RQRF 34 : Le Roman de Silence

(Enregistré en 2022). Dans un royaume où les filles ne peuvent plus hériter, un couple décide d’élever leur fille comme un garçon. Leur enfant, Silence (nommé car il doit garder le silence sur son secret) deviendra un chevalier exemplaire de Cornouailles, mais l’époque est post-arthurienne, la cour d’Arthur ne se rappelant vraiment à nous que quand Silence doit capturer Merlin, suivant un scénario déjà trouvé dans la Suite-Vulgate (RQRF 18)…  Préservé dans un seul manuscrit, qui contient aussi la Vengeance Raguidel (RQRF 26), le Roman de Silence part de cette situation pour tisser une réflexion plus large sur la part de la Nature et de l’Education dans la formation du caractère, qui a évidemment suscité l’intérêt des gender studies.

RQRF 34 : Le Roman de Silence
Image : WLC.LM.6, Roman de Silence, f. 203r. (Source)

Traductions utilisées :

  • En français : trad. Florence Bouchet in Romans d’Amour et de Chevalerie, coll. Bouquins, pp. 459-557.
  • En anglais : trad. Sarah Roche-Mahdi, Silence: a thirteenth-century French romance (1992)

Liens

Sur le motif de la fille-soldat, discuté en introduction, d’après Catherine Velay-Vallantin, L’histoire des contes (1992) et . La Fille en Garçon (1992) :

Livres arthuriens « récemment » parus :

RQRF 33: Les Merveilles de Rigomer

Datant probablement du milieu du XIIIe siècle, Les Merveilles de Rigomer voient Lancelot s’aventurer vers Rigomer, une région d’Irlande infestée de brigands aux marges du royaume arthurien, qui rappelle les marches explorées par Hunbaut (RQRF 32).

RQRF 33 : Les Merveilles de Rigomer
Image : Chantilly, Bibl. Chât. 472 fol. 1r

Sur le chemin se succèdent les aventures : un vieil ermite couvert de mousse, une maison où un cercueil marche tout seul et Lancelot est attaqué par de nombreux fauves, une sorcière-ogresse qui a des airs d’Ysbaddaden (RQRF 2) et sa jeune nièce… Il croise divers blessés, demoiselles en détresse et châtelains lésés qui le supplient de ne pas aller à Rigomer, car tous ceux qui y vont n’en reviennent pas, où atteints de blessures qui ne guérissent pas, attendant celui qui mettra fin à tous ces enchantements. Lancelot semble bien parti pour être cet élu, battant un chevalier qui porte trois armures les unes sur les autres et passant la garde d’un dragon, mais une jeune dame lui passe un anneau enchanté qui lui fait tout oublier et il est mis au travail dans les cuisines de Rigomer.

Gauvain et de nombreux chevaliers partent alors à sa recherche. Cligès affronte notamment un mort-vivant dans un cimetière, qui devient fou furieux quand on retire un tronçon d’épée de son corps, car tant qu’il reste planté il a l’impression d’être auprès de Morgane à la cour d’Arthur. Gauvain parvient finalement à secourir Lancelot, qui après une autre période d’errance d’un an revient incognito dénouer un duel à la cour d’Arthur, où il est reconnu. Lors du dernier tiers du roman (probablement rajouté par une autre plume, et inachevé) le roi Arthur, jaloux des exploits de ses chevaliers à Rigomer, décide de partir lui-même à l’aventure pour aider une demoiselle, et après deux aventures de Lancelot, il combat pour elle avec succès — rare occurrence d’un roi Arthur qui part à l’aventure dans un roman, comme dans le début du Perlesvaus (RQRF 11) ou le plus tardif Chevalier au Papegau.

Ce roman de 17’270 vers épouse le chablon laissé par Chrétien de Troyes et ses successeurs, tout en montrant peut-être l’influence des romans en prose, notamment les “aventures rituelles” typiques des quêtes du Graal (RQRF 16, RQRF 28), où les épreuves s’accomplissent d’elles-mêmes à l’arrivée de l’élu, sans qu’il ait besoin d’étaler des prouesses. On y trouve une grave et récurrente préoccupation pour le chevalier et ses armes (peut-on lui faire confiance et l’accueillir tant qu’il les porte, ne risque-t-il pas de nous massacrer ?) et surtout son armure, que de nombreux brigands cherchent d’ailleurs à lui dérober.

Cette appréhension face à la violence n’empêche pas une certaine indifférence quand elle frappe les femmes, plus soulignée que d’habitude : quand un félon veut violer la fille d’un châtelain, le problème semble surtout être qu’il ne compte pas l’épouser ensuite… De même, quand Lancelot sauve la fille du roi de Dessemoume, que son amant était sur le point de violer, elle plaide surtout pour que son agresseur l’épouse, le mariage lavant tout. D’ailleurs, son père a promis sa main à qui la ramènera, et Lancelot est donc attaqué par des prétendants en chemin, et quoiqu’il refuse de l’épouser, il la laisse enceinte à son départ…

Au milieu du XIIIe siècle, on voit à travers les Merveilles de Rigomer, que les romans en vers continuent à plaire, avec leur goût pour les aventures merveilleuses, ici particulièrement colorées et parfois intrigantes.

RQRF 32: Le Chevalier aux Deux Épées et Hunbaut

Suivant le Conte du Graal de Chrétien de Troyes (RQRF 7), il est courant de voir des romans centrés sur Gauvain, partageant la vedette avec un autre chevalier — typiquement dans Méraugis de Portlesguez, La Vengeance Raguidel (RQRF 26) ou Gliglois (RQRF 30).

En miroir du nouveau venu, qui doit apprendre les codes de la chevalerie et faire ses preuves, Gauvain, le chevalier accompli, est souvent mis dans des situations dont il est impossible de se tirer courtoisement, ou encore accablé par sa réputation, bonne ou mauvaise.

Image : BnF Fr. 12603 fol. 1r.

Le Chevalier aux Deux Épées suit ce schéma classique, mais s’ouvre sur une étrange scène : en allant y chercher des fers à bestiaux (destinés au Roi Arthur) la jeune dame Lore de Caradigan assiste à l’enterrement du chevalier Bléhéris dans une chapelle enchantée. Cela lui permet de récupérer son château à Ris d’Outre-Tombe, mais elle a aussi ceint l’épée du chevalier et seul un chevalier aussi preux que lui pourra la lui enlever.

À la cour d’Arthur arrive un ancien écuyer de Gauvain qui souhaite être adoubé : Mériadeuc. Il est en fait le fils de Bléhéris mais ignore son propre nom… Quand il arrive à retirer l’épée de Lore, Keu le surnomme alors logiquement le Chevalier aux Deux Épées. Il en obtiendra même une troisième, couverte de sang, qui lui permettra de soigner un chevalier blessé.

Pendant ce temps, Brian des Îles en veut à Gauvain car la dame qu’il convoite n’a d’yeux que pour lui. Il l’attaque lors d’une balade matinale, désarmé, le blesse grièvement et le laisse pour mort, racontant partout qu’il est décédé. Une fois remis, Gauvain part à sa recherche pour rectifier ça.  Sa réputation continue à lui jouer dans tours quand il libère un châtelain et s’aprête à passer la nuit avec sa fille, mais celle-ci se dit triste car elle voulait garder sa virginité pour… Gauvain. Elle ne le croit pas quand il affirme être Gauvain et le croit encore moins quand Gauvain respecte son refus. Il semble avoir une réputation de violeur…

Pendant ce temps Mériadeuc échappe à la cour d’Arthur et combat les troupes de Brian de la Gâtine, qui assiège les terres de sa famille. Gauvain l’y aide en libérant la ville de Tygan, où la mère de Mériadeuc est assiégée, mais on découvre progressivement que c’est en fait Gauvain qui aurait tué Bléhéris, le père de Mériadeuc.

Dans Hunbaut, par contre, le schéma est renversé. Gauvain doit s’aventurer sur une île qui n’est pas soumise à l’autorité d’Arthur, mais alors que Hunbaut, qui l’accompagne, en connait les usages, Gauvain commet impair sur impair et outrage le seigneur de l’île.

À son retour, Gauvain devra secourir sa soeur, enlevée peu après leur départ, et rencontrer une demoiselle tellement amoureuse de lui qu’elle a fait scultpter une statue à son effigie dans sa chambre…

Que ce soit dans Hunbaut, qui est inachevé, ou Le Chevalier aux Deux Épées, qui est peut-être trop achevé, on retrouve beaucoup de motifs arthuriens familiers. Hunbaut met en scène le motif du “tu me décapites, puis je te décapite” de la Première Continuation (RQRF 8) ou de La Mule sans frein (RQRF 19) — et qu’on retrouvera plus tard au centre de Gawain and the Green Knight. Le Chevalier aux Deux Épées semble reprendre sa scène de la chapelle maudite du Perlesvaus (RQRF 11) mais rendue plus ou moins incompréhensible…  Gauvain est assailli par sa réputation : on raconte qu’il est mort (comme dans L’Âtre périlleux (RQRF 30)), il est accusé de meurtre (comme dans le Conte du Graal) et il reste “l’idole inconnue” (pour reprendre le titre de Stoyan Atanassov) : une dame amoureuse de lui ne le connait que par un portrait, il a une réputation de violeur (comme dans la Première Continuation (RQRF 8)). 

Deux romans presque opposés mais qui, malgré leurs diverses aventures et perspectives morales de leurs auteurs, contribuent tous les deux à construire et remixer le caractère des personnages qu’ils partagent: ici, Gauvain, le “bon chevalier”, dont on en vient à se demander s’il est si bon que ça…

RQRF 4 : Arthur in Translation – Les Bruts de Wace et Laȝamon

Après avoir présenté l’Historia Regum Britanniae de Geoffrey de Monmouth dans le dernier épisode, Lays et Antoine se tournent cette semaine vers deux de ses plus célèbres traductions: le Roman de Brut de Wace, en anglo-normand, et le Brut de Laȝamon, en moyen anglais. Mettant en vers le récit de l’Historia, les deux poèmes se distinguent aussi par leurs particularités: Wace introduit la Table Ronde dans la Matière de Bretagne, tandis que Laȝamon est le premier écrivain d’expression anglaise à relater les aventures d’Arthur…

RQRF 4 : Arthur in Translation – Les Bruts de Wace et Laȝamon (mai 2017)