fille, dont ie voel que vous en soiies sage par la bouce de Mierlin. «Il avenra a celui tans que cele grans mortalites serra en paienime, que les femmes dou siecle diront tout apiertement que la femme ne vaut riens sans amer aucun homme; et par cele fausse parole en seront eles decheues et engignies. Car maintenont metront de sour lor vis et sour lor faches la blanche coulour et la viermelle de maintes manieres. Et sacies ciertainement ke ces coulours et les autres que ces femmes usseront a celui tans pour trechier les hommes lor donra la maladie de Lazaron, ausi com il le douna a lui au tans que il vivoit. Il a [187v] voit une damoisiele en son pais ki molt savoit bien afaitier tele painture; et pour cou que Lazarons ne vaut couchier a li, ele fu molt dure- ment courouchie; et tant que ele destempra puisons, si li donnoit a boire cascun iour, dont il dormoit mout fort; et cele li en coulouroit cascun iour sa fache, dont par cele occoisson et par cel malisse em prist il la maladie que ie vous di. Or voel iou que .i. et autre le sachent que la mere l’ense- gnera a la fille, dont cou serra pechies; car on les en tenra a putes, et si en pierdront les ames et les cors.

Tableau 9 : suite de la fin du texte du manuscrit de l’Arsenal dans le Bodmer 116

Le Point dit de même : 

“Deux autres chapitres continuent le récit de l’épopée de cet énigmatique chevalier poursuivant une quête illusoire. En effet, le dragon n’est qu’une chimère créée par la fée Morgane. L’histoire s’arrête là, sur une phrase coupée ! Mais la curiosité du jeune chercheur est attisée. Il veut connaître la suite et comprendre pourquoi ce chevalier n’est mentionné nulle part ailleurs.”

Bref, Arioli invoque régulièrement cette dernière page qui n’est pas remplie, peut-être pour dramatiser un peu le début de ses recherches des aventures de Ségurant : même si cette dernière page ne parle pas de Ségurant, et que le copiste semble conclure son travail par une petite ligne ondulée ensuite, les mots qui manquent par rapport au reste de la tradition pourraient laisser penser que l’archétype du texte qu’il copiait contenait encore du matériel, c’est un argument pertinent. Cependant, puisque dans les médias Arioli n’évoque généralement que les aventures de Ségurant et n’entre pas dans les détails (certes compliqués) du reste de la tradition manuscrite, tout le monde s’imagine que le manuscrit doit se conclure au milieu d’une phrase où Ségurant chevauche vers l’horizon. Il ne le dit jamais ainsi explicitement et directement, mais tout le monde saute à la conclusion évidente que ses phrases sembleraient impliquer, si on ne connaît pas déjà le matériau en question. Le Monde a seulement fait l’erreur d’attribuer cette conclusion verbatim à Arioli.

Nous le croyons plus prudent dans son choix de mots.

Malentendus peu communs

Ces exemples-ci illustrent des périls inhérents à la communication scientifique : même en communiquant de la meilleure manière, vous vous adressez à des gens qui auront de la peine à situer ce que vous leur présentez. Quand c’est leur premier contact avec un sujet, ils auront tendance à extrapoler : ce que vous leur avez présenté doit représenter l’intégralité de ce qu’il y a à savoir.

Pas d’humour arthurien avant Ségurant

“Pour la première fois, l’humour se glisse dans un roman arthurien, Ségurant étant peut-être le chaînon littéraire manquant, selon Emanuele Arioli, entre la légende arthurienne et son héritier espagnol parodique, Don Quichotte de la Mancha” (Violaine de Montclos, Le Point, 22 dec 2023)

C’est particulièrement faux.

On trouve des fameux contre-exemples dans certaines oeuvres majeures saturées de piété religieuse (Queste del Saint Graal) ou d’une sinistre fatalité (La Mort le roi Artu, qui raconte la chute du royaume arthurien), mais l’humour et même un certain burlesque sont en fait une part normal du genre que constitue le roman arthurien, déjà chez Chrétien de Troyes. On verra ainsi dans le Conte du Graal, une scène burlesque où Gauvain assailli par une foule se défend en leur lançant des pièces d’échec géantes, la naïveté de Perceval a un effet comique en soi, etc. Quand Lancelot est tellement absorbé par l’amour de Guenièvre qu’il n’entend pas un chevalier le défier et se fait renverser, est-ce une exagération comique, ou la simple expression de la profondeur de son amour ? Pour Jane H. M. Taylor, le Diu Crone allemand est “distinctement comique et irrévérent” (Cambridge companion, p. 66, trad. personnelle) 

Certains romans tiennent davantage du pur pastiche : avec son chevalier pèquenaud en armure rouillée, Fergus semble parodier le début du Conte du Graal. On voit aussi les romanciers prendre assez peu aux sérieux certaines épreuves merveilleuses : dans Hunbaut on voit un Gauvain trop brusque dans son irrespect des usages du royaume où il se trouve pour être complètement sérieux. Dans un “jeu parti”, il doit trancher la tête d’un homme qui tranchera la sienne à son tour, mais il rompt l’enchantement, en se saisissant de son corps et en l’empêchant d’atteindre sa tête. Suit un duel d’insultes où, plutôt que de répondre, il tue simplement le nain qui vient de lui manquer de respect. Idem dans les Merveilles de Rigomer, Lancelot remporte une course en saisissant les rênes de l’autre cavalier et en cognant son cheval, ce qui n’est pas très chevaleresque !

La brutalité des chevaliers qui vient court-circuiter le merveilleux des épreuves joue sur une tension entre deux logiques qui nous semble comique, mais on pourrait débattre de leur caractère parodique, le merveilleux a besoin d’exagération après tout… Ainsi dans le Rêve de Rhonabwy, texte gallois du XIIIe siècle, un chevalier rêve qu’il est transporté à l’époque d’Arthur, il est aussitôt poursuivi par un terrible guerrier : “chaque fois que son cheval respirait ils s’éloignaient de lui, chaque fois qu’il aspirait, ils approchaient jusqu’au poitrail du cheval.” (Loth 1913:353) Prodige sérieusement merveilleux, ou comique de cartoon ? Rhonabwy voit alors les hommes de cette époque comme des géants, qui méprisent le fait que leur île soit désormais gardée par de petits hommes si méprisables. (356) Gigantisme de l’âge héroïque et dérision du présent se rejoignent. En fait, même Cullwch ac Olwen (c. 1000), notre texte arthurien gallois le plus archaïque, peut-être le plus proche des récits oraux qui pouvaient circuler sur Arthur, a parfois été décrit comme parodique ! Pour Echard on ne peut pas savoir si le roman latin Arthur et Gorlagon parodie les codes des romans gallois ou s’il reprend un “texte gallois original [qui] était une parodie dans le genre de Cullwch ou Rhonabwy”. (Arthurian Narrative in the Latin Tradition, éd. Siân Echard, 1998:214, trad. personnelle) 

Un autre signe de la prévalence de l’humour dans les romans arthuriens avant Ségurant : lorsqu’Arioli doit pointer en quoi le “roman de Ségurant” se distingue, il invoque le personnage du chevalier irrévérencieux Dinadan, qui ne respecte pas les codes de la chevalerie, qui ajoute une touche de comique, d’ironique. Cependant, il apparaît bien avant, dans le Tristan en prose, où par exemple il accepte d’aider Tristan contre trois chevaliers avant de vouloir faire demi-tour quand il apprend qu’il s’agit en fait de trente chevaliers. Certes, le fait de se promener avec une dizaine de gardes du corps est inédit et ses outrances, dans le manuscrit de l’Arsenal, les Prophéties de Merlin et la Queste 12599, prennent un ton particulièrement cru, très remarquable. C’est probablement le fait de mentionner ce chevalier ironique comme une particularité de Ségurant qui amène certains journalistes à croire que Ségurant marque l’arrivée de l’humour dans le royaume arthurien.

Quant aux comparaisons bancales à Don Quichotte, on ne peut malheureusement pas les éviter. Brugger le faisait déjà en passant (1938:359), et Arioli y prête le flanc, les journalistes ne peuvent se retenir d’invoquer un Classique qui fait Cultivé.

Moins de dix romans arthuriens nous sont parvenus

Exemple encore plus flagrant de gens qui sautent aux conclusions en partant du principe qu’en vous lisant ils savent désormais tout ce qu’il y a à savoir : dans Le Figaro, on se félicite qu’on ait redécouvert un roman arthurien, “trouvaille d’autant plus miraculeuse que moins de dix romans médiévaux [sur la légende arthurienne] sont parvenus jusqu’à nous”.

Bien entendu il en existe bien plus que dix romans. D’où peut venir cette erreur ? C’est une hypothèse, une pure spéculation de ma part, mais dans son Étude (2019:15-17), Arioli a une chronologie qui liste les “romans arthuriens en prose du XIIIe siècle” et en comptant Ségurant, il en dénombre neuf.

  1. Robert de Boron
  2. Lancelot-Graal
  3. Tristan en Prose
  4. Post-Vulgate
  5. Perlesvaus
  6. Guiron le Courtois
  7. Ségurant
  8. Prophéties de Merlin
  9. Compilation de Rusticien

Le journaliste du Figaro aura sans doute cru que cela couvrait tous les romans de la matière arthurienne.

Mais, tout d’abord, ce chiffre est évidemment sujet à débat. Si l’on compte Ségurant et les Prophéties de Merlin comme deux romans séparés (ce qui, comme on l’a vu, est très loin d’être acquis) on voit mal comment justifier de compter les trois volets du cycle attribué à Boron (Joseph, Merlin, Perceval), les cinq ou six volets du Lancelot-Graal (Estoire del Saint Graal, Merlin, Suite-Vulgate du Merlin, Lancelot, Queste del Saint-Graal, La Mort le roi Artu) ou les divers volets et versions de Guiron le Courtois comme des romans uniques. Qui plus est, même incomplète, la Queste 12599 devrait probablement mériter une place dans cette liste, de même que le Livre d’Artus. Certes, le manuscrit BnF 12599 pourrait dater du tout début du XIVe mais Arioli le date de la “Fin du XIIIe siècle” (Étude 2019:431) ou “au plus tard de la fin du XIIIe siècle” (trad. 2023:211) !

Reste l’évidence : il n’y a pas que des romans en prose, et pas que des romans du treizième siècle. Par exemple Chrétien de Troyes qui est cité dans la phrase précédente de cet article, a écrit cinq romans en vers à lui tout seul au siècle précédent. Et par-dessus le marché, les romans médiévaux arthuriens ne sont pas tous en français ! 

Et il nous faut ici insister : même si ça vient du tableau d’Arioli, la faute repose clairement sur le journaliste qui aurait tout de même pu se renseigner un peu plus, même s’il s’agit d’un journaliste du Figaro.

C’est malheureusement inévitable, et n’est absolument pas de la faute de l’auteur : quand votre public traite votre intervention comme une source exhaustive sur un sujet, ce qu’elle ne peut jamais être, même une intervention complètement vraie pourra les induire en erreur.

Quelques corrections

Ségurant fait une apparition dans Graal Théâtre, qu’Arioli utilise comme incipit :

SÉGURANT. – Et moi on ne m’appelle pas moi Ségurant le Brun dit Chevalier aux Trois pères fils d’Hector 6 ou d’Hector 9 ou d’Hector 13 ? Dit aussi Chevalier au Grand Appétit héros de l’aventure de la Tour de Cuivre ?

GIRFLET. – Ce n’est pas votre tour. Je fais l’appel selon une méthode moderne mise au point par Merlin l’ordre alphabétique. Nous en sommes encore à la lettre B et vous êtes à la lettre S.

SÉGURANT. – Mais je suis un chevalier moi je ne suis pas une lettre

Florence Delay et Jacques Roubaud, Graal Théâtre, Paris, Gallimard, 2005:128-130

Arioli considère que Delay et Roubaud s’inspirent de l’index du livre de Lathuillière sur Guiron le Courtois (Étude 2016:106, Étude 2019:159) qui mentionne effectivement les multiples généalogies incohérentes de Ségurant (parfois au sein d’un même manuscrit) mais cela ne peut, de toute évidence, pas en être la seule source, puisque l’aventure de la Tour de Cuivre, se trouve dans les Prophéties de Merlin et ne serait donc pas discutée dans un ouvrage sur Guiron le Courtois… 

La source semble bien plutôt être l’index des noms propres dans les romans arthuriens en prose française de West : French Arthurian Prose Romances, An Index Of Proper Names (1978:277).

La tour n’est en fait pas de cuivre, ce sont les chevaliers-automates qui la gardent qui sont faits de ce métal, mais l’index anglais donne Tower of the Copper Marvel, tour de la merveille de cuivre qui devient Tour de Cuivre… Il est bien sûr possible que Delay et Roubaud aient puisé à une autre source intermédiaire, en amont ou en aval de West, mais ce lien nous semble plus plausible.

Dans l’étude (2019) on peut noter aussi : 

  • p. 44, on donne “épisode VIII” mais ça devrait être l’épisode VII (avec Tarant)
  • p. 357 dans les tableaux finaux, dernière colonne, on attendrait, sauf erreur, 55v au lieu de 65v, de même page suivante, on attendrait 58r au lieu de 68r, pour la foliotation du manuscrit de Bruxelles.

Pas dans les travaux d’Arioli, mais Damien de Carné discute Ségurant dans un article en 2016 : “Jeux de tournoyeurs, jeux de lecteurs. Renouvellement ludique du récit de tournoi dans deux proses arthuriennes mineures (la Queste 12599 et le Roman de Ségurant)”, mais plusieurs personnes ont l’air de penser qu’il anticipe les travaux d’Arioli, le datant à l’année 2010, c’est ce que fait par exemple Ferlampin-Acher dans la Romania en 2021 : elle remarque que Ségurant n’a pas tant été discuté malgré l’article de Koble en 2009 ou de Carné en 2010 (2021:196) cet article précèderait donc les publications d’Arioli. Or, le recueil où on le trouve a en fait paru en 2016. Ayant consulté sa version numérique, nous devons constater que Carné y remercie explicitement Arioli et qu’il cite des travaux datant d’après 2010, à moins d’un remaniement très inhabituel, il doit donc s’agir d’une erreur. 

On trouvait l’erreur sur la page Arlima consacrée à Ségurant, ce qui explique peut-être sa présence chez Ferlampin-Acher, puisqu’elle mentionne ladite page. (2021:214) Suite à un message de ma part en janvier 2024, Arlima l’a fait corriger.

Qu’est-ce que les travaux d’Arioli apportent ?

Nous pouvons nous tromper, n’hésitez pas à nous corriger s’il nous faut enlever ou rajouter des choses dans cette liste.

  • Réévaluation de la chronologie en rappelant toute la “matière de Ségurant” déjà attestée au XIIIe siècle.
  • Autre perspective sur la transmission de la “seconde compilation de Rusticien”.
  • La discipline partait souvent du principe que Ségurant avait été inventé dans la tradition de Guiron le Courtois puis rajouté aux Prophéties de Merlin, Arioli postule qu’au contraire il apparaît dans les Ur-Prophéties, qui recyclent (peut-être) un roman perdu, plus ancien, à son sujet.
  • Paton pensait impossible de préciser exactement le contenu de l’archétype des prophéties de Merlin (II.294), Arioli propose une reconstruction.
  • Réévaluation de la place de la version courte des Prophéties, notamment : 
    • Ce qu’implique la présence de l’épisode II de la version cardinale dans la version courte. Paton (I.115n) le remarque déjà mais sans plus.
    • Le fragment Berne-Bruxelles est discuté par Paton puis Koble, mais il en fait une charnière des deux moitiés de sa reconstruction.
  • Arioli rassemble trois prophéties supplémentaires concernant Ségurant.
  • Fragments 
    • Bologne décodé d’avantage (5-6 mots)
    • Modène comble une lacune de la version longue des Prophéties (une phrase)
    • Trèves n’était pas perdu (concerne pas Ségurant)
    • Turin volume I et II pas perdus (permet de corriger un peu le texte de Londres)
    • Oxford contient une formule d’entrelacement de la version BnF 358 (donc pas le texte lui-même mais la formule le suivant) 
  • Le passé de Ségurant, l’hypothèse qu’il puisse être inspiré de personnages norrois, comme Sigurdr.
  • La postérité de Ségurant : il analyse d’assez près son devenir en Italie et en Espagne. (nous ne réalisons peut-être pas ce que le sujet a de rebattu, connaissant moins ces traditions)

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Annexes

Annexe 1 : Résumé de la version cardinale de Ségurant

Numérotation des épisodes d’après Arioli (2016, 2019), voir aussi le résumé de Paton (I.423448) .

Naufrage des ancêtres de Ségurant

Épisode I : Les frères Galehaut le Brun le Vieux et Hector le Brun le Vieux fuient le roi Vertigier (Vortigern) et prient leurs femmes de se réfugier en Carmélide avec leurs enfants alors qu’ils s’embarquent sur un navire. Une tempête les fait échouer sur une île déserte, avec quatre autres naufragés ils y construisent leur vie, se construisent un abri et chassent des oiseaux pendant que les maris cueillent des pommes. Ils découvrent un port naturel, le port trouvé, et nomment l’île : l’Isle Non Sachant. (= île inconnue)

Épisode II : Maître Antoine lit des prophéties de Merlin à Galehaut le Brun le Jeune (fils d’Hector le Brun le Vieux). Il affirme que le tournoi de Salisbury sera remporté par deux hommes qui ne se sont nourris avant cela pendant plusieurs mois que de bêtes sauvages, de petites pommes et de volailles, ils coucheront ensuite avec des religieuses de Carmélide. (Il s’agit évidemment d’Hector et Galehaut, qui retrouveront leurs femmes qui avaient pris le voile)

Épisode III : Le Roi Arthur se bat contre les Saxons de la Roche-aux-Saxons et remporte une victoire, Galehaut le Brun le Vieux et Hector le brun le Vieux se distinguent dans la bataille. Le lendemain on prépare le tournoi de Salisbury, Merlin fait édifier le pavillon d’Arthur sur un roc dont il peut observer toute la plaine de Salesbières. (on ne sait pas comment les deux frères ont quitté l’île et on ne dispose plus de l’épisode du tournoi lui-même, manifestement coupé)

Épisode IV : Merlin, Arthur et les deux vieux bruns rendent visite à maître Antoine, puis tout le monde se rend au monastère de la Trinité où se trouvent leurs femmes et leurs enfants, ils accompagnent ensuite Arthur à Londres. Léodagan demande à Arthur de l’aider à défendre la Carmélide.

Adoubement de Ségurant et affrontement de Galehaut

Épisode V : Ségurant se distingue sur l’Isle Non Sachant en en chassant les lions. Il est adoubé avec 400 autres jeunes chevaliers. Un tournoi suit, durant lequel, Ségurant se met à la place de la quintaine sans que personne ne parvienne à le désarçonner. Après le déjeuner, personne n’ose se mesurer à lui. Un chevalier inconnu tente de le faire, mais il est renversé, et ramené dans sa chambre. Ségurant découvre ensuite que ce n’est autre qu’Hector le Brun le Jeune, son père, qui est blessé. Ségurant se désole de l’avoir renversé, mais son père est fier de lui.

Épisode VI : Ségurant part avec quatre écuyers pour se mesurer à son oncle Galehaut le Jeune, au Royaume Sauvage. Il partent en mer, débarquent en Carmélide, où il rencontre des chevaliers qui vont au Pas Berthelais pour combattre les païens qui s’y trouvent. Le capitaine propose d’héberger Ségurant, mais il demande une faveur en échange. Quand ils sont attaqués par 200 chevaliers, il demande que tous descendent de leur monture pour qu’il puisse les affronter seul. Il en tue 28 et fait fuir les autres, lui valant les acclamations de tous.

Épisode VII : Au château Berthelais, les païens s’alarment des exploits de Ségurant. Le fils du seigneur du lieu, Tarant se propose pour un duel contre lui, Ségurant le vainc et lui tranche la tête. Le roi de Carmélide honore Ségurant et lui demande de rester un peu dans son château. On ramène des nouvelles de son oncle Galehaut : il gardera un pont jusqu’à ce que vienne l’affronter le héros du Pas Berthelais.

Épisode VIII : Ségurant part pour le pont gardé par Galehaut. Il croise un chevalier, Hoderis, qui lui demande de l’accompagner jusqu’à son château. A une chapelle, ils sont assaillis par quarante chevaliers. Ségurant en tue 15 et fait fuir les autres. Il est acclamé au château. En chemin on lui vante les exploits de Galehaut, il lui envoie le message qu’il combattront le lendemain. Apprenant que c’est le héros du Pas Berthelais, Galehaut le rejoint. Ségurant ne lui dit pas son nom, mais Galehaut remarque qu’il ressemble à son cousin Hector (le père de Ségurant). Ils mangent puis se séparent pour dormir.

Épisode IX : Galehaut, fils de la Belle Géante, Seigneur des Iles Lointaines (personnage du Lancelot-Graal) reste en Gorre un mois et demi avec Baudemagu, son connétable. Une flotte de Saxons les menace. Baudemagu dirige la flotte de Galehaut qui va les affronter, mais à cause de quelques marins désobéissants, l’amiral des Saxons parvient à s’enfuir. Galehaut fait envoyer les prisonniers au roi Arthur et fait brûler les marins récalcitrants sur un bateau.

Épisode X : Ségurant et Galehaut se battent, Galehaut n’arrive pas à renverser Ségurant au premier aller et il se dévêt donc de l’écu que l’empereur de Rome lui avait donné. Au quatrième impact, Ségurant parvient à désarçonner Galehaut, descend de sa monture et lui révèle qu’il n’est autre que son neveu. Galehaut lui offre donc son écu, et envoie un messager à l’Isle Non Sachant pour leur transmettre la nouvelle. Ségurant reste tuer des géants au Royaume Sauvage avec Galehaut. (Ce dernier épisode des géants ne se trouve que dans le manuscrit de l’Arsenal, les manuscrits ayant repris les épisodes VIII et X à la suite de Rusticien s’arrêtent avant)

Aventures de Dinadan

Épisode XI : Dinadan, chevalier aux Dix Gardes, car il est accompagné de dix gardes, passe chez une veuve, qui est assaillie par un chevalier, que Dinadan tue, mais refuse de rester alors que la veuve le lui demande. Il rencontre deux demoiselles réfugiées dans une chapelle pour fuir les assauts de deux chevaliers qui les convoitent, il les accompagne et tue leurs deux assaillants. Enfin, il part en quête de Bliobéris, qui a “tué le serpent” comme cela avait été raconté (pas raconté).

Épisode XII : Galehaut et Ségurant se rendent en Carmélide, où on organise un tournoi de trois jours en l’honneur de Ségurant. Ségurant veut se rendre auprès d’Arthur, mais il a promis à Galehaut de se rendre l’Isle Non Sachant, où il est accueilli dans l’allégresse. Galehaut rentre au Royaume Sauvage.

Épisode XIII : Dans la forêt de Darnantes, Bliobéris cherche Dinadan et le trouve chez une veuve. Dinadan lui explique alors pourquoi il se fait protéger par dix gardes, dix vilains, qui l’accompagnent pour gaberie, quand il rencontre d’autres chevaliers. Le lendemain il se sépare de ses dix gardes. Deux demoiselles vont être abusées par deux chevaliers et appellent à l’aide, Dinadan les tue. Lui et Bliobéris ramènent ensuite les demoiselles chez elles. Ils arrivent au tournoi de Camelot, où ils se démarquent. Le soir, Dinadan amuse la cour par ses saillies devant le roi Arthur et Guenièvre.

Épisode XIV : Le lendemain, les chevaliers de Londres affrontent ceux de Camelot. Arthur y participe incognito, Dinadan le reconnaît et le renverse, puis ils s’affrontent à pied. Les chevaliers de Londres s’emparent de Dinadan, et les chevaliers de Camelot le libèrent. Pendant le dîner, Dinadan continue à amuser la galerie.

Le tournoi de Winchester (Vincestre)

Épisode XV : Ségurant envoie un message à Winchester pour défier tous les chevaliers qui s’y trouvent. Le Roi Arthur organise donc un tournoi, et envoie un message au roi pêcheur, le roi Pellès pour savoir si le chevalier qui lance ce défi est celui qui accomplira l’aventure du Graal.

Épisode XVI : complot de Morgane contre Arthur pour détruire sa relation avec sa femme. Elle fait construire la prison qu’elle destine à Lancelot (dans le Lancelot propre) où il fait des peintures aux murs représentant notamment sa relation avec Guenièvre, car son seul compagnon est aveugle. Le roi Claudas demande à Morgane son soutien contre Arthur, et propose de la couronner reine de Logres, mais elle répond que la roi Arthur a un chevalier trop puissant à son service. Claudas discute aussi avec Marc.

Épisode XVII : Dinadan part de la cour du roi Arthur et rencontre Palamèdes dans la forêt de Darnantes, ils se rendent ensuite à Vincestre, mais malgré l’insistance de Dinadan, Palamèdes ne reste pas pour le tournoi et se rend en Irlande. Dinadan, lui, attend les exploits de Ségurant.

Épisode XVIII : Ségurant envoie 40 chevaliers à Vincestre qui y installent son pavillon, orné d’une pierre précieuse qui répand un éclat merveilleux. 

Épisode XIX : Galehaut met une femme enceinte, mais après cinq jours la femme et l’enfant meurent. Il est affligé de chagrin mais construit un palais magnifique en Sorelois. Ayant l’impression que sans la conquête de Logres, son couronnement ne vaudrait rien, il repousse son couronnement à trois ans après, quand la trève que Baudemagu avait conclue avec Arthur aura pris fin et qu’il pourra reprendre la guerre. Il encourage Baudemagu et ses chevaliers à aller à Vincestre. Deux chevaliers se battent pour une dame mais elle ne veut aucun des deux, Galehaut les envoie donc balader.

Épisode XX : Guenièvre se rend à Vincestre sur ordre d’Arthur, elle visite le pavillon de Ségurant et admire sa pierre.

Épisode XXI : Les rois de Galles et d’Irlande arrivent à Vincestre avec leur flotte, ce dernier avec Palamède. Dans sa quête de la Bête Glatissante il avait promis de ne pas porter les armes en présence de Guenièvre pendant trois ans. Quand il l’aperçoit il devient fou car il réalise qu’il ne pourra participer au tournoi et s’enfuit donc dans la forêt.

Épisode XXII : Le roi Marc et Claudas complotent contre Tristan. Marc accuse Hoël de la mort de son cousin Aucert et demande à Tristan de prendre sa défense dans le duel judiciaire qui s’ensuite. Tristan apprenant la tenue du tournoi de Vincestre, il fait renvoyer le duel à plus tard pour s’y rendre. (Malgré l’annonce Tristan n’est pas présent au tournoi de Vincestre)

Épisode XXIII : Ségurant arrive à Vincestre incognito et se rend dans son pavillon, vide, car tous les chevaliers de l’Isle Non Sachante sont en train de jouter. Lamorat se distingue au tournoi. Le soir, les chevaliers de son île rentrent au pavillon et retrouvent Ségurant. Dinadan fait sa connaissance et lui raconte ses aventures de jeunesse pendant le souper.

Épisode XXIV : Ségurant reçoit les coups de lance de tout le monde sur la quintaine, mais personne ne parvient à le désarçonner. Lancelot se distingue aussi, Keu le conduit à Ségurant qui vient d’abattre Caradoc et Méléagant.

Épisode XXV : Une demoiselle lance un enchantement pour savoir où se trouve Méléagant, qui s’est enfui de sa forêt, elle apprend qu’il est à Vincestre mais y sera blessé. Une de ses servantes va le chercher et le ramène en civière. Une fois guéri, il est enchanté et ne peut plus s’empêcher de couper du bois. 

Épisode XXVI : Une demoiselle de la Dame du Lac interdit à Lancelot de jouter plus d’une fois contre Ségurant, après un caprice il s’y plie et part ensuite dans la forêt adjacente. Le soir, Arthur se rend dans la tente de Ségurant et le complimente, Dinadan amuse la galerie.

Épisode XXVII : Morgane et l’enchanteresse Sibylle invoquent des démons, dont un, Lucifer, prend l’apparence d’un dragon. Derrière les tribunes, des chevaliers, qui sont en fait d’autres démons, s’affrontent quand ce dragon se met à les dévorer. Un mur de feu invoqué par Sibylle empêche les chevaliers de foncer à leur secours. Ségurant seul parvient à le traverser, mais marchant sur une parcelle de terre enchantée, il se retrouve obsédé par la quête du dragon et lui fonce après. Le lendemain, Arthur met un terme au tournoi pour l’heure et décide d’attendre le chevalier au dragon une quinzaine de jours.

La quête de Ségurant 

Épisode XXVIII : Dinadan part en quête de Ségurant, se retrouve dans un pavillon avec Morgane, Sibylle et le chevalier félon Bréhu sans Pitié. Après diverses menaces et boutades, elles lui apprennent que tout ce qui s’est passé avec le dragon n’est qu’un enchantement, il abandonne donc l’idée de trouver Ségurant, qui doit aussi être une illusion, et revient à Vincestre le dire à Arthur.

Épisode XXIX : Lancelot tue un géant, la demoiselle de la dame du Lac ramène sa tête à Vincestre, qu’elle accroche vers la quintaine, racontant son exploit. Pendant ce temps, Lancelot délivre aussi une demoiselle menacée par un nain et deux chevaliers, et la ramène chez elle.

Épisode XXX : Le récit nous apprend que Ségurant ne pourra pas tuer le dragon, qui est une forme illusoire du démon. Le roi Salomon lui-même avait seulement pu, confronté à de tels démons, les enfermer dans une bouteille et les balancer à la mer, où ils se déplacent causant des orages etc. Ségurant est hébergé par un ermite et un clerc dont il dévore les provisions, ils remarquent son appétit. Le lendemain, l’ermite suit Ségurant mais s’enfuit à la vue du dragon.

Épisode XXXI : Une demoiselle de Morgane vient raconter au roi Arthur que Ségurant faisait partie d’un enchantement, un mirage. Tout le monde rentre donc chez soi sauf les chevaliers de l’Isle Non Sachant et le roi d’Irlande. Ce dernier demande à ses troupes de chercher Palamèdes. Lancelot sort enfin de la forêt portant Palamède sur son cheval, tellement amoché qu’on ne le reconnaît pas jusqu’à ce qu’il décline son identité. Le roi d’Irlande est donc sur le départ mais Palamèdes ne le suit pas. Les chevaliers qui étaient partis le chercher ont été tués par les géants de la forêt.

Épisode XXXII : Palamèdes poursuit Guerrehet qui court après la Bête Glatissante, ils se battent, se désarçonnent, continuent à terre. Une dame leur demande de l’aide contre son mari qui l’a maltraitée, Guerrehet veut y aller, Palamèdes le libère du combat jusqu’à ce qu’il l’ait aidée, ils se révèlent leurs noms, et abandonnent le combat. Palamèdes rencontre trois chevaliers, en désarçonne deux, le troisième s’enfuit mais revient le balancer dans une rivière, il le retrouve et le vainc. Il retrouve la dame d’avant, qui lui demande son aide après qu’elle ait été mutilée pour avoir fauté avec un de ses serfs. Palamède la réprimande mais accepte de combattre son mari le lendemain. Il dort chez un écuyer.

Épisode XXXIII : Le roi Marc envoie au comte Gralier l’ordre de commencer la guerre contre Hoël. Il envoie aussi Tristan en Irlande dans l’espoir qu’il y soit tué (si on le reconnaît, étant le meurtrier du Morholt). Gralier arrive en Cornouailles, Marc lui offre des animaux chargés des trésors qu’il a volés à Pellinor. Gralier se sert de ces richesses pour constituer une armée et attaque Hoël. Kahédin réussit à conquérir un château de Gralier. 

Épisode XXXIV : Baudemagu revient en Sorelois du tournoi de Vincestre et raconte ses aventures à Galehaut des Iles Lointaines, il commence à attaquer le royaume de Logres la trève étant finie. Galehaut le réprimande, le récit mentionne que tout cela est raconté dans le livre de Gautier Map. (le Lancelot propre) Mais pas la suite : Galehaut demande à Golistan du Puy Perdu de lui donner les clés de ses cités, il tue le messager et chevauche jusqu’à la cour de Galehaut, avec sa tête accrochée à sa selle. Galehaut le tue en duel et l’enterre avec les honneurs en Sorelois.

Épisode XXXV : En ramenant Yseut au Roi Marc, Tristan avait tué les parents de Galehaut (aventure de la Franchise Tristan). Lancelot séjourne alors avec Galehaut, qui rêve d’avoir Tristan aussi. Il se serait rendu à Logres suivant sa promesse mais est alors trop amoureux d’Yseut, il est encore en bons termes avec Marc. Lors d’une partie d’échec avec lui il réclame l’organisation d’un tournoi de Norhout pour y attirer Lancelot, ce que Marc accepte. Galehaut en entend parler et comprend que seule la force d’amour peut maintenir Tristan en Cornouailles, ils veulent donc partir à Norhout, mais Gauvain et Lionel arrivent et il s’avère qu’ils doivent plutôt soutenir Arthur à la Roche-aux-Saxons.

Épisode XXXVI : L’écuyer chez qui loge Palamèdes lui détaille les abus subis par la femme qu’il doit défendre. Après un long combat, Palamèdes décapite son adversaire. Voyant que Palamède est blessé, l’écuyer le raccompagne chez lui. La dame fait construire un monastère sur le lieu du château et prend le voile.

Épisode XXXVII : 200 chevaliers de l’Isle Non Sachant sont partis en quête de Ségurant, par groupe de cinquante, de peur qu’ils soient massacrés comme leurs ancêtres qui s’étaient mis en quête de Merlin au temps d’Uther. Cinquante des chevaliers arrivent au château de Morgane, qui leur promet de les mener au repaire du Dragon, où Ségurant va l’affronter. En réalité, elle les envoie dans la forêt de Pommenglois, où se trouve la demoiselle qui a déjà enchanté Méléagant. La demoiselle de Pommenglois demande à Bréhus de les rabattre chez elle également, et une centaine de chevaliers sont donc enchantés à Pommenglois.

Épisode XXXVIII : Au tournoi de Norhout, les deux moitiés de Cornouailles s’affrontent. Effrayé par l’effet que les prouesses de Tristan auraient sur le cœur d’Yseut, Marc ne la laisse même pas savoir qu’il y a un tournoi, mais place un mannequin à son effigie dans les tribunes à sa place. Il fait aussi surveiller Brangain et lui dit que le bruit n’est qu’un chevalier achetant des chevaux, elle réalise néanmoins la supercherie, elle parvient à mettre le feu à la tour où elle est retenue, et être secourue. Elle passe la nuit avec Tristan, le lendemain matin elle se rend vers Marc pour lui dire que les chevaliers se préparent au tournoi, y compris Tristan. Marc lui demande d’amener Yseut aux loges, disant qu’Andret lui avait promis de le faire la veille et qu’il l’avait trahi : il ordonne qu’on détruise le château d’Andret. Tristan s’illustre dans les joutes, notamment à la place de la quintaine, rendant Marc fou de jalousie. Le jour suivant, Marc laisse Yseut à Tristan et se joint à la mêlée lui-même. Lamorat blesse Marc si grièvement que le tournoi est interrompu pour la journée. Lamorat craint qu’il ne se venge (le narrateur nous rappelle que Marc aurait de bonnes raisons de lui en vouloir puisque plus tard c’est lui qui enverrait à sa cour le cor de Morgane détectant l’infidélité), il s’enfuit donc par la mer, une tempête l’envoie en Irlande, où le roi discute du tournoi de Vincestre et des prouesses de Ségurant avec lui.Épisode XXXIX : Ségurant, toujours à la poursuite du dragon, pénètre la Forêt Périlleuse, où il tue un géant armé d’une grande hache et libère les douze demoiselles qu’il retenait prisonnières dans une grotte. Elles prennent le voile dans une abbaye. Apprenant que 200 chevaliers sont arrivés à Winchester, un millier de chevaliers sont prêts à partir en quête de Ségurant, mais à nouveau une servante de Morgane raconte que ce sont des magiciens qui font autant partie de l’illusion que Ségurant. On renonce à les chercher. En pénétrant la forêt de Pommenglois, Ségurant libère les chevaliers de l’enchantement qui les retient (car son enchantement est plus puissant) et continue sa quête. Les chevaliers de l’Isle Non Sachant reviennent l’attendre à Vincestre. Méléagant s’échappe aussi, retourne à Gorre et prévoit de tuer sa sœur en l’accusant d’avoir voulu empoisonner leur père pour faire d’un de ses amants le roi de Gorre. Baudemagu la chasse du royaume mais elle se réfugie dans un château de sa mère. Elle se vengerait plus tard en poussant Lancelot à tuer Méléagant. (Dans le Chevalier de la Charrette).

Annexes 2-4

Annexe 2 : Tableau des 28 manuscrits de l’édition d’Arioli (en ligne)

Annexe 3 : Composition des différentes branches des prophéties de Merlin (en ligne)

Annexe 4 : Tableau des fragments des prophéties de Merlin (en cours, en ligne)

RQRF 2 : Pas Encore Chevaliers – Textes Gallois et Vies de Saints

Comme on l’a vu la dernière fois, le Roi Arthur a des racines profondes. Il existait donc avant qu’on lui rattache une Table Ronde pleine de chevaliers, ou la Quête du Graal qui les occupe, ce qu’on va voir aujourd’hui à travers les principales traditions galloises qui traitent du matériau arthurien et quelques vies de saints chrétiens où Arthur fait une apparition… Mais pas forcément comme on s’y attendrait !

Rex Quondam Rexque Futurus 2 :Textes Gallois et Vies de Saints (mars 2017)
Livre Noir de Carmarthen