CPS #17 LIVE : Un conte vieux de 6500 ans ? Le Forgeron et le Diable

Une étude de 2016 prétend pouvoir, grâce à des méthodes inspirées de la biologie, évaluer l’ancienneté des contes populaires, et un type de conte en particulier, Le Forgeron et le Diable (ATU 330) remonterait aux proto-Indo-Européens. Mais est-ce si simple ?

Une conférence donnée le 4 décembre 2019 à l’université de Lausanne.

ERRATUM à 31:30 : comme pointé par Yves22, le Scots n’est pas, contrairement à ce que dit Lays, le gaélique écossais, mais une langue germanique parlée en Écosse ayant gardé certains traits archaïques. Les auteurs font probablement la confusion eux-mêmes puisqu’ils le classent dans les langues celtiques.

🔨 L’étude discutée : Sara Graça da Silva et Jamshid J. Tehrani, « Comparative phylogenetic analyses uncover the ancient roots of Indo-European folktales » 3R. Soc. open sci. (2016)

🔨 La chaîne de Dynamythes, qui présente de la mythologie comparée suivant Dumézil et Bernard Sergent.

🔨 Sources et références dans le texte de la présentation.

🔨 Diapositives.

RQRF 29 : Le Roman de Fergus et le Roman du Roi Yder

Pour la reprise de 2020, Lays et Antoine examinent deux romans isolés du XIIIe siècle qui, en marge de la tradition des grands cycles en prose de Robert de Boron (RQRF 9-10), de la Vulgate (RQRF 15-18), du Tristan en Prose (RQRF 24) ou de la post-Vulgate (RQRF 27-28) se concentrent, comme le faisait Chrétien de Troyes, sur l’aventure d’un chevalier, dans une forme versifiée.

Rex Quondam Rexque Futurus 29 : Fergus et le Roman du Roi Yder (janvier 2020)

Dans le Roman de Fergus, aussi appelé Le Chevalier à l’Escu, Fergus est peut-être inspiré d’un personnage historique mais son histoire reprend surtout celle du Perceval de Chrétien (RQRF 7). Occupé à travailler la terre, Fergus voit passer un cortège de chevaliers du Roi Arthur qui revient de la chasse. Il veut immédiatement les rejoindre et abandonne sa charrue sur place. Alors que son père, un vilain, un roturier, voudrait le battre car il abandonne ses devoirs, sa mère, de plus noble extraction, soutient son ambition. On déterre une armure complètement rouillée d’un coffre, et le voilà parti à l’aventure… Comme Perceval, Keu le met à l’épreuve, en rigolant, de vaincre un ennemi redouté d’Arthur, ici le Chevalier Noir.

Une fois adoubé, il rencontre en chemin Galienne, la nièce du châtelain de Liddel, mais ne peut lui retourner son amour, avant d’avoir achevé sa quête. Il vainc le Chevalier Noir sans problèmes, mais quand il revient, Galienne a disparu… Après un an d’errance, il apprend que pour la retrouver il ferait mieux d’obtenir d’abord un écu projetant une lumière merveilleuse, gardé à Dunnottar par une vieille géante monstrueuse armée d’une faux, et par un dragon. Il apprend ensuite que Galienne est la nouvelle reine de Lothian mais qu’elle est assiégée à Roxburgh. Elle avait demandé de l’aide à la cour d’Arthur mais tous ses chevaliers étaient loin, cherchant Fergus. Fergus parviendra à vaincre les assaillants mais il disparaît ensuite, et Arthur devra organiser un tournoi pour qu’il refasse surface et puisse épouser Galienne, devanant roi de Lothian.

Le Roman du Roi Yder (Romanz du reis Yder) place sur le devant de la scène un très vieux personnage mais qui avait souvent un rôle très secondaire. Il apparaît ainsi sur l’archivolte de la Porta della Pescheria de la Cathédrale de Modène (~1120-1140) comme « Isdernus ». Yder était déjà mentionné par Cullwch ac Olwen (RQRF 2), peut-être notre trace la plus archaïque de récits arthuriens gallois, même s’il ne jouait pas de grand rôle dans l’histoire. Il faisait aussi une apparition chez Geoffrey de Monmouth (RQRF 3) et Wace (RQRF 4), dans le Lai du Court Mantel (RQRF 25), et, au début d’Erec et Enide de Chrétien de Troyes (RQRF 5), c’est lui qui outrageait Guenièvre quand son nain fouettait une de ses suivantes. Une histoire qui lui est régulièrement associée, et c’est le cas dans ce roman aussi, est d’avoir vaincu un ours en combat, ainsi dans la Folie Tristan de Berne (RQRF 13) ou dans La Vengeance Raguidel, où il venait aider Gauvain en battant l’ours du cruel Guingasoin. (RQRF 26)

Environ mille vers manquent au début du seul manuscrit connu, mais on peut assez facilement reconstituer le début de l’histoire. Yder ne connaît pas son père, qui avait seulement laissé à sa mère la moitié d’un anneau. À 17 ans il part à sa recherche. En chemin il tombe amoureux de la reine Guenloïe, qui ne veut apparemment pas s’engager dans une relation sans connaître son ascendance ou avant qu’il ait fait ses preuves. Yder sauve le Roi Arthur d’une mauvaise passe, mais celui-ci oublie de le remercier et manque à sa parole. Yder, déçu, va donc aider un des vassaux qu’Arthur assiège. Devant ses prouesses, Arthur finit par l’inviter à contre-coeur à la cour. Quand un ours fait irruption dans les appartements de Guenièvre, Yder arrive à le repousser, suscitant encore plus d’admiration, mais aussi une profonde jalousie de la part d’Arthur, qui commence à croire que Guenièvre l’aime. Au cours de ses aventures, Yder retrouve son père Nuc, « duc d’Allemagne ». Le portrait d’Arthur, déjà négatif, devient franchement maléfique quand, pour se débarrasser d’Yder, il l’emmène dans une expédition pour combattre des géants, où il espère qu’il mourra, et où Keu (qui avait déjà tenté de le tuer) finit par l’empoisonner. Heureusement, Yder survit, revient épouser Guenloïe, et est couronné roi par Arthur, qui ne le perçoit peut-être plus comme une menace maintenant qu’il est marié.

On reconnaît les motifs typiques de l’aventure chevaleresque immortalisés par chrétien et qu’on a déjà retrouvés dans Le Bel Inconnu (RQRF 23) par exemple : un héros part de chez lui, tombe amoureux d’une châtelaine mais ne peut s’adonner à son amour qu’une fois ses preuves faites, il combat géants et bêtes, sa victoire finale est scellée par un mariage et un couronnement… D’autres parallèles prêtent plus à rire : dans les deux romans on voit quelqu’un se battre avec des volailles en broche ! Sans forcément être parodiques (même s’ils sont parfois décrits comme tels) le burlesque des aventures de Fergus ou la malfaisance presque comique d’Arthur dans ces deux textes poussent en effet assez loin la tendance humoristique du roman de chevalerie.

  • Illustration de l’épisode : archivolte de la Porta della Pescheria de la Cathédrale de Modène. (photographie de Sailko sur Wikimedia Commons (CC BY-SA 4.0)) Réalisé entre 1120 et 1140 environ, c’est une des premières traces datables de la légende arthurienne sur le continent, où l’on peut voir, de gauche à droite, Yder (Isdernus), Arthur (Artus de Bretanni), Durmart ? (Durmaltus), Guenièvre à priori (Winlogee), Caradoc (Carrado), Gauvain (Galvagin), Galvariun (non-identifié, peut-être un double de Gauvain vu le nom) et Keu (Che). Au sujet de cette sculpture arthurienne, et d’autres, voir l’article de Stiennon et Lejeune dans les Cahiers de Civilisation Médiévale. [Note : Lays interprète Yder comme étant le personnage qui se retourne, ce qui serait cohérent avec le placement des noms, mais il est fort possible qu’Yder soit en fait celui qui le poursuit, et donc, comme dans le roman, sauve Arthur d’une embuscade !]
  • Sources, liens, résumés.
  • Annexe : Tableau de romans arthuriens isolés (qui ne sont pas compris dans un cycle)
  • [Addendum, 2023 :] La traduction Lemaire du Roman du Roi Yder fait désormais partie de l’anthologie Les Chevaliers de la Table Ronde, avec plein de belles choses, chez Quarto/Gallimard.

Musique

Benjamin Britten (1913-1976)
Suite from King Arthur (Arr. Hindmarsh): I. Overture (Générique)
Richard Hickox & BBC Philarmonic Orchestra

Gaelic Storm
The Bonnie Ship the Diamond
Gaelic Storm

Ludvig van Beethoven (1770-1827)
Egmont, Op. 84 : Overture
Jos van Immerseel & Anima Eterna Brugge